Au mois de mai 2019, le projet minier Montagne d’Or était abandonné par une décision historique du Conseil de défense écologique français. L’extraction de l’or sur le territoire guyanais aurait signifié une déforestation majeure des forêts primaires de la région et l’éradication de ceux qui y vivent. Il n’aura fallu pas bien longtemps pour qu’un projet « bis » similaire voie le jour. La commission départementale des mines guyanaises vient de voter en faveur des prémices d’un nouveau projet du même type. La crise sanitaire faisant repartir le cours de l’or à la hausse, attisant la voracité des entreprises minières, les ONG s’inquiètent d’une recrudescence des extractions aurifères et de leurs impacts considérables sur l’environnement dans la région.

Le projet minier Montagne d’Or, qui devait constituer la plus grande mine d’or française à ciel ouvert, avait fait l’objet d’intenses mobilisations de la part de la population guyanaise et de nombreuses ONG avant d’être finalement abandonné il y a tout juste un an. Le WWF France avait par exemple longtemps dénoncé l’impact désastreux du projet, porté par un partenariat entre le géant russe Nordgold et l’entreprise canadienne Columbus Gold, sur un écosystème exceptionnel. Le déboisement considérable des forêts aurait impliqué la disparition des quelques 2000 espèces inventoriées sur le site du projet, dont 127 protégées. La raison aura finalement eu raison du projet.

La population locale s’est également fortement impliquée pour s’opposer au projet Montagne d’Or, notamment du côté des communautés indigènes qui ont affirmé leur opposition dès l’année 2017. Cette mobilisation a permis la démonstration factuelle de l’incompatibilité de ce projet avec les exigences de protection de l’environnement, de préservation de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique. Le gouvernement, au cours du premier Conseil de défense écologique, s’est ainsi vu dans l’obligation d’annoncer l’abandon du projet Montagne d’Or en mai 2019. Les ONG avaient alors salué une grande victoire pour la Guyane, la nature et le climat, espérant que cette décision historique permettrait de garantir que des projets comme Montagne d’Or ne voient plus le jour.

Déforestation massive et pollution des sols en vue

Aujourd’hui, cet espoir est pourtant déçu. Un projet similaire pourrait en effet se mettre en place dans quelques années. Le 29 avril, la commission départementale des mines guyanaises a rendu un avis favorable à la demande de renouvellement et d’extension pour dix ans d’une concession de mine détenue par la Compagnie Minière Espérance (CME), une société guyanaise. Au total, le projet a rassemblé 12 voix « pour », dont le président de la collectivité territoriale de Guyane et les services de l’État pour 5 voix « contre » (dont l’association Guyane Nature environnement, des représentants des communautés autochtones et le WWF) et deux absents.

Les exploitations aurifères impliquent une déforestation massive et une dégradation considérable des sols – Photo AFP

Pour obtenir ce renouvellement du titre minier, la CME devait exposer le projet envisagé pour cette surface. C’est ainsi qu’un premier aperçu d’une nouvelle mine industrielle à ciel ouvert a été dévoilé. Si la CME envisage de continuer à y exploiter de l’or alluvionnaire (exploitation dans le cours d’eau, sans intrant chimique), elle s’est aussi associée à la multinationale Newmont, l’une des deux plus grandes entreprises productrices d’or au monde, déjà présente au Suriname. La compagnie américaine espère y exploiter un gisement d’or primaire, de 65 tonnes selon les prévisions actuelles, dans la commune d’Apatou, proche d’un village d’Indiens Maroni. Ce gigantesque projet minier n’est qu’au stade de l’exploration pour le moment, mais il se ferait au prix d’une déforestation massive et d’une importante pollution des sols.

Un méga-projet de mine industrielle à ciel ouvert

D’après les documents mis à disposition lors de l’enquête publique sur le renouvellement du titre, l’extraction de 20 millions de mètres cube de roches serait nécessaire afin de creuser une fosse de 300 mètres de profondeur sur 1,5 km de longueur. Pour exploiter l’or primaire, il faut également traiter le minerai par une usine de cyanuration, créer des pistes, défricher, etc. « Ces éléments similaires avec le projet de Montagne d’Or en font un méga-projet de mine industrielle », explique Manouchka Ponce, coordinatrice de l’association Guyane Nature Environnement, qui précise que l’ensemble des détails du projet n’est pas encore connu.

Il est vrai que nous ne sommes qu’au stade du renouvellement du titre minier, mais le droit de suite édicté par le code minier actuel permet à la société de se voir garantir un permis d’exploitation pour tout projet dont l’exploration a donné des résultats. Il s’agit pour l’entreprise minière d’une sorte de garantie de retour sur investissement. C’est d’ailleurs un enjeu majeur de la réforme du code minier, que de nombreuses ONG s’efforcent de faire évoluer. Le gouvernement aura donc du mal à refuser à l’avenir le projet à la société qui aura investi dans l’exploration. « Pour cette raison, refuser de renouveler le titre minier est à nos yeux une étape cruciale pour éviter un projet de mine industrielle en Guyane », poursuit Manouchka Ponce.

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« Le concept de mine responsable n’existe pas »

Le renouvellement du titre doit encore passer en instruction auprès du Ministère de l’Economie, puis être délivré par le Conseil d’État. Pour cela, il doit répondre à des critères techniques, financiers et environnementaux précis. Sur ce dernier point, Guyane Nature Environnement estime que le dossier n’est pas satisfaisant car celui-ci fait état d’exploitation minière sans aucune autorisation pendant plusieurs années, ainsi que des remises en état de surfaces exploitées bien trop tardives ou non effectives. Sur d’autres concessions de l’entreprise Espérance, il n’y a eu aucune étude d’impact ou enquête publique, pourtant obligatoires, entre 2015 et 2016. La société guyanaise ne répond donc en aucun cas aux standards environnementaux.

En outre, quoique la multinationale Newmont promette, une exploitation de cette envergure ne pourra jamais répondre aux exigences environnementales car celle-ci nécessite des surfaces importantes déforestées et des procédés d’extraction dangereux dans des milieux sensibles. « Le concept de mine responsable n’existe pas » affirme Manouchka Ponce, « et nous ne voulons pas attendre que ce projet soit présenté en enquête publique dans quelques années pour le refuser ».

Outre l’exploitation « Espérance », d’autres projets pourraient voir le jour – Photo AFP

D’autres projets à venir

La levée de boucliers contre le projet provient aussi d’autres associations, comme le WWF, et des représentants des communautés indigènes. Le collectif Or de question, qui rassemble ces divers opposants à l’industrie minière, rappelle ainsi dans un communiqué que « la déforestation massive altère gravement la biodiversité, accélère les changements climatiques », alertant aussi sur le risque de favoriser ainsi « l’émergence d’espèces vectrices d’épidémies ».

La préservation des forêts primaires est d’autant plus importante qu’Espérance n’est pas le seul projet industriel en attente dans la région. La stabilité politique de la Guyane, comparée à ses voisins surinamais et brésiliens, attire en effet de nombreux investisseurs internationaux. D’autres sociétés minières guyanaises sont en train de s’associer avec des multinationales minières pour des gisements importants, si l’on en croit leurs communiqués de presse. Les projets Boulanger, Maripa, Dorlin et Bon Espoir (également porté par Newmont) pourraient ainsi bientôt faire parler d’eux.

Plusieurs titres miniers sont donc en attente de renouvellement. Si le Conseil d’État dispose d’arguments pour les refuser, notamment au regard des insuffisances environnementales, la crise que nous traversons pourrait faire pencher la balance en faveur de l’économie au nom de la relance de la croissance. La flambée du cours de l’or, valeur-refuge en temps de crise, pourrait en effet contribuer à une politique de relance économique par l’industrialisation aurifère de la Guyane. La preuve en est cette commission des mines organisée en pleine période de confinement, alors que la plupart des autres commissions administratives ont été reportées. Les combats à venir pour protéger l’écosystème guyanais promettent donc d’être plus rudes encore que la lutte contre le projet Montagne d’Or.

Raphaël D.

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