Des chevaux maltraités, vidés de leur sang au profit de l’industrie de l’élevage français

Il y a de ces découvertes qu’on aimerait vraiment éviter de faire. Deux ONG ont mené une enquête exclusive entre mars 2015 et avril 2017 sur les “fermes à sang” en Argentine et en Uruguay. Ces industries de l’horreur exploitent des juments pour leur extraire une hormone particulière, uniquement sécrétée lorsqu’elles sont gestantes. Tortures physiques et mentales, avortements forcés, saignées, ces animaux souffrent le martyr au bénéfice de l’élevage français.

Des fermes qui donnent froid dans le dos

Les deux ONG suisses, Tierschutzbund Zürich, et allemande, Animal Welfare Foundation, ont enquêté discrète durant plus d’un an sur les “fermes à sang”. En Uruguay et en Argentine, des fermes chevalines exploitent des juments en les engrossant, puis en les faisant avorter afin de leur prélever du sang pendant leur gestation. La raison de ce commerce macabre : une hormone spécifique que les industries pharmaceutiques et les élevages français et européens s’arrachent à prix d’or.

“Le prix du sang” coûte cependant très cher aux animaux. Durant leur investigation, les ONG TSB et AWF ont rapporté des témoignages et des images choquantes. On y voit des juments affamées, blessées, terrorisées, et parfois même à l’agonie sur le sol. Des vidéos montrent les chevaux avec des plaies ouvertes et infectées, des membres cassés, ainsi que des signes notoires de panique et de folie (balancements, la tête frappée contre les palissades…).

Selon l’enquête, les employés de ces fermes ne sont pas formés et n’ont cure de l’état des juments. Nous les voyons sur des vidéos les contraindre à avancer à coup de bâton et de fouet, pour les mener dans des box pour la prise de sang. C’est ainsi que jusqu’à deux fois par semaines, la jument gestante se voit enfoncer une canule dans la jugulaire pour prélever jusqu’à 10 litres de sang, soit l’équivalent de 2 litres pour un homme de 80 kilos. Beaucoup trop pour la santé de l’animal, mais qui s’en soucie ?

Une carcasse de jument dans une ferme à sang d’Uruguay. Les tranchées creusées par les sabots laissent entendre que la mort a été lente, et douloureuse. Source : Animal Welfare Foundation (screenshot).

Mais ce n’est pas tout. Le sang de ces juments n’est “intéressant” pour les industries que lorsqu’elles sont gestantes, car il contient alors une hormone appelée eCG. Ainsi, ces fermes à sang se livrent à des procédures barbares pour pouvoir toujours produire plus de sang. L’hormone est créée par les juments entre leur 40e et 120e jour de gestation, environ. Dès lors que la jument ne produit plus d’hormone, elle se fait “avorter manuellement” : sans aucune anesthésie et maintenue en place par la force, un homme introduit donc sa main dans le vagin de la jument et éclate le sac contenant le liquide amniotique. La jument perd son poulain mort par la suite, dans la douleur et un état de choc. Plusieurs vidéos témoignent de la détresse physique et mentale de l’animal, qui doit subir ce traumatisme plusieurs fois par an – étant tout de suite après l’avortement de nouveau engrossée – alors que la gestation normale d’une jument dure environ 11 mois.

“De telles pratiques sont contraires aux lois de protection animale en vigueur en France”

Adeline Colonat, chargée de communication éditoriale à Welfarm (une association dédiée à la protection des animaux de ferme) s’est exprimée sur cette enquête aux journalistes de Libération. « Au bout de trois à quatre ans, les juments qui ont survécu à ces années de maltraitance, épuisées et stériles partent à l’abattoir pour alimenter le commerce de la viande chevaline, exportée notamment vers la France » quand elles ne meurent pas sur place. Elle dénonce notamment le silence des industries pharmaceutiques : “De telles pratiques sont contraires aux lois de protection animale en vigueur en France. Ces fermes ne pourraient s’implanter sur notre territoire. Il est donc inacceptable que des laboratoires français se fournissent auprès de pays moins regardants en matière de bien-être animal. »

De nombreux crânes jonchent le sol de l’exploitation. Source : Animal Welfare Foundation (screenshot).

Les industries pharmaceutiques et les élevages complices de la souffrance

L’hormone commercialisée, la gonadotrophine chorionique équine, aussi appelée eCG, est vendue par les entreprises pharmaceutiques vétérinaires aux élevages. Cette hormone a pour but de déclencher les chaleurs des femelles pour faciliter la reproduction. Le professeur Jean-François Bruyas, vice-président de la fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF) livre quelques explications : “Cette hormone stimule les ovaires et synchronise les cycles. Elle peut augmenter le nombre d’ovulations et aussi traiter les cas d’infertilité. Dans les élevages porcins, cette hormone augmente légèrement le nombre de petits par truie et permet de programmer, et donc de grouper, les mises-bas.” Ainsi utilisée en masse notamment dans les élevages de chèvres, de brebis et de porcs, cette hormone permet de rendre toutes les femelles “fécondables” en même temps : augmentation ainsi de la production de lait et de petits (porcins, agneaux…) pour l’agro-alimentaire français.

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La France et l’Europe sont directement accusés par le document. Durant leur enquête, les ONG TSB et AWF ont délivré les chiffres de ce sanglant business pour les laboratoires. Ainsi, Syntex Argentine et Syntex Uruguay ont exporté vers la France cette année, à eux deux, plus de 8 millions d’euros. L’hormone eCG, qui coûte près d’un million de dollars les 100 grammes, est présente dans une douzaine de médicaments en France.

Lorsque l’association Welfarm a invité les éleveurs à se prononcer sur les conditions de production de leur médicament, ce fut sans réponse. Pas étonnant de la part de Interberv (syndicat de la viande), Inaporc (filière porcine) et Anicap (filière caprine) : étant donné que leurs propres aliments (viande, produits laitiers…) sont produits dans des conditions d’élevage de masse aux conditions qui relèvent souvent de la torture. Aussi, lorsque l’association est allée toquer à la porte du Conseil national de l’ordre des vétérinaires, elle a reçu comme réponse : « Le problème a été soulevé il y a peu en France. Nous n’avons été alertés qu’en janvier dernier. Les vétérinaires s’interrogent, la question est d’actualité ».

Les vétérinaires, qui ont donc pour mission première de veiller à la santé mentale et physique de l’animal, s’interrogent… Militants et associations (et peut-être toute personne de bon sens) espèrent qu’ils trouveront rapidement la réponse qu’on attend tous : que les laboratoires pharmaceutiques européens cessent immédiatement d’utiliser cette hormone produite dans le sang et la maltraitance (comme l’a fait la Suisse) et que ces fermes à sang soient fermement condamnées.

Une jument avec une jambe cassée. Selon les vétérinaires, elle aurait déjà du être euthanasiée il y a longtemps pour abréger ses souffrances. Source : Animal Welfare Foundation (screenshot).

Le silence glaçant des institutions européennes

Welfarm rappelle qu’en mars 2016, le Parlement européen avait publié un amendement déclarant que “la production d’eCG dans les pays tiers n’était pas conforme aux standards de l’UE en matière de protection animale”. Un an plus tard, ce business est des plus lucratifs. Tandis qu’on attend toujours une décision du Conseil européen, les associations de protection animale continuent de dénoncer et rendre publique ce genre de découverte macabre. Car ce qui est certain, c’est que tant que le scandale n’aura pas réellement éclaté et que les géants de la pharmaceutique n’auront pas été mis au pied du mur, rien ne sera fait contre ce commerce si profitable.

C’est ainsi que Florian Guillou, le directeur de l’unité physiologique de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) s’est exprimé sur les conditions désastreuses de collecte de sang de jument : « Cette situation pose des questions éthiques mais présente aussi un risque sanitaire potentiel, vu le grand nombre de lots sanguins nécessaires à cette production. » Pour nous, il est certain que ces conditions posent des questions non seulement éthiques, mais surtout morales.

Aujourd’hui, une pétition circule pour mettre la pression au Parlement, à la Commission et au Conseil Européen. Avec déjà plus de 1,7 millions de signatures, la lutte pour l’interdiction totale d’importation d’eCG en Europe au profit des laboratoires pharmaceutiques et des élevages est engagée.

La vidéo (âmes sensibles s’abstenir)

Moro

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Sources : Libération  / Welfarm TV

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