Il y a quelques jours, le blocage intégral du site satirique Nordpresse sur Facebook va propulser le petit média belge dans le top des sujets discutés sur Internet. Simple bug comme l’affirme Facebook ou censure ? Nordpresse semble avoir tellement de portée aujourd’hui que même Emmanuel Macron en personne a fait référence à une de leur satire lors de son discours sur l’affaire #Benalla (les fameux codes nucléaires). De nombreux médias francophones ont pris le parti de la multinationale, accusant Nordpresse de crier à la censure sans bonne raison, et, la plupart du temps, sans même prendre la peine de contacter son responsable. Nous avons donc échangé avec Vincent Flibustier, le citoyen belge à la tête du fameux site, afin de recueillir sa version des faits.

Mr Mondialisation : Il y a quelques jours, le nom de domaine de Nordpresse était soudainement bloqué sur Facebook, entrainant la suppression de centaines de partages de vos articles sur le réseau. Après un bad-buzz de quelques 40 000 partages suivit d’un court déblocage, votre site était de nouveau banni sans explication. Comment avez-vous vécu cette expérience ? Que s’est-il passé selon votre point de vue ?

Nordpresse (Vincent Flibustier) : Ce qu’il s’est passé factuellement c’est que TOUS LES LIENS NORDPRESSE postés sur le réseau social depuis sa création en 4 ans ont été supprimés sur des millions de profils. En commençant par les articles les plus récents, petit à petit, des centaines de personnes ont commencé à recevoir des notifications selon lesquelles leurs liens avaient été supprimés.

Par la force des choses, la quasi-totalité des derniers liens d’actualité concernait l’Affaire Benalla. À noter qu’à l’origine de la censure, 2 heures après le début de l’opération, il restait toujours des liens Nordpresse visibles et le domaine n’était pas encore banni complètement. Il y a donc eu d’abord un premier nettoyage. Ensuite, vers 11h ce jour là, c’est le domaine entier (nordpresse.be) qui a été bloqué sur le réseau, Facebook indiquant aux utilisateurs que l’URL était bannie. Il n’était donc plus possible de poster nos liens de manière classique et les précédents partages avaient disparus.

https://twitter.com/Nordpresse/status/1020952411161100289

Mr M : Facebook a officiellement répondu qu’il s’agissait d’un simple bug, contrecarrant l’idée qu’un administrateur isolé puisse être à l’origine du blocage. Des médias « vérificateurs » comme le CheckNews de Libération ont pris l’affirmation de la multinationale comme argent comptant. Il existerait donc un étrange bug pouvant annihiler un quelconque média de la plateforme. Que pensez-vous de cette réponse ? Une autre explication est-elle possible ?

N.P.: Ce que je pense, c’est qu’il est très, très peu probable que Facebook possède un mécanisme de suppression automatisé de millions de liens sur des milliers de profils en même temps. On le sait via pas mal d’articles désormais, la censure Facebook (ou « modération », le mot sympa pour dire retrait de contenu) est manuelle, même si elle est assistée par de l’algorithme pour trier plus rapidement et faire arriver devant les modérateurs plus vite un contenu pédophile qu’une blague un peu nulle.

Du coup, ce qu’on pense, c’est qu’il s’agit probablement d’un humain, chez eux, qui a décidé de nous supprimer unilatéralement. Pourquoi l’a-t-il fait ? Aucune idée. Mais c’est arrivé le même matin où on pouvait lire dans le Parisien que le cabinet d’Edouard Philippe était content que cela « ne prenne pas sur Facebook tout cette affaire Benalla, les gens s’en foutent ».

Avec Nordpresse, on a quand même, quoi qu’en disent nos détracteurs, participé fortement à la diffusion de l’histoire, par des trucs (volontairement) bidons certes, mais en rajoutant donc de l’attention populaire sur cette importante affaire. Les chiffres de visites atteint sur le site ont déjà été plus élevés par le passé, mais jamais sur une seule et même affaire et pendant aussi longtemps ! un gros buzz s’arrêtant en général au bout de 24 à 48h.

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Des titres volontairement exagérés qui laissent peu de place au doute

Ce qui nous fait penser que Facebook a quelque chose à cacher, c’est que, selon les journalistes qui ont contacté la société, ils disent avoir voulu nous contacter pour nous parler du bug mais n’auraient pas réussi à le faire. Facebook n’est donc pas capable de contacter quelqu’un qui a un compte et une page Facebook (en plus de nos infos de contact sur le site web, coordonnées, etc)… Un peu léger comme explication.

Ensuite, si c’est effectivement un bug, un automatisme (par exemple, une mesure technique qui supprime automatiquement un domaine en cas de trop nombreux signalements d’un seul coup), c’est encore pire ! Ceci voudrait dire que des petits malins peuvent déclencher chez Facebook la suppression intégrale d’un site comme mrmondialisation.org pendant un week-end d’élections, en lançant simplement des millions de signalements artificiels.

Bref, dans un cas comme dans l’autre, il y a quelque chose qui ne va pas !

Mr M : Nous mêmes observons de loin votre évolution. Nous avons constaté que la tournure de vos articles a évolué vers plus de satire sarcastique, voire nihiliste, de la société, même si certains articles restent strictement humoristiques. Assumez-vous cette dimension « politique » au sens citoyen du terme ?

N.P.: Je suis assez radical là-dessus, peut-être trop bourru ou binaire. Mais je pense que l’humour gentil est un humour qui sert le pouvoir. Je pense que quand on a un grand pouvoir médiatique, on se doit d’ouvrir « sa gueule » et d’afficher clairement ses positions. En tous cas, il est délirant de reprocher à des gens qui ont une activité médiatique d’afficher leurs convictions. Il semblerait que, par le passé, on admirait les artistes engagés, mais aujourd’hui on préfère des artistes qui ferment leur gueule, font seulement dans le « gentil humour » qui ne blesse personne et satisfait entièrement leur public.

Moi avec Nordpresse, j’ai jamais essayé de plaire. J’ai fait depuis le début, avec les dizaines de super rédacteurs qui écrivent avec moi, un site qui me plaisait personnellement. Et du coup aux rédacteurs qui sont venus s’y greffer. Je ne cherche pas à brosser les gens dans le sens du poil. Je ne cherche pas à être le plus célèbre et apprécié possible. Je n’hésite pas à bannir des lecteurs racistes ou trop cons pour saisir mon travail. Je n’hésite pas à remettre à leur place des gens, qui, quand je critique Israël, hurlent « trop bien t’as raison nique les juifs ». Je leur dit « casse toi, t’as rien à faire ici ». Aujourd’hui, beaucoup de gens du milieu de l’humour, que j’ai pas mal fréquenté, cherchent à brosser leur public dans le sens du poil. Ils pensent avant tout à leur carrière et à faire grandir leur audience. Moi, mon audience depuis le début elle est à peu près la même. J’ai une « niche » et ça me convient très bien. Je suis fier de ne pas avoir baissé la tête pour plaire à des gens à contre-cœur.

Les images elles-mêmes suffisent souvent à détecter la satire

Mr M : Pensez-vous que des personnes partagent vraiment vos contenus sans en comprendre la dimension humoristique ? Comment leur expliqueriez-vous la différence entre une fake-news et vos contenus ?

N.P.: La majorité des gens qui partagent Nordpresse en 1ère ligne savent ce qu’ils lisent. Ensuite, cela s’affiche dans le fil d’actu de leurs amis, puis des amis de leurs amis.. et là on tombe sur des gens qui ne pigent rien.

Mais fondamentalement, je ne réfute pas le terme de fake news. Je pense, comme le site getbadnews.com et ceux qui sont derrière, que c’est intéressant d’apprendre aux gens à se protéger en les confrontant au maximum avec de fausses informations. Je n’ai pas envie de croire, comme beaucoup, que les gens soient cons à ce point, et qu’il faudrait les protéger des informations dangereuses par la censure. Je pense au contraire qu’il faut armer chacun pour pouvoir se protéger intellectuellement et faire la part des choses. Je pense qu’il faut pousser les individus à lire plein de sites différents, plein de journaux et confronter les sources. C’est une dimension qui n’est pas du tout poussée par les médias traditionnels qui cherchent à conserver un maximum de public dans un secteur à l’agonie et où ils se battent tous pour être l’Highlander du marché.

Mr M : Piège moi une fois, honte sur toi. Piège moi deux fois, honte sur moi. À ce titre, quel est le rôle de Nordpresse dans la lutte contre la désinformation et le développement de l’esprit critique chez les lecteurs ? Que faites-vous à titre personnel contre ce fléau ?

N.P.: J’y ai déjà répondu en partie. Mais je fais aussi des animations avec les enfants dans les écoles secondaires de Belgique sur les fausses informations. J’ai également monté une formation sur les fakes-news destinée aux professeurs. Elle sera active l’an prochain. Elle s’appelle « Fake News : Apprendre à en créer pour s’en protéger ». L’idée, que j’appliquais déjà dans les écoles en 2 heures d’activité, est de faire le tour de tout le phénomène en 2 jours afin d’apprendre réellement aux gens toutes les ficelles, les biais cognitifs et les techniques qui font qu’une fausse information est crue par un public.

Le site n’hésite pas à tacler des personnages politiques

Mr M : Par la force des choses, votre communauté crée également des « running gags ». Cela entraîne parfois des caricatures lourdes et redondantes de certaines minorités, comme les végans et végétariens. Ne pensez-vous pas que vous en faites de trop à certains moments ?

N.P.: Je suis carnivore parce que je suis un connard égoïste à ce niveau là. Je pense pourtant qu’il faudrait qu’on arrête tous de manger de la viande. Et je pense que les vegans gagneront à terme. Que dans 50 ans, on aura un regard sur les animaux similaire au regard qu’on porte aujourd’hui sur les droits des femmes : « Comment est-il possible qu’on les laissait pas voter… » à une certaine époque. Je pense que c’est l’évolution du monde et qu’ils ont raison. Mais je pense aussi que, comme dans toutes les communautés qui se battent, il y a beaucoup de gens qui sont là pour se trouver une cause à défendre et qui en deviennent insupportables. Il est donc un peu rigolo de se foutre gentiment de leur tronche. Mais c’est clair que là, pour le coup, je trouve moi aussi que c’est finalement une manière de brosser mes lecteurs dans le sens du poil et que ce n’est pas ce qui nous grandit.

Mr M : Certains vous reprochent aussi d’utiliser la technique des faux URL dans vos liens, ce qui aurait tendance à tromper davantage les lecteurs qui ne vérifient pas leurs sources ou se contentent de lire les titres. Que leur répondez-vous ?

N.P.: Que les gens vérifient leurs sources et ça n’arrivera plus. Réellement, on doit apprendre aux gens à se méfier de tout, tout le temps. Ou pour le dire de manière plus scientifique, à douter. À faire de la zététique. Ce n’est pas être complotiste que de remettre tout en question, tout le temps, tant qu’on le fait avec méthode.

Il est certain que ça ne doit pas faire plaisir à tout le monde…

Mr M : Enfin, on a vu des journalistes « mainstream » vous accuser de générer beaucoup d’argent sur le dos des utilisateurs. Nous trouvons personnellement cette approche douteuse à l’heure où ces mêmes médias se gavent à la fois de fonds publics et de l’argent de sociétés privées comme Google ou Facebook. Quelle valeur a cet « argument » à vos yeux ? Pouvez-vous nous exposer votre réalité derrière l’écran ?

N.P.: Qu’ils viennent voir mes fringues et ils verront si je suis riche.

Il est vrai. J’ai gagné pas mal d’argent à un moment (jusqu’à 5000€ brut facturés/mois pendant quelques mois), mais il a bien été utilisé en procédures judiciaires, en employés qui m’ont coûté cher pour rien du tout, en impôt… Bref, je roule pas sur l’or et je dépense beaucoup dans l’économie locale et les loisirs culturels/gastronomiques/festifs. Donc cet argent revient vite dans le circuit.

Nordpresse n’a jamais été une activité hyper rentable, surtout vu le temps que j’y passe avec les emmerdes à la clé… Si je continue, c’est parce que j’ai pas envie d’abandonner le bébé et que ça fait vraiment plaisir à pas mal de mondes. Mais Nordpresse est plus un boulet qu’une chance. Parce-que la célébrité et la pression médiatique, j’en ai rien à faire, je préfèrerais regarder pousser mes carottes ! Et d’ailleurs, à mon avis, dans 5 ans j’aurai coupé tout lien à internet vu comme ce monde commence à me désespérer.

Mr M : On tient à vous remercier pour la sincérité de cet échange. C’est assez rare dans un monde où toute parole est marquetée, étudiée, mesurée pour atteindre sa cible commerciale et, finalement, rarement sincère. Pour ça, merci !


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