Dhaka, la capitale du Bangladesh, abrite un des endroits les plus pollués au monde : Hazaribagh. Pour cause, 95 % des tanneries bangladaises se situent dans ce quartier et ses alentours. Chaque jour, des milliers de litres de déchets hautement toxiques sont déversés dans la rivière Buriganga pour produire nos vêtements. Pascal Mannaerts nous présente aujourd’hui un reportage photo réalisé à Hazaribagh : des images poignantes montrant le quotidien des habitants de cette région et les conditions de travail abjectes dans les tanneries bangladaises. Pour suivre le travail du photographe, rendez-vous sur le site Parchemins d’Ailleurs.

Hazaribagh signifie littéralement «un millier de jardins». Mais ici, on ne trouve certainement pas de fleurs. Le bidonville est l’endroit le plus pollué de Dhaka, elle-même l’une des villes les plus polluées au monde.

Plus de 75 000 habitants vivent dans le quartier d’Hazaribagh et la plupart d’entre eux – adultes comme enfants – travaillent dans les usines et les tanneries. Le tannage (la transformation de peaux d’animaux en cuir) – plus particulièrement lorsque celui-ci est réalisé avec des techniques obsolètes comme c’est souvent le cas au Bangladesh – inclut de nombreux traitements chimiques et génère une quantité conséquente de déchets dont la toxicité est dangereuse aussi bien pour l’environnement que la santé humaine.

Le quartier est délabré, surpeuplé, mais ressemble étrangement à une ville fantôme.
Ici, les gens travaillent dur, de 12 à 14 heures par jour, sept jours par semaine. Ils gagnent généralement moins de 2 $ par jour, selon le syndicat local des travailleurs des tanneries.

La zone industrielle de Hazaribagh est l’un des endroits les plus pollués au chrome, résultant du rejet excessif de déchets contaminés par les tanneries durant ces dernières décennies. Une étude publiée le 25 mars 2020 dans la revue scientifique Science of The Total Environment a suivi l’évolution temporelle de la pollution de cette région. Bien qu’en 2017 des tanneries aient été déplacées de la zone de Hazaribagh, l’étude a conclu que la contamination des sols constitue toujours une menace pour la qualité des eaux se trouvant dans les nappes phréatiques.

L’exportation du cuir du Bangladesh est une industrie de 1 milliard de dollars par an, selon le Bureau de promotion des exportations du Bangladesh. L’amélioration de la qualité et les prix compétitifs ont attiré de plus en plus d’importateurs, principalement européens et asiatiques. 80 pour cent de la production de cuir du pays est exportée, principalement vers la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne et les Etats-Unis.
Les résidents et les travailleurs à Hazaribagh souffrent de cancers, de maladies de la peau, de fièvres, de problèmes respiratoires et de diarrhées, à cause de la pollution extrême de l’air, de l’eau et du sol. Le gouvernement ne protège pas le droit à la santé des travailleurs et des résidents et n’a jamais réussi à faire respecter les lois environnementales et les lois du travail à Hazaribagh.

Le chrome est considéré comme étant un cancérogène certain pour l’Homme. Pourtant, les travailleurs des tanneries d’Hazaribagh vivent au-dessus de ruisseaux et canaux pollués, sans oublier la pollution de l’air environnante, causée par le brûlage des morceaux de cuir par les recycleurs informels. Ainsi, les habitants du quartier souffrent pour beaucoup de pathologies respiratoires et d’affections de la peau, mais aussi de brûlures d’acide, d’étourdissements et de nausées.

Travaux dans l’un des bassins contenant du métabisulfite de sodium et de la chlorure d’ammonium.
Dans le cadre d’une enquête réalisée par Human Rights Watch, des représentants gouvernementaux ont déclaré qu’ils n’imposent pas de lois environnementales ou du travail à Hazaribagh, représentant environ 90% des tanneries au Bangladesh. Les tanneries d’Hazaribagh emploient jusqu’à 15.000 travailleurs (Rapport de Human Rights Watch, Toxic Tanneries: The Health Repercussions of Bangladesh’s Hazaribagh Leather, octobre 2012).

Selon le rapport 2012 de l’ONG Pure Earth (à l’époque nommée Blacksmith Institute), qui combat la pollution dans les pays en voie de développement, les tanneries font partie des dix industries les plus toxiques à l’échelle mondiale. De nombreux procédés sont nécessaires pour passer d’une peau d’animal au produit fini (traitements, teintures…). Chaque étape de la transformation fait appel à un grand nombre de substances chimiques, incluant notamment des sulfures (décomposition des poils) et des chlorures (décapage, conservation). L’utilisation de sels de chrome dans le processus de stabilisation soulève de nombreuses inquiétudes car, comme mentionné précédemment, c’est une substance très dangereuse pour la santé humaine. D’autre part, le tannage requiert d’immenses quantités d’eau dans un contexte de raréfaction déjà prononcé.

Les peaux traitées sont disposées sur le sol pour sécher au soleil
Sayeed a 17 ans. Il travaille à Hazaribagh depuis 3 ans maintenant. «J’ai une famille à soutenir et je dois manger. Rien d’autre ne compte, je fais ce que je dois faire».

L’industrie du cuir, cette abomination

Un homme transporte des déchets toxiques dans les ruelles d’Hazaribagh.
Les femmes affirment qu’elles sont moins bien payées que les hommes et qu’elles doivent également effectuer des tâches lourdes, normalement exécutées par des hommes, en plus de leur propre travail.

Au-delà de la catastrophe environnementale et sanitaire que le cuir représente, sa production est également synonyme de souffrances animales incommensurables dénoncées notamment par l’association de protection des animaux PETA : « Alors que la plupart des gens ne se verraient pas porter de la vraie fourrure, le cuir provient aussi d’animaux tués cruellement pour leur peau. ». La cruauté dans laquelle baignent les élevages industriels ne date pas d’hier et commence peu à peu à toucher l’opinion publique au vu des nombreuses révélations de ces dernières années.

Un grand nombre d’enfants travaillent dans les tanneries. Ils ont parfois seulement 11 ans. Ils y accomplissent des travaux dangereux, tels que l’immersion des peaux de bêtes dans des produits chimiques, la découpe des peaux tannées, notamment avec des lames de rasoir, et l’utilisation de machines dangereuses.
Presque toutes les personnes que je vois ici ne portent pas de gants pour travailler avec des produits chimiques et acides de toutes sortes.

Selon la PETA, plus d’un milliard d’animaux sont tués chaque année dans le but de produire du cuir et ce dans des conditions à la cruauté dans nom : « confinement extrême dans des cages ou enclos crasseux, la castration sans traitement antidouleur, les infections chroniques et les maladies causées par un entassement extrême et un voyage terrifiant à l’abattoir. » Sont concernés les vaches, les veaux, les chevaux, les agneaux, les chèvres, les cochons mais aussi chiens et chats. Aussi, en achetant un produit en cuir, on ne peut aisément connaître l’origine exacte de celui-ci, les étiquetages laissant toujours à désirer. De quoi réfléchir à deux fois avant de se rendre dans une maroquinerie : boycott et alternatives (cuir végétal par exemple) sont aujourd’hui de mise.

L’industrie textile est la deuxième industrie au Bangladesh (la première étant la production de jute). Les chaussures, sacs et vestes qui sont faites ici seront vendus dans les pays occidentaux.
Un homme porte un panier rempli de restes de peaux d’animaux.

Une main-d’œuvre à bas coût… mais à quel prix ?

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Ici, la plupart des tanneries utilisent des méthodes de traitement obsolètes et déversent chaque jour 22.000 litres cubes de déchets toxiques dans le principal fleuve de Dhaka. Les habitants font face à des taux élevés de maladies cutanées et respiratoires, ainsi que des brûlures à l’acide, des éruptions cutanées, vertiges et nausées.
Des adolescents tentent de récupérer leur ballon de foot tombé dans un canal drainant les eaux usées et toxiques depuis les usines vers le fleuve Buriganga.

Au Bangladesh, l’industrie emploie un cinquième de la main-d’œuvre du pays et représente 28,5 % du PIB et les tanneries ne sont pas le seul gouffre sanitaire et social à l’échelle nationale. L’industrie du textile et de l’habillement domine largement le pays et concerne l’immense majorité des exportations de celui-ci. Les pays importateurs sont principalement ceux de l’Union européenne, les Etats-Unis et la Chine. Sans surprise, le Bangladesh abritant l’une des mains d’oeuvre les moins chères au monde, le dogme de la concurrence et la quête de rentabilité font de l’Occident un participant actif au désastre sanitaire et environnemental dans lequel baignent les bangladais vivant à Hazaribagh… et pas seulement.

Un canal pollué, devant une habitation de Hazaribagh
Travailleur, Hazaribagh

En 2013, le média indépendant Basta ! dénonçait des conditions de travail abjectes dans l’industrie textile bangladaise mais aussi l’implication des multinationales qui font fureur dans le monde occidental, dans un article intitulé « Au Bangladesh, une ouvrière du textile meurt tous les deux jours ». En effet, en Occident, de nombreuses grandes enseignes ont recours à la main d’oeuvre bangladaise pour son bas coût. Précisons ici qu’en à peine quatre jours, le PDG de l’une des 5 marques les plus importantes du secteur textile à l’échelle internationale, gagne autant qu’une ouvrière bangladaise travaillant dans la confection au cours de sa vie entière.

Une mère travaille avec ses enfants dans un entrepôt de recyclage de bouteilles en plastique et de poubelles.
Une dame marche le long de l’un des étangs remplis de déchets toxiques qui parsèment le quartier et qui longent les habitations.
L’un des nombreux étangs du quartier où sont déversés les déchets en tout genre.
Travailleur, Hazaribagh
Des femmes travaillent dans un étang fétide d’Hazaribagh. Elles trient des déchets plastiques.
Un homme grimpe sur un monticule de déchets dans un entrepôt de tri de bouteilles en plastique.
Un homme trie des ordures ménagères et des bouteilles contenant toutes sortes de produits chimiques et de médicaments, en l’échange d’une poignée de thakas.
Travail des enfants, Hazaribagh
Travail des enfants, Hazaribagh

Pascal Mannaerts / Elena M.

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