La désobéissance civile non violente : ce mode d’action qui s’est illustré en avril par le blocage de La Défense à Paris attire de plus en plus de curieux et de militants désenchantés. Nous nous sommes rendus à une cession de formation auprès du Collectif des Désobéissants à Paris afin de suivre un cours axé principalement sur la répression policière et judiciaire.

Dans un local associatif Parisien, les cris fusent et des personnes sont traînées au sol « Viens là espèce de sale gauchiste. On va devoir lui péter le bras à ce petit enculé ». Deux personnes tirent une femme qui, hilare au sol, trahit la scène : « Je vais te péter le nez, tu vas moins rigoler » répond un de ses assaillants. On s’y croirait.

Crédit image : Arthur Leblanc

Si la vingtaine de personnes dans la pièce regarde l’évènement amusée, c’est qu’il s’agit d’une mise en scène, sous forme de jeu de rôle d’une intervention policière en manifestation. Rémi Fillau, grand brun aux cheveux ébouriffés, quitte son rôle de Policier un peu bourrin pour reprendre celui de formateur. Depuis 10 ans, il forme des militants à la désobéissance civile via son collectif Les Désobéissants : Blocage du salon de l’armement et actions contre Monsanto, cet ancien de Green Peace partage aujourd’hui son expérience de la confrontation avec les forces de police au travers d’une formation intitulé : Répression : comment faire face ?

Parmi les participants, tous ont un parcours différent. Du militant animalise s’introduisant dans des élevages à celui qui manifeste tous les Samedis, tous se disent témoins d’une violente répression policière et judiciaire à laquelle ils souhaitent pouvoir se défendre proprement, sans surprise. C’est le cas de Julien qui se qualifie comme « Gilet Jaune absolu » et a quitté sa vie en Italie pour les Samedis Parisiens « J’en pouvais plus de voir tout ça sur internet, je suis revenu pour les gilets jaunes ». Hermine, elle aussi manifestante Gilet Jaune souhaite pour sa part comprendre les rapports de force avec les forces de l’ordre « pour ne plus avoir peur en manifestation ». Tous comprennent que la police sert ici de par-feu physique à un pouvoir.

Travaux pratique

La soirée commence par un exercice « Vous bloquez le salon de l’armement et la police arrive, mettez en place une stratégie pour réagir » explique Rémi. Voilà qui est concret. Le groupe est scindé en deux, d’un côté les manifestants et de l’autre les policiers. La mise en scène se met en place. Les manifestants sont au sol, simulant un « die in » tandis qu’un porte parole désigné attend la police, le groupe représentant les forces de l’ordre et mené par Rémi arrive : « Il se passe quoi ici ? C’est qui le responsable ? » demande t-il. Le porte parole, sourire aux lèvres répond « On est tous responsable, moi, vous », Rémi, visiblement confortable dans son rôle de Policier le coupe immédiatement « On a un petit rigolo, embarquez moi ça ».

Crédit image : Arthur Leblanc

Le blocage fictif du salon de l’armement aura duré moins de cinq minutes et Rémi réunit le groupe pour un debriefing. Il explique : « Il faut nommer quelqu’un pour discuter avec la Police, son boulot ça va être de gagner du temps mais aussi de calmer le jeu, expliquer qu’on est pas contre eux, que l’on fait une action non violente, que l’on est dans le dialogue afin d’éviter les violences et bavures ». Habitué des situations tendues qui peuvent parfois amener à des violences, il mets un point d’honneur à la sécurité et explique que les policiers peuvent aussi être des alliés et ne doivent pas être uniquement considéré comme des adversaires. Il cite une action dans un magasin où ce sont les employés et vigiles qui ont rués de coups militants et désobéissants. « En fait, les vigiles et autres, ils ne sont pas formés pour réagir à des actions comme ça, à faire du maintien de l’ordre donc cela peut être très dangereux ».

Résister à la répression de manière non-violente, est-ce possible ?

Rémi souhaite être clair sur un autre point. Lors de la mise en scène d’interpellation, il a vu quelqu’un agripper la jambe d’un policier, il lui explique « Tu fait ça en vrais, c’est violence et outrage. Cela pourrait être vu comme une agression de la part des policiers, surtout ne pas les toucher ou les agripper ». Il montre alors comment il résiste simplement et pacifiquement à une interpellation, il se couche au sol et demande à des personnes de l’attraper. Il lève les mains et entame un discours rassurant « Je ne vous menace pas, je suis par terre, je suis non violent ». Il se tourne dans tous les sens, gigote et glisse dans les mains des personnes, la salle est hilare de cette manière ingénieuse et simple de résister, il se relève souriant « j’appelle ça la technique de l’anguille ».

Il explique que résister en se débattant peut amener à de graves problèmes « Tu te débats, c’est matraque, hôpital, ennuis judiciaires ». L’audience, visiblement conquise par la désobéissance civile non violente en redemande. Rémi apprend alors les rudiments de la tortue au groupe, une technique de désobéissance qui a été utilisé pour bloquer la défense par Extinction Rebellion le 19 Avril. Il s’agit de se disposer en cercle, assis au sol et s’entremêler les bras et jambes afin d’être indélogeable par la Police. Au bout de 5 minutes, certains se plaignent déjà de douleurs, mais en situation de terrains, c’est plusieurs heures que les militants peuvent passer dans cette situation : « À la défense, ils sont restés toute la journée comme ça, dans ces cas là, on utilise un safe word si on veut arrêter, si on a trop mal ou que ce n’est plus possible psychologiquement » explique le formateur. Car, souvent, la douleur devient insupportable.

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Crédit image : Arthur Leblanc

La désobéissance civile en France

Rémi est convaincu de l’efficacité et de la portée symbolique que peuvent avoir les actions de désobéissance civile, il constate aussi un intérêt croissant pour ce mode d’action. À 2000 personnes, Extinction Rebellion et Green Peace France avaient bloqué La Défense, emblématique quartier des affaires à Paris afin de mobiliser pour le climat. Même si l’on est encore loin des 60 000 personnes mobilisées pour bloquer Londres, Rémi est très confiant sur l’avenir de ces modes d’actions en France : « Extinction Rebellion est né en Grande Bretagne mais il est tout récent en France, 2000 personnes pour une première action c’est énorme, c’est la plus grosse action de ce type dans le pays ».

Crédit image : Arthur Leblanc

Le désobéissant a un autre argument dans sa poche, ses formations : « Avant, on faisait 1 ou 2 formations par mois, depuis les gilets jaunes, on en fait chaque semaines, on est complet à chaque fois, c’est environ 50 personnes par formations. Il se passe quelque chose ». Blocage d’un lieu, die in, dégradation de panneaux publicitaires, la désobéissance civile peut recouvrir plusieurs formes mais Rémi insiste sur sa dimension non violente : « Si l’on veut construire un monde plus juste, on ne peut pas passer par la violence mais ça ne signifie pas se laisser faire pour autant. C’est pourquoi nous pouvons et nous devons désobéir à des lois qui nous paraissent injustes, violentes, contraires aux droits de l’homme ou à l’écologie ». Ce mode d’action n’est pourtant pas sans risques pour les militants qui le pratiquent et s’exposent à des gardes à vue et risques de poursuites judiciaires.

Garde à vue et plus si affinités…

Dernière étape de la formation, la garde à vue et les aspects juridiques. Les expériences de chacun sont différentes dans la salle, certains sont des habitués des gardes à vue, d’autres n’ont jamais mis un pied dans un commissariat et Rémi commence comme à son habitude par un exercice de travaux pratiques. Dans le rôle d’un policier, il commence par faire passer une audition à Hermine et très vite les questions s’axent sur sa vie personnelle, son salaire, le prix de son loyer. C’est le premier d’un des nombreux pièges contre lequel Rémi souhaite mettre en garde. Minutieux et une longue feuille de notes à la main, il détaille les points clefs d’une audition, les questions auxquels ne pas répondre, les risques encourus et l’attitude à garder.

Crédit image : Arthur Leblanc

Sa meilleure arme : garder le silence et ne rien avouer « Sauf si on vous accuse de quelque chose que vous n’avez pas fait comme des violences, vous avez tout intérêt à répondre que vous ne l’avez pas fait ». Il en sait quelque chose, il a été poursuivit pour violences non-commises envers un policier lors d’une action de désobéissance. Ce sont au final des images vidéos de son interpellation tournées par des militants qui auront permis de l’innocenter : « C’est très important d’avoir des gens qui filment justement pour ce genre de cas, cela permet de fournir des preuves de votre innocence si vous êtes injustement poursuivi ». Il faut en avoir conscience, sur le terrain, il est possible d’être accusé de tout et de n’importe quoi sans preuve.

Il continue sa formation sur les autres aspects de la garde à vue, de l’avocat commis d’office jusqu’au coup coup de fil à un proche, rien n’est oublié et tout est scruté dans les moindres détails jusqu’aux gardes à vues illégales et même les repas servis sur place, car questionné à ce sujet par un militant vegan. La formation finit par des échanges de numéros et surtout l’envie de s’investir par ces militants qui questionnent déjà le formateur à propos des prochaines actions de désobéissance civile. Pas de doute, un bon manifestant est un manifestant bien formé.

A.L.

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