Vendredi 12 juin, la NASA marquait l’Histoire en nommant Kathy Lueders à la tête de la direction de ses vols habités. La première femme à occuper une telle position hiérarchique. Un choix d’autant plus crucial que ce poste est l’un des plus importants de l’agence gouvernementale. Mais qui est Kathy Lueders ? En réalité, l’organisme regorge de personnages féminins ayant joué un rôle crucial dans la recherche spatiale. Qui sont celles qui, tapies dans l’ombre à travers les années, ont fait évoluer le  statut de la femme au sein de la NASA et ont, indirectement, permis à Kathy Lueders de décrocher ce poste à la tête des vols habités ?

C’est un grand pas pour la NASA. Vendredi 12 juin, Kathy Lueders devenait la première femme de l’histoire de l’agence gouvernementale à être nommée à la tête des vols habités. Si son nom est encore peu connu, elle travaille pourtant depuis 1992 pour la prestigieuse organisation spatiale. Son parcours est des plus inspirants. Il y a 28 ans, elle rejoint cette institution en tant que responsable du système de manœuvre orbitale de la navette spatiale américaine. En 2013, elle est promue au poste de directrice du programme des vols commerciaux habités au centre spatial Kennedy. Une unité qu’elle prendra en charge à part entière l’année suivante.

Kathy Lueders. NASA.

Sa carrière a été couronnée de succès comme le prouve le lancement réussi, le 30 mai dernier, de deux astronautes vers la Station Spatiale Internationale. Cette année, elle sera finalement nommée Directrice des vols habités de la NASA, un des rôles phares de l’agence. Bien que prestigieux, il s’accompagne de la lourde tâche de superviser le programme Artemis, dont la nécessité fait polémique, visant à renvoyer des humains sur la Lune d’ici 2024. Faire atterrir deux astronautes, une femme et un homme, sur la Lune d’ici 4 ans. Mais si aujourd’hui Kathy Lueders a pu en arriver là, c’est également grâce au travail de ses prédécesseurs de l’ombre qui travaillent depuis plusieurs décennies à la NASA sans avoir bénéficié d’une véritable reconnaissance.

Ces femmes de l’ombre de la NASA

Kathy Lueders n’est pas la seule femme à avoir marqué durablement l’histoire de la NASA. Katherine Johnson, Dorothy Vaughan ou encore Mary Jackson, pour ne citer qu’elles, sont des mathématiciennes qui ont toutes contribué aux avancées de la NASA. Pourtant, elles sont restées toute leur vie dans l’ombre de cette agence gouvernementale américaine. C’est pour mettre à l’honneur ces trois femmes noires que l’Américain Theodore Melfi a réalisé en 2017 « Hidden Figures » (Les Figures de l’Ombre). Le réalisateur souhaite ainsi exposer aux yeux du grand public la ségrégation dont ces femmes étaient victimes ainsi que leur statut social dans une Amérique au racisme assumé. Pour le réalisateur, ce film est un remerciement public adressé à ces trois femmes qui ont changé, sans même en avoir conscience, le cours de l’histoire.

Pourtant, le film a reçu un avis mitigé de la part du public comme de la critique. « Dans la plupart des scènes où elles sont à la Nasa, elles donnent l’impression de ne pas faire un travail réel. Tandis que les regards se focalisent sur leur chef, interprété par une star, Kevin Costner. Malgré la première séquence, le film maintient le racisme à distance et ne pointe jamais les tensions qui traversent ces femmes : en pleine Guerre Froide, elles aident un pays à étendre son hégémonie sur le monde » explique Marie Hicks, une historienne des sciences à l’Université de l’Illinois dans une interview avec le Guardian. Aujourd’hui, même si encore peu connues du grand public, le talent, l’intelligence et l’apport à la recherche de ces femmes sont mondialement reconnus. Katherine Johnson, dont les capacités mathématiques ont permis le premier lancement suborbital, s’est vue remettre en novembre 2015 la médaille présidentielle de la liberté par Barack Obama en personne.

Des génies mathématiques, limités par des lois ségrégationnistes

Dans « Hidden Figures », Taraji P. Henson, la chanteuse Janelle Monae et l’actrice Octavia Spencer interprètent  Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson, trois grandes mathématiciennes de la NASA afin de mettre en avant leur parcours exceptionnel au tout début de la féminisation de l’agence gouvernementale. © Florida Today

Le film « Hidden Figures » est lui-même basé sur l’ouvrage de Margot Shetterly « Figures de l’ombre, ces afro-américaines qui ont aidé à gagner la course vers l’espace », elle même afro-américaine, qui a voulu rendre d’actualité l’histoire de ces femmes si inspirantes. Alors même que son père travaillait personnellement pour la NASA, elle ignorait tout de l’existence de ces mathématiciennes hors pair. C’est au détour d’une conversation avec son père qu’elle découvre leur histoire « discrète » et décide de s’y pencher plus en détails et de la documenter.

Contrairement au film, elle met aussi en avant une autre femme oubliée de la NASA : Christine Darden, elle aussi mathématicienne qui a consacré ses 40 années de carrière à la recherche des ondes soniques. Pour l’auteure, ces femmes n’avaient en apparence rien qui sortait de l’ordinaire. Elles étaient toutes noires, de classe moyenne, travaillant pour la NASA. Mais c’est leur capacité à réaliser des calculs extrêmement complexes à une vitesse record qui fera toute la différence. Néanmoins, ce qui leur a ouvert les portes vers ce parcours hors norme, c’est « l’entrée en guerre des États-Unis en 1941 » estime l’écrivaine Margot Shetterly.

C’est en effet seulement dans les années 50, après la publication d’un décret post-Seconde Guerre mondiale, que la NASA commence à embaucher des femmes pour remplacer des hommes. L’organisation recherche des profils extrêmement qualifiés en mathématiques, au travers de petites annonces. Une fois embauchées, ces mathématiciennes, qu’on appelait aussi « ordinateurs en jupe » (…) effectuent des calculs d’une grande complexité, qu’aucune machine n’est encore en mesure de réaliser à l’époque. C’était ainsi le cas de Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et de Mary Jackson. Devenues collègues puis amies au sein d’une ancienne base aérienne en Virginie, les trois femmes ont consacré toute leur vie et leur énergie à la NASA et à son développement.

La physicienne et mathématicienne américaine Katherine Johnson, interprétée par Taraji P. Henson, travaille devant ses collègues, quasiment tous blancs et de sexe masculin. © TV5Monde

Si ces femmes sont les grandes oubliées des manuels scolaires, elles ont pourtant, grâce à leur intellect hors norme, réalisé un travail crucial pour l’avancée des connaissances scientifiques. Pourtant, leurs conditions de travail étaient loin d’être idéales. À une époque où la ségrégation battait son plein, elles furent surtout surnommées « Colored computers » (ordinateurs de couleur) et étaient forcées à travailler à l’écart de leurs collègues blancs, dans l’unité de calcul de l’est. Un racisme structurel particulièrement marqué aux USA et toujours palpable aujourd’hui dans certains secteurs. Tout comme pour ces femmes, la lutte pour l’égalité et le respect des individus indépendamment de leur couleur de peau, leur origine ou ethnie continue dans le monde entier, comme en témoignent les récents mouvements sociaux.

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Analena Dazinieras


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