L’île de Mayotte est dotée d’un patrimoine naturel exceptionnel au sein duquel les tortues ont une place de choix. Pourtant, leur existence est menacée par la pratique du braconnage. Sur ce territoire où plus de 75% vit en-dessous du seuil de pauvreté, braconner est pour certains un moyen de subsistance non négligeable… Sur le terrain, une lutte locale complexe s’organise.

Au milieu de l’océan indien, l’île française de Mayotte est riche d’une très grande biodiversité. Parmi les cinq espèces de tortues que compte la région de l’océan indien, deux vivent et se reproduisent toute l’année à Mayotte : la tortue verte et la tortue imbriquée. Sur l’île, c’est sur les plages de Moya (Petite-Terre) et de Saziley (Grande-Terre) que les amoureux de la nature ont toutes les chances de pouvoir les observer.

Protégées par diverses conventions internationales telle que la Convention de Nairobi, ces espèces le sont par ailleurs par le Pacte de sauvegarde des tortues, signé à Mamoudzou en décembre 2020. À raison, puisqu’elles font l’objet de fortes convoitises de la part de braconniers qui continuent à agir sur l’île, malgré les diverses sanctions mises en œuvre pour empêcher cette pratique illégale.

 

Un patrimoine animalier hautement en danger

Tortue Verte @Wikipediacommons

À Mayotte, la pratique du braconnage constitue la première cause de mortalité des tortues sur l’île. Depuis des dizaines d’années, les associations de défense des tortues du territoire alertent donc les pouvoirs publics face à ce fléau qui menace notamment les tortues vertes, considérées comme menacées d’extinction selon la liste rouge de l’UICN (liste rouge mondiale des espèces menacées, ndlr.) et premières cibles des braconniers. Malgré les risques encourus, jusqu’à trois ans de prison et 150 000 euros d’amende, la pratique continue.

Pour Jeanne Wagner, directrice de l’association de protection des tortues Oulanga Na Nyamba, différents facteurs continuent d’entraver la préservation des tortues marines sur l’île. « À Mayotte, l’environnement n’est pas forcément la priorité pour tous ceux qui ne savent pas s’ils vont avoir de quoi se nourrir et se loger convenablement. Lorsqu’on sait qu’on peut revendre jusqu’à 60 euros le kilo de tortue, on imagine pourquoi la pratique continue. » explique-t-elle ainsi, soulignant notamment que pour les personnes en situation irrégulière, la vente mais aussi la consommation de viande de tortue à bas coût constitue un facteur non négligeable dans la perpétuation de cette pratique.

« Le problème aussi, c’est que ça demande du temps de sensibiliser et ça ne fait pas si longtemps que des actions de sensibilisation sont mises en œuvre… Et puis bien sûr, il y a l’éternelle rengaine selon laquelle les associations écologistes feraient barrage au développement de l’île, et qu’en plus elles ne seraient tenues que par des mzungus (métropolitains, ndlr.)… »

 

Aller à la rencontre des Mahorais pour endiguer la pratique du braconnage

Face à ces obstacles, les salariés de l’association Oulanga Na Nyamba ont décidé de mettre en place le projet « Tsitsola Nyamba », littéralement en shimaore « je ne mange pas de tortue » (l’une des langues de l’île, ndlr.), afin de recueillir l’avis de la population sur le braconnage. « On avait prévu d’organiser des conférences-débats dans les villages mais avec le Covid-19, ça a été compliqué » explique Tina, responsable du projet au sein de l’association. « Donc on a décidé de faire des maraudes à la place, où nos salariés vont rencontrer la population pour échanger au sujet de la consommation de la tortue et du braconnage » précise-t-elle.

Maraude à Chembényoumba, dans le nord de l’île, pour discuter de la consommation de tortue et de la pratique du braconnage avec les habitants du village. (© Cécile Massin)

Dans le nord de l’île, à Chembényoumba, Hams et Kassavou, deux salariés d’Oulanga, tentent d’instaurer le dialogue avec la population. « Le premier contact n’est pas toujours facile parce que dès que tu parles de tortues, les gens prennent peur » explique ainsi la salariée. « Ils pensent que t’es venu les sanctionner alors que ce n’est pas notre objectif, il faut leur réexpliquer toute notre démarche » rajoute Hams, les yeux rivés sur la liste des questions qu’il pose aux habitants.

Pourquoi consomme-t-on de la viande de tortue, à quel prix, quels risques hygiéniques prend-on si on en consomme ou encore pourquoi est-il important de ne pas en consommer. Ce sont les questions principales que les salariés entendent poser aux personnes qu’ils rencontrent, particulièrement loquaces ce matin-là.

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Pour Fatima*, qui confesse avoir consommé de la viande de tortue par le passé, « avant, il était plus facile de consommer de la viande de tortue car ce n’était pas réglementé. Depuis, ça a beaucoup changé et puis le prix est à la hausse donc c’est beaucoup moins facile d’en trouver ». Ahmed*, l’un de ses voisins renchérit, ajoutant que le problème majeur, selon lui, « c’est qu’il n’y a pas toujours personne pour surveiller les plages, on continue à trouver des cadavres un peu partout. Ça continuera tant qu’on ne prendra pas vraiment la question au sérieux ! ».

 

Sensibiliser dès le plus jeune âge, un impératif pour les défenseurs de l’environnement

Selon les associations de défense des tortues, « prendre la question au sérieux » demande une volonté politique réelle. Cela demande aussi de sensibiliser les plus jeunes à la préservation de l’environnement et aux espèces qui y vivent. Raison pour laquelle Hams anime des ateliers de sensibilisation auprès d’enfants issus de quartiers prioritaires dans les locaux de l’association.

Atelier de sensibilisation sur les tortues de Mayotte auprès d’enfants de quartiers dits prioritaires au siège d’Oulanga Na Nyamba, en Petite-Terre. (© Cécile Massin)

« On ne dit pas que ça va tout changer mais c’est un début » souligne l’animateur, enthousiaste. Les enfants, parfois fatigués en début de séance, commencent généralement à s’animer après le visionnage de vidéos pédagogiques. Les questions de l’animateur se succèdent alors : à quelle vitesse vont les tortues ? Quel est leur milieu de vie ? Qu’est-ce qu’elles mangent ? Devant la photographie d’une tortue luth, « cette tortue là, elle est herbi… » « vore ! » s’exclament les enfants. L’atelier commence à prendre vie, les enfants à s’enthousiasmer.

Un combat commun

Pour endiguer définitivement la pratique du braconnage sur l’île, le chemin à parcourir est encore long. Mais pour Jeanne Wagner, il y a des améliorations. « L’année dernière pendant le confinement, une trentaine de cadavres ont été découverts et ça a choqué beaucoup de monde. Cette année, on a tout fait pour que ça ne se reproduise pas de la même façon ! Récemment, un braconnier a même été interpellé » souligne-t-elle, satisfaite de cette victoire.

Pour l’année prochaine, l’association a pour projet de créer un centre de soin des tortues marines. « Cela permettra aux particuliers de signaler plus facilement des cas de tortues en détresse. L’objectif, c’est vraiment qu’à terme, on arrive à faire changer les mentalités sur la préservation des tortues à Mayotte et à montrer que ça engage l’ensemble des citoyens mahorais » déclare la Présidente, confiante.

* Les prénoms ont été changés.

Cécile Massin


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