En 1930, le célèbre économiste John Maynard Keynes s’interrogeait sur le temps de travail hebdomadaire qu’effectuerait l’humanité un siècle plus tard. À l’époque, il était persuadé que grâce au progrès technique nous pourrions nous contenter de 15h par semaine. Plus de 90 ans après, nous sommes très loin du compte. Pire le rouleau compresseur capitaliste et néolibérale ne cesse même de prôner le rallongement de notre activité professionnelle. Pourtant la réduction du temps de travail serait un véritable bénéfice pour notre société occidentale ! Voici 5 raisons qui le prouvent. 

#1 – Pour diminuer le chômage

Le chômage est sans doute l’un des fléaux de notre temps. En France, toutes catégories confondues, il touche plus de 5,8 millions de personnes.

Or, la quantité de travail nécessaire au fonctionnement de notre société ne peut pas être augmentée à l’infini. Il est même absurde de sans cesse courir après une croissance illusoire qui serait censée développer l’activité économique ad vitam aeternam réduisant chaque fois le nombre de demandeurs d’emploi.

En 2021, en France, on comptait par exemple treize fois plus de chômeurs que d’emplois vacants. Autrement dit, même si nous forcions – sans la moindre considération humaine ou de long-terme – un maximum de personnes à exercer un travail pour lequel ils n’ont absolument aucune appétence, même si nous obligions tout un tas d’autres candidats à déménager loin de leurs proches et de leur vie pour correspondre aux tendances géographiques du marché de l’emploi et même si nous leur imposions aveuglément des postes pour lesquels ils sont sur ou sous-qualifiés, le taux de chômage resterait quasi-intacte. 

Malgré ces données, les représentants du néolibéralisme réclament toujours plus d’heures de labeur par individu et veulent, en plus, repousser l’âge du départ à la retraite. Or, en agissant de cette manière, ils ne font que réduire le nombre d’heures de travail disponibles pour une quantité de potentiels employés. Si l’on souhaite que chacun puisse disposer d’un poste rémunéré, il est donc nécessaire de partager nos tâches.

Les leviers les plus simples pour parvenir à cet objectif sont bien sûr l’abaissement de l’âge du départ à la retraite, ainsi que la réduction du temps de travail hebdomadaire et/ou quotidien. Plusieurs compagnies ont d’ailleurs déjà mis en place la semaine de quatre jours, bien plus saine en termes d’organisation et de rythme du travail et sans aucune conséquence négative sur la santé de l’entreprise, bien au contraire.

Évidemment, si l’on veut amoindrir nos tâches de manière significative, il est nécessaire que la richesse créée soit également mieux partagée. Il ne serait, en effet, pas question que les salaires soient tronqués. Ces mesures sont ainsi souvent pensées de pair avec un soutien de l’État envers les petites entreprises. Par exemple en taxant très fortement les multinationales.

#2 Pour profiter de la vie

Philosophiquement, il paraît également totalement absurde de passer le plus clair de son temps à travailler. Un chercheur britannique estime d’ailleurs que la diminution travail serait l’une des clefs du bonheur.

Et si certains se donnent corps et âme à leur emploi avec plaisir, d’autres peinent à trouver un sens à leur activité. Selon un sondage Odoxa, près de neuf Français interrogés sur dix déclarent régulièrement juger leur profession ennuyeuse. Pour 50 % d’entre eux, c’est le fait que leur fonction n’ait pas d’utilité qui prévaut. Avec la recrudescence des « jobs à la con », on ne peut que les comprendre.

L’anthropologue David Graeber, à l’origine du concept, estime même que dans le monde « la moitié du travail accompli pourrait être éliminé sans aucune conséquence ».

Or, réduire drastiquement le temps de travail pourrait également passer par la suppression d’emplois inutiles pour la société. Au fond, que chacun puisse faire une activité indispensable durant quinze ou vingt heures par semaine aurait bien plus de sens qu’une partie de la population effectue une tâche sans intérêt pendant que le reste se morfond dans le chômage et la précarité.

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Cela permettrait, de plus, à chacun de s’épanouir dans des occupations extra-professionnelles, de consacrer plus de moments à ses loisirs, à ses passions et aux autres. Tout le monde pourrait ainsi profiter de sa famille, de ses amis et aider ceux qui en ont besoin. Ce serait également beaucoup de temps débloqué pour les activités créatives, associatives, écologiques, ou innovantes. Autant de points susceptibles d’améliorer la société.

À l’heure actuelle, pour en arriver là, il semble qu’il faille attendre l’âge de la retraite. Or, à ce moment de nos vies, pour beaucoup, nous n’avons plus l’énergie, le temps, et surtout, plus l’état de santé que lors de nos jeunes années.

Enfin, pour parvenir à une vraie démocratie, du temps serait également nécessaire à chaque personne. Et pour cause, assommés par leur emploi et leurs responsabilités, la plupart des Français n’ont pratiquement aucun moment à consacrer à l’organisation du pays et la citoyenneté. Comment s’informer correctement, comment réfléchir à nos modes d’existence, comment même lire un programme politique, lorsque l’on n’a pas une minute à soi ?

#3 C’est bon pour la planète, et donc notre survie

C’est sans doute la raison la plus importante : réduire notre cadence de travail soulagerait très fortement la planète. Et pour cause, c’est le culte de la croissance qui est probablement à l’origine de la situation actuelle. En associant la consommation et la production au progrès et au bien-être, l’humanité s’est indubitablement tiré une balle dans le pied. Notre rythme d’activité dépasse celui du renouvellement de nos ressources (pour celles qui sont en capacité de se régénérer). Il est donc absurde de vouloir toujours plus se mettre à la tâche si notre monde est incapable de le supporter.

Ce constat est d’autant plus évident, que le problème n’est pas seulement lié à ce que nous prélevons à la planète, mais aussi à l’empreinte que nous laissons. Il faut également prendre en compte la faculté de notre environnement à absorber les gaz à effet de serre. Or, à l’heure actuelle, notre cadence effrénée produit beaucoup trop et entraîne donc un dérèglement climatique qui nous conduit droit à notre perte.

Notons aussi que réduire notre tâche hebdomadaire faciliterait la limitation de nos déplacements. Selon une étude, passer à la semaine de quatre jours permettrait ainsi au Royaume-Uni de diminuer ses émissions de 21,3 %.

Pour affronter ces circonstances, il n’existe pas d’autres solutions que celle de la décroissance, c’est-à-dire accepter de produire moins. Notons cependant que la quantité créée n’est pas le seul critère ; la nature de ce que nous fabriquons compte tout autant. C’est par exemple de la production de légumes en maraichage sur sol vivant qui elle, au contraire, ne nécessiterait pas de réduction mais probablement plus d’efforts et de bras.

Et pour cause, si l’on se contentait de réduire notre labeur sans rien changer à ses caractéristiques, il faudrait abaisser notre seuil d’activité extrêmement bas. Un chercheur a ainsi calculé qu’avec leur mode de production actuel, pour arriver à un modèle soutenable, les Allemands devraient travailler seulement 6 h par semaine, les Britanniques 9 h et les Suédois 12 h.

Si la décroissance est donc une voie à suivre, elle ne peut être appliquée d’une manière aussi basique ; elle doit cibler les activités les plus nocives et au contraire développer celles nécessaires à notre existence.

#4 C’est une mesure féministe

Avec la réduction du temps de travail rémunéré se pose inévitablement la question de celui qui n’est pas rétribué. Il concerne tout le labeur domestique, le bricolage, le jardinage, les tâches ménagères, l’éducation des enfants, etc. Et à ce petit jeu, les femmes sont bien plus accaparées que les hommes.

Selon une enquête, les Françaises y consacreraient pas moins de 6 h 40 par jour de travail domestique gratuit contre seulement 3 h 10 pour leurs homologues masculins. 42 % des femmes disent alors qu’elles ne peuvent avoir un travail rémunéré en raison de la charge trop importante du travail de soin dont elles ont la charge au sein du foyer. Ainsi, on se retrouve avec des hommes qui disposent de plus d’heures en tant que salarié (6 h 30 en moyenne) tandis que la gent féminine en réalise 4 h 20 chaque jour – très souvent dans les métiers du soin (moins reconnus). Sachant que sur ce travail rémunéré, les femmes sont 28 % moins bien rétribuées que les hommes.

En réduisant le temps de travail payé, on peut ainsi espérer une meilleure répartition du travail salarié et du travail domestique entre les deux sexes. Il s’agirait tout au moins d’une occasion d’y parvenir. Il faudrait évidemment qu’elle s’accompagne d’une évolution des mentalités. Une mesure pourrait également être de rémunérer le travail domestique au sein des foyers. 

#5 Pour améliorer la santé

En 1866, le politicien Jules Simon disait du travail qu’il est « salutaire pour le corps et pour l’âme ». Depuis, les capitalistes n’ont eu de cesse de glorifier l’occupation professionnelle, en en faisant l’alpha et l’oméga de l’existence.

Pourtant, bon nombre de métiers usent, mentalement et physiquement. Et parfois, même, ils tuent. Ainsi, 733 personnes ont trouvé la mort sur leur lieu d’activité en 2019. 283 individus ont perdu la vie sur leur trajet domicile-travail et 248 suite à une maladie liée à l’emploi. La même année, il y a également eu pas moins de 783 600 accidents de travail dont 39 650 ont débouché sur une incapacité permanente. Tout au long de l’existence, la tâche finit aussi par consumer les corps et détériorer la santé. C’est bien pire pour les plus pauvres : 25 % des hommes les plus précaires sont d’ailleurs déjà décédés avant d’atteindre 62 ans. Et l’espérance de vie en bonne santé n’est guère supérieure à cet âge.

Psychologiquement, l’emploi peut devenir une lourde charge. L’an passé, une enquête révélait d’ailleurs que 2,5 millions de travailleurs étaient sévèrement surmenés. Trois Français sur dix déclarent également très mal vivre l’ennui professionnel. Même s’il est difficile de le quantifier, on sait, en outre, qu’il peut être l’un des facteurs de suicide.

À la lumière de tous ces constats, il paraît très logique d’estimer qu’une baisse du temps de travail ne pourrait qu’améliorer la santé des citoyens. Elle permettrait par exemple de diminuer la fatigue aussi bien physique que psychologique et d’augmenter le bien-être. Bon nombre de maladies pourraient sans doute être évitées.

En conclusion…

La réduction du temps de travail et son changement de nature permettrait donc de  diminuer le chômage, de profiter de la vie, de prendre soin de la planète et de l’égalité femme-homme, d’être en meilleure santé. Pour d’autres très bonnes raisons, il n’y a qu’à consulter l’ouvrage Travailler moins pour vivre mieux de Céline Marty, Professeure agrégée de Philosophie, paru en octobre 2021, aux éditions Dunod.

Malgré toutes ces considérations irréfutables, les pouvoirs publics français prennent une direction radicalement différente. En première ligne, Emmanuel Macron, n’hésitant pas à mentir en affirmant que les Français seraient moins à l’œuvre que leurs voisins. Alors que les 35 h ont largement été détricotées, le président prévoit même de reporter l’âge de départ à la retraite à 65 ans et renie totalement le principe de décroissance. Une nouvelle fois à rebours du sens de l’Histoire.

– Simon Verdière


Image de couverture @Tarsila do Amaral – Workers (1933)

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