Belgique – En dépit d’une reconnaissance médiatique accrue ces dernières années, les paysans qui ont fait le choix de tourner le dos au modèle industriel rencontrent des difficultés importantes pour assurer la pérennité de leurs activités. L’une des causes nous explique Bertrand Delvaux, salarié de la Coopérative Paysans-Artisans qui regroupe près de 80 producteurs dans la région de Namur en Belgique, la concurrence des grandes surfaces qui se réapproprient le bio. Découverte.


Lancée en 2013, la Coopérative Paysans-Artisans n’hésite pas à afficher son ambition : proposer une alternative au modèle de production alimentaire industriel. Depuis sa mise en place, elle à su fédérer environ 80 producteurs sur Namur et alentour. Fortes de 750 coopérateurs, la coopérative à finalité sociale revendique une centaine de bénévoles actifs et des ventes globalement en hausse depuis ses débuts. Les produits vendus – d’abord sur internet puis dans des magasins – sont diversifiés : fruits et légumes, viandes, bières, plats préparés, etc.
« La récupération du bio par la grande distribution est un vrai problème »

Malgré un succès certain, les gérants de la coopérative sont inquiets : « On est à un tournant, la récupération du bio par la grande distribution est un vrai problème », observe Bertrand Delvaux. Selon lui, les grandes surfaces exploitent des images et un vocabulaire qui poussent à la confusion, comme « production locale » ou « petit producteur ». Face à la force de frappe publicitaire de ces géants, il devient difficile pour les alternatives de se distinguer.

Il est vrai, la grande distribution fait désormais la part belle aux produits locaux et/ou bio, au point d’en faire un argument de vente trop souvent à la limite du green-washing. On se souvient notamment de la campagne de Carrefour de l’année passée intitulée « Les légumes interdits ». Certains voient d’ailleurs cette évolution d’un bon œil, notamment parce qu’elle répond en apparence à l’urgence climatique et à la nécessité de se tourner vers des modèles de production moins énergivores.

« Pourtant, insiste le salarié, les différences sont bien réelles ». D’abord parce les coopératives mettent les producteurs au centre du projet. « Contrairement à la grande distribution, on ne discute pas les prix avec les producteurs », insiste Bertrand Delvaux. Par ailleurs, la coopérative met à l’honneur la production locale des produits et des modèles diversifiés. Au contraire, avec l’avènement du bio dans les grandes surfaces, filière soumise à d’importantes logiques de rentabilité, on a vu se développer des méthodes qui dans la pratique s’apparentent à celle de la production industrielle : monocultures énergivores souvent délocalisées dans des pays dans lesquels la main-d’œuvre est bon marché, comme l’Espagne ou certains pays de l’Est. Le tout supervisé par des actionnaires défendant des intérêts financiers qui n’ont que peu de liens avec la production alimentaire. Il y aurait donc « bio » et bio…

Guerre des prix

Pour convaincre les acheteurs, tout est bon pour gagner la course aux prix les plus bas. Les petits producteurs, qui privilégient un maraîchage sur petite surface, peinent à suivre. En septembre dernier, en Belgique, une polémique impliquant Carrefour illustrait cette tendance. L’enseigne affichait alors sa volonté de proposer à sa clientèle « des produits bio en marque propre les moins chers du marché ». L’affirmation avait immédiatement fait bondir une partie des acteurs de la filière bio, qui avait alors réagi par communiqué, « s’interrog[eant] sur la motivation de cette annonce et le risque que cette stratégie fait peser sur les producteurs bio wallons ». Pour cause, la course au prix implique le plus souvent des externalités négatives pour les producteurs.

Le Collège des producteurs, qui lutte pour que les producteurs puissent être rémunérés au juste prix, dénonçait alors une volonté de « lancer la guerre des prix bas dans le secteur bio » qui pourrait avoir des incidences négatives sur la production locale : « croissance des importations au détriment des productions locales et prix plancher pour les producteurs bio ! » Il y a quelques mois, cette association a mis en place le label « Prix juste producteur ». Cette distinction doit assurer que pour les produits certifiés « les relations commerciales entre les agriculteurs (y compris les associations d’agriculteurs), et leurs premiers acheteurs confèrent aux producteurs suffisamment de pouvoir de négociation et considèrent les coûts de production, tout en favorisant les performances sociales et environnementales de l’agriculture ».

Au moment où le bio rencontre une demande de plus en plus importante, l’opportunisme des grandes surfaces n’étonne personne : toute part de marché est bonne à prendre. Dans cette cacophonie commerciale, les consommateurs, eux, sont un peu perdus. Pour Bertrand Delvaux l’avenir des coopératives qui entendent rester ancrées dans le local réside certainement dans la possibilité de créer de nouvelles solidarités entre les producteurs et les citoyens, via des pactes basés sur la confiance, la transparence locale et la volonté de rémunérer les paysans au juste prix. C’est toute la volonté de la Coopérative Paysans-Artisans, qui espère se maintenir face à un modèle industriel jugé dans l’impasse.

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