L’évacuation de la Zone à Défendre de Notre-Dame-des-Landes est dans tous les débats cette semaine. Alors qu’affluent ce weekend des centaines de citoyens français venus prêter main-forte aux agriculteurs et militants, il est pratiquement impossible d’offrir une autre version que celle froide et aseptisée fournie aux médias par le gouvernement. Sous le regard du président, il n’y a qu’une et seule version admise : les zadistes sont des perturbateurs violents qui occupent des terres dans l’illégalité et l’État, en bon sauveur, vient rétablir l’ordre et la paix. Après tout, si la majorité des médias le disent, pourquoi en serait-il autrement ? Allez maman, éteins deux minutes TF1 que je t’explique la ZAD.

NB : le choix d’une mère est tout personnel. Ceci fonctionne avec n’importe qui d’autre.

Chère maman. Petite mise en situation. Imagine-toi vivre avec ta petite famille sur vos propres terres depuis plusieurs générations. C’est beau, naturel, un rare espace préservé de l’urbanisation. Un jour, le gouvernement, en partenariat avec la plus grosse multinationale du BTP au monde (Vinci, Qatar Holding LLC,..), décide que ça serait bien de mettre un aéroport juste là, sur votre maison, vos champs, vos prairies, vos étables, vos étangs et ceux qui y vivent. Car bon, l’écologie c’est bien joli mais on a besoin de doubler le nombre d’avions pour soutenir la croissance du tourisme. Et c’est cool car les expropriations sont parfaitement légales quand on se nomme « l’État ». Ainsi, du jour au lendemain, on vous invite à disparaître. C’est l’état de droit, dit-on, à la télévision.

Certains fermiers, des amis de longue date, acceptent de partir contre quelques billets. Mais vous, vous voulez rester. Vous l’aimez votre maison. Vous y avez vécu toute votre vie. L’endroit est un espace naturel si riche en espèces protégées et en souvenirs. Pourquoi l’abandonner aux mains d’une multinationale ? Alors, sur un coup de cœur, une lutte s’engage, mais une lutte ne se gagne pas seule quand on est fermier. Incroyable. Un miracle démocratique se produit. Des dizaines de personnes se joignent à la cause. Des chercheurs, des amoureux de la nature, des artistes, des curieux, des jeunes et des moins jeunes. Vous les autorisez à rester sur un petit coin de vos prairies qui s’étendent à perte de vue. Tu ne comprends pas. À la télé, on vous dépeint déjà comme de khmers verts, des perturbateurs opposés à la marche du progrès, des bouseux. Pire, un jour, vous auriez même fait bruler un pneu. Vous imaginez ? Un pneu !

LP/Philippe de Poulpiquet

Et le temps passe. Un an, puis deux, dix ans ! Des projets voient le jour. Une boulangerie locale, une fromagerie, une cantine, des cultures, une vie alternative se crée, des gens vont jusqu’à se déclarer, payer des impôts, bref, ils vivent là, sur ce petit lopin de terre, dans cet immense endroit préservé de la folie humaine. À l’heure de la crise écologique globale, leurs projets font sens. Finalement, la plupart de ces personnes deviennent vos amis, votre famille. Ici, on fait la fête, on mange, on pleure, on rit. Puis, à force de luttes, après de nombreuses années, le gouvernement abandonne le projet. Trop couteux finalement. Tout ça pour ça ? Les concessions se terminent, la multinationale se retire, et vous pouvez réclamer légalement votre terre. Reste à discuter de l’avenir des structures construites toutes ces années par ceux qui sont venus vous soutenir. Devraient-ils abandonner leurs habitations ? leurs animaux ? Toi, leur présence ne te dérange pas. Mais voilà, le gouvernement, toujours propriétaire jusqu’à rétrocession, ne veut pas perdre la face. Comment accepter qu’une communauté écologique et autonome ne se développe en France ? Quel affront pour notre modèle néo-libéral qui place l’individu sous contrôle des marchés et du blé (le papier, pas le grain).

Alors, sans attendre la concertation, sans dialogue social, par surprise, en plein mouvement de grève, le gouvernement balance 2 500 robocops surarmés sur ces individus, détruit leurs maisons, leurs récoltes, leurs fermes et met en danger leur enfants. Car, oui, des enfants vivent ici. Des années d’expérimentations collectives réduites en cendres sous des dents d’acier et une pluie de grenades. Tu vois, 50 galurins qui font pousser des carottes bio pas-Monsanto, ça c’est une priorité nationale absolue pour ton gouvernement !

Des boulangers préparent le pain sur la ZAD. AFP/ Loic Venance.

À la télévision, le discours n’a pas changé en 20 ans. « Regardez ce jeune zadiste cagoulé qui s’attaque à un policier. » Mais vous, votre lopin de terre, vous y avez mis les mains, vous y avez fait pousser la vie. Vous estimez être en droit de vous battre pour le préserver. Bien-sur, chez les zadistes, tu croises toujours bien un type plus énervé que les autres, qui va jeter un Cocktail Molotov. Sur plusieurs centaines de personnes, tu peux être certains que c’est lui qu’on va montrer au JT de TF1. Tu le sais, c’est le jeu. Ça tombe bien, ton gouvernement filtre le passage des journalistes. Des gendarmes filment eux mêmes l’intervention. Les gros médias acceptent de projeter ces vidéos sélectionnées par les autorités. Excepté 2-3 journaux rebelles que personne ne connait en dehors du monde militant, tout le monde vous prend pour de dangereux criminels. Certains disent même, des terroristes. C’est là que tu réalises qu’on t’a peut-être pas toujours raconté l’exacte vérité dans ton petit écran. Toi, tu le sais que t’es pas un terroriste. Alors tu te questionnes. Quelqu’un qui t’attaque chez toi, défonce ta porte, brule ta maison et tes récoltes, jette des grenades et te casse les jambes à coup de bâton, comment tu nommes ça déjà ? Ton téléviseur reste de marbre. Bienvenue en état de droit.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui, maman. Il n’y a pas de gentils et de méchants. Il y a des individus qui ont lutté des années pour ce qu’ils pensent être juste dans un monde injuste. Et ces individus demandent simplement à vivre. Il y croient assez pour oser s’opposer à la plus haute autorité de leur pays. Tu ne trouves pas ça courageux, maman ? Aujourd’hui, des politiciens veulent leur enlever ce rêve sans concertation, sans dialogue, à l’aide de grenades et de blindés, au cœur même de la France. Oui, tu en trouveras toujours pour dire que tu n’étais pas vraiment chez toi, que la loi c’est la loi, répétant aveuglement le discours du pouvoir comme le font autant d’âmes générations après générations, dans ce pays comme dans un autre, sous tous les gouvernements, de droite ou de gauche. Mais aujourd’hui, il existe un autre monde en dehors de ta télévision. Les citoyens organisent la désobéissance civile, car quand l’acte d’un gouvernement est profondément inique, il est un devoir moral de s’y opposer. Certains comprennent que ce n’est pas qu’une question basique de droit ou d’acte de propriété. Qu’on touche ici aux fondements de nos sociétés. Là où ça pique. Là où ça divise. Et la division, c’est la force de tout pouvoir.

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Alors, maman, à toi de voir. Tu peux retourner lutter dans les champs. Continuer à te battre pour préserver ce lieu de vie unique et le faire reconnaître aux yeux de tous. Faire pousser des carottes bio aux graines locales si ça te rend heureuse. Et le faire de manière digne, sans mettre personne en danger. Où alors, tu peux aussi tout abandonner, souvenirs espoirs et rêves, te trouver un T2 qui te bouffera 60% de ton salaire gagné péniblement dans une startup qui bousille l’environnement pendant qu’on te parle de fonte de la banquise et des records financiers du CAC40 à la télé, entre deux pages de pubs et TPMP, naturellement. Dans cette histoire, je te le dis, il n’y a pas de méchants et de gentils. Il n’y a que des gens qui aspirent sincèrement à un monde meilleur.

M.

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