Depuis les crises successives de ces dernières décennies comme celles du siècle dernier, il fait nul doute : le Capitalisme est un modèle qui gouverne le Monde, aliène l’Homme et la Nature. Aliéner, Aliénation, comprise dans sa dimension philosophique comme étant la dépossession de l’individu, c’est-à-dire la perte de sa maîtrise et de ses forces propres, au profit d’un autre individu, d’un groupe, ou pire encore, de la Société en général. À l’ère de l’opulence et de la consommation à outrance, le Capitalisme, toujours plus fort, n’est-il pas en train de s’emparer de l’Homme lui-même ? Nous penserions Capital, nous respirerions Consommation, nos cœurs pulseraient Argent et Libéral, à notre insu, complètement aliénés, à la fois créatures et instruments de notre propre perte. L’individu libéral serait-il devenu le Bourgeois d’outre-temps, ou plutôt : Sommes-nous des Bourgeois qui s’ignorent ?

La Bourgeoisie

L’idée même de Bourgeoisie semble être un concept d’outre-temps. Mais qu’est-ce que le Bourgeois ? A-t-il vraiment disparu ? Car si ce mot refait surface, c’est peut-être que le Bourgeois est toujours parmi nous ! Du Bourgeois, François Bégaudeau nous dresse un magnifique portrait dans Histoire de ta bêtise, ou encore Bruno Amable et Stéfano Palombarini dans L’illusion du bloc bourgeois — Alliances sociales et avenir du modèle français, qui prédirent la victoire d’Emmanuel Macron à la présidentielle de 2017 dont nous parlerons plus loin.

À l’origine, le bourgeois désigne historiquement l’habitant du bourg, c’est-à-dire les gens de la ville, notamment les commerçants, les artisans, en opposition avec les gens qui habitent la campagne et la paysannerie. Il devient au Moyen-âge et jusqu’à l’Ancien Régime un statut juridique. La Bourgeoisie devient enfin une classe sociale sociologiquement définie notamment à partir de l’époque contemporaine.

Ce qui nous intéresse ici en particulier, c’est la notion du Bourgeois telle que nous la définissent François Bégaudeau et Bruno Amable. Deux formes de bourgeoisie s’extériorisent, le Bourgeois idéologique, dit encore la bourgeoisie intellectuelle, qui incarne une pensée, un mode de vie en soi, et le Bourgeois disons plus factuel, patrimonial en quelque sorte.

Le Bourgeois factuel, c’est la upper classe, les fameux premiers de cordée, ceux dont le patrimoine est conséquent. C’est ce qu’on appelait autrefois la « grande » bourgeoisie. La définition du Larousse est parfaite : ensemble de gens fortunés, n’exerçant pas de métier manuel, dont les ressources proviennent de la plus-value sous toutes ses formes, et constituant la formation sociale qui détient l’essentiel des pouvoirs de décision dans la société capitaliste (accumulation du capital, investissements, constitution de monopoles, etc). Les grands patrons, les rentiers, les 1%…

Le Bourgeois intellectuel ou idéologique, est plus difficile à cerner. C’est un genre, un mode de vie, une façon de penser. C’est celui que « la société ne fait pas chier » nous dit François Bégaudeau sans mâcher ses mots. C’est le « petit » bourgeois d’antan, sans grand pouvoir financier, mais tout simplement aisé. Il vit « bien » et ne questionne pas les rapports de force entre les classes.

Le Test du Bourgeois

Voyez-vous, l’esprit du « Bourgeois » va au-delà de son compte en banque. Et vous seriez surpris d’apprendre que nous pourrions tous être des bourgeois qui s’ignorent ! Voici un petit questionnaire élaboré par François Bégaudeau dans son livre Histoire de ta bêtise. Si vous répondez « oui » au moins à l’une de ces questions, vous êtes peut-être un bourgeois qui s’ignore. Prenez garde, car : « le propre du bourgeois, c’est de ne jamais se reconnaître comme tel » !

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  • Tu votes toujours au second tour des élections quand l’extrême droite y est qualifiée, pour lui faire barrage.
  • Par conséquent, l’abstention te paraît à la fois indigne et incompréhensible.
  • Tu redoutes les populismes, dont tu parles le plus souvent au pluriel.
  • Tu es bien convaincu qu’au fond les extrêmes se touchent, se valent.
  • L’élection de Donald Trump et le Brexit t’ont inspiré une sainte horreur, mais depuis lors tu ne suis que d’assez loin ce qui se passe aux États-Unis et en Grande-Bretagne.
  • Naturellement tu dénonces les conflits d’intérêts, mais tu penses qu’en voir partout relève du complotisme.
  • Tu utilises parfois (souvent ?) dans une même phrase les mots racisme, nationalisme, xénophobie et repli sur soi.
  • Tu leur préfères définitivement le mot ouverture.

Alors ? Sommes nous des bourgeois qui s’ignorent ? De toute évidence, la méthode de François Bégaudeau est volontairement provocatrice et critique. Mais elle a l’avantage de provoquer un questionnement personnel nécessaire.

Le Vice du modèle Bourgeois

Être un bourgeois ou ne pas être ? Telle est la question.

Le modèle bourgeois actuel est un genre d’American Way Of Life globalisé. Le rêve de l’individu libéralisé. L’aboutissement d’un modèle, le Capitalisme mondialisé, qui fétichise l’Homme alors devenu lui même marchandise. Se mêlent alors sur l’échiquier les concepts phares d’un devoir de philosophie : désir, irréel, aliénation, consommation, dont la synthèse se résume en la définition du PIB, notre indicateur de richesses, qui n’est autre que : la somme de tous les revenus = à la somme de toutes les dépenses = à la somme de la production du pays en valeur ajoutée. Production, Revenus, Dépenses, le trio d’enfer, la sainte trinité de la Croissance. Le bourgeois actuel ne serait-il alors pas un religieux, croyant fermement, sans pouvoir/vouloir le reconnaître, aux mantras de l’économie moderne ?

Nous travaillons à produire des biens, pour obtenir des revenus, qui seront dépensés à consommer ces mêmes biens, générant en retour des revenus pour produire à nouveau, en attendant l’effondrement. Ouroboros. Le serpent qui se mord la queue. Et à terme, la note risque d’être salée. Notre Sacro-Sainte Croissance nous poussant vers l’Effondrement.

« Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner »

– Warren Buffet, 4ème fortune mondiale.

Le bloc Bourgeois & la Lutte des classes

Si tu ne sais pas c’est qui, rien ne va plus !

En réinstaurant l’idée d’un bloc bourgeois, François Bégaudeau et Bruno Amable veulent remettre au centre du jeu l’idée d’une Lutte des Classes alors oubliée. C’est Karl Marx (1818-1883), dans le « Manifeste du Parti Communiste », qui théorise la lutte des classes comme l’opposition virulente des classes sociales, que sont, le prolétariat et la bourgeoisie, en raison de l’exploitation de la première par la seconde qui possède le Capital. Une lutte des classes bien actuelle, que la classe dominante semble, pour l’heure, remporter. Warren Buffet, 4ème fortune mondiale (72 milliards de dollars), a dit lui-même : « Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner ».

En effet, le combat est réel et sur tous les plans, et c’est peut-être la raison pour laquelle les termes bourgeois, luttes des classes, prolétariat, métallo, ouvrier ont disparu, tout comme les représentations théoriques avec le déclin de la référence marxiste dans le champ intellectuel. Ce que le modèle « gagnant » ne peut supporter d’entendre est éliminé du débat intellectuel. À l’ouvrier.ère et le salarié.e, l’on préfère désormais le mot travailleur/travailleuse, au métallo l’on préfère le « beauf », au bourgeois/l’entrepreneur, la upper classe, les 1ers de cordée. Dans l’imaginaire et la représentation collective, la classe dominante occupe tout l’espace disponible. En politique, à la télévision, à la radio, partout. Seulement 4% des personnes interviewées ou visibles à la télévision sont des ouvriers, contre 60% chez les cadres.

Même le cinéma et Hollywood ne dérogent pas à la règle. N’avez vous jamais remarqué ? Bruce Wayne (Batman), est un milliardaire dont la fortune est estimée à 80 milliards de $, ou encore Tony Stark (Iron Man), culminerait à 100 milliards de $. Vous pouvez si vous le souhaitez consulter le Top 8 des « Super-Héros les plus riches de la planète«  pour en avoir le cœur net. Le concept même de héros s’accorde parfaitement avec le néolibéralisme, où un individu isolé brave tous les défis à lui seul. Il peut éventuellement s’associer à d’autres pour une cause ponctuelle, mais son identité individuelle (vanité, orgueil, culte de l’image,..) restera centrale au point de générer des tensions continuelles au cœur du groupe. Pour François Bégaudeau, même la série télévisée est standardisée au mode de vie libéral, à l’individu libéral, et au flux libéral, assimilée comme un élan fulgurant de consommation visuelle. Ainsi, lire un livre aujourd’hui, c’est un peu casser ce flux incessant qui s’impose dans notre quotidien, un acte militant en soi !

(Nota Bene : Notons que la Culture crée de la Culture. Il n’y pas de volonté consciente ou de machination calculée dans les représentations populaires. Le processus de reproduction des figures d’aliénation est généralement inconscient, car la mentalité individualiste bourgeoise et libérale est profondément ancrée dans les esprits depuis l’enfance, bombardés d’images, de visuels et de sons qui vont tous dans un même et unique sens : l’individu roi et ses espoirs d’atteindre ses rêves par son sacrifice au capital ou par l’exploitation du rêve des autres. Le phénomène est donc profondément enraciné dans la conscience collective et le simple fait de reconnaître les dégâts manifestes du monde industriel ne suffit pas pour s’en libérer soi-même.).

Bref, la guerre idéologique est bien réelle, pour reprendre les mots de Antonio Gramsci (1891-1927), l’un des membres fondateurs du parti communiste Italien. Pour l’heure, c’est l’idéologie dominante du fameux bloc bourgeois qui domine, occultant littéralement ce qu’on appelait autrefois, le prolétariat (classe sociale des travailleurs qui ne possèdent pour vivre que leur force de travail).

Pourtant, la classe dominante est minoritaire. La classe ouvrière représente aujourd’hui en France environ 20% de la population active, 50% dès lors qu’on y inclut sa part d’employés (30% de la population active en 2016). C’est donc au moins la moitié de la population qui est devenue invisible.

Or, pour Karl Marx, le sentiment d’appartenance à une classe et la prise de conscience de ce qui la sépare des autres sont les conditions qui permettent d’agir pour faire évoluer la société. La lutte des classes est le prolongement moderne de l’opposition entre l’Homme libre et l’Esclave ou entre le Seigneur et le Serf. (Cf. Article dans l’Humanité).

Le bloc bourgeois dans le paysage politique français

Pour qu’un régime politique s’inscrive dans la durée, il est nécessaire que celui-ci s’appuie sur une base sociale (un bloc). Il y a donc un bloc social émergeant qui soutient le gouvernement, c’est ce qu’on appelle le bloc dominant. Depuis l’après-guerre, on observait une alternance quasi systématique des deux blocs dominants (gauche/droite). Mais l’émergence du néolibéralisme et du capitalisme financier a peu à peu fissuré ces deux blocs jusqu’à leur éclatement en France avec l’élection d’Emmanuel Macron en 2017. Le bloc bourgeois se constitue de ceux dont les réformes néolibérales n’ont peu ou pas d’impact sur leur quotidien. Le bloc bourgeois s’assimile aisément à la construction européenne, l’Europe comme avant-poste du néolibéralisme, appliquant dès lors une politique de coupe budgétaire et de restriction financière, d’un démantèlement systématique du service public pour satisfaire la croissance, empêchant dès lors toute émergence possible d’une politique de gauche.

Pascal Lamy, président de l’Organisation Mondiale du Commerce de 2005 à 2013, disait, c’est par l’Europe et grâce à l’Europe que la marchéisation de la France s’est faite (…) et c’est « grâce » à l’Europe que la France va se transformer en un modèle néolibéral. (Sources : article du monde-diplomatique et interview de Bruno Amable). Économiquement, le projet du bloc bourgeois est donc la transformation du modèle social français.

Le bloc bourgeois représente 6% à 10% de l’électorat et quelques groupes périphériques. Néanmoins, il a su s’imposer en siphonnant les classes bourgeoises des blocs de gauche et de droite. De la sorte, en vue des prochaines élections, LREM se droitise pour tenter de ré-agréger à son pôle les bourgeois du bloc de droite qui sont généralement plus favorables à la politique néolibérale. En retour, l’électorat « bourgeois » de gauche, la fameuse bourgeoisie intellectuelle (Cf. le test du bourgeois plus haut), se voit mécontente. Prise entre les feux du bloc bourgeois consolidé par Macron, et de la droite identitaire complémentaire au bloc bourgeois, trois solutions s’offrent à elle :

  1. Se recentrer sur des partis comme EELV, assumant finalement l’économie de marché et prônant sans le vouloir (à moins que ?), un pseudo Capitalisme-Vert. « L’économie de marché ? Tout le monde est pour l’économie de marché ! (…). Vous voulez l’économie de Maduro ? », Yannick Jadot sur France 2. Selon une petite étude effectuée par Le Média, les partis qui apparaissent le plus en phase avec le concept du bloc bourgeois sont d’abord, LREM et ensuite, EELV puis seulement après LR. (Source à 19min10s : https://www.youtube.com/watch?v=uFStCw-HzAU).
  2. Reformer un bloc uni de Centre Gauche, conciliant bourgeoisie intellectuelle et néolibéralisme. C’est peut-être la tentative de cette tribune Au cœur de la crise, construisons l’avenir, un genre d’agrégation de la gauche bourgeoise signée entre autre par Yannick Jadot (EELV), Ian Brossat (PCF), Raphaël Glucksman (Place Publique), Olivier Faure (PS), Audrey Pulvar, Najat Vallaud-Belkacem (PS) et 150 personnalités. Une union de la gauche quelque peu étrange, sans la FI, sans le NPA. Voir la vidéo de USUL: Le grand retour de la gauche bourgeoise.
  3. Rallier le bloc bourgeois incarné par LREM et Emmanuel Macron, ce que certains ont déjà fait.

En somme, tout l’intérêt du bloc bourgeois est de faire face à une opposition divisée. Se dessine alors une confrontation entre les groupes dont les intérêts sont protégés par les réformes néolibérales et les groupes que celles-ci sacrifient. (Voir l’article de Stéfano Palombarini). Selon ce dernier, L’avenir de la gauche ne se joue pas sur le terrain de la tactique électorale, mais sur celui du combat hégémonique. C’est-à-dire une bataille culturelle qui se donne pour objectif de déconstruire l’idéologie du bloc bourgeois, et non une pseudo union bourgeoise compatible avec un Capitalisme vert, une économie de marché, un modèle bourgeois, et la Sacro-Sainte Croissance mère de tous les dangers…

Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830, Musée du Louvre

De la Lutte des Classes à l’Ère du Peuple

En 1789, surgit dans l’histoire un moment révolutionnaire. Un écho qui résonne encore à travers le globe et qui changea l’ordre du monde. En 1789, la paysannerie qui s’était alliée à la bourgeoisie de l’époque s’était insurgée face à la tyrannie de la noblesse et du monde féodal. En 1789, c’est l’émergence d’un Peuple qui se proclame, qui se fédère, créant la République qui en retour fonde la Nation (renouvelée) : La République Française. À l’heure de l’Urbanisation globalisée, le Peuple aujourd’hui n’est plus seulement celui des campagnes. Il regroupe toutes celles et ceux qui tentent d’accéder aux services dont ils dépendent, comme la santé, le transport, l’éducation… services démantelés par l’institution néolibérale bourgeoise. Aujourd’hui, les solutions sont foisonnantes. Constituante, simplicité volontaire, les communs d’Elinor Ostrom, Règle verte, définanciarisation de l’économie, décroissance… Comme le dirait Alain Damasio, Rone ou encore Aurélien Barreau, il est grand temps de recréer un nouvel imaginaire pour de nouveaux horizons.

Alors au regard de la révolution française qui renversa le vieux monde, et face à la énième crise économique à venir, la crise environnementale, l’urgence sanitaire, l’urgence sociale, le moment Révolutionnaire ne serait-il pas mûr ? Ne serions-nous pas à l’aube d’une révolution citoyenne, où le Peuple, largement majoritaire, revendiquerait son droit à l’existence et son droit d’habiter le monde, un monde où le vivant serait au cœur, face à la croissance, et face au monde illusoire du bloc bourgeois…

Adam C.


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