Dans cet article, nous vous proposons un voyage dans le temps. Un voyage  qui nous offre d’imaginer un autre passé, une histoire qui nous mènerait vers un présent désirable. Laissons nous porter par un récit qui soit révolutionnaire, social, écologiste. Retournons en 1972, année de publication du rapport Meadows sur les limites de la croissance… 

Les organisations politiques de gauche, ONGs et groupes écologistes se sont réunis à l’appel d’une initiative citoyenne, inquiets du monde qu’ils légueraient à leurs enfants. De ces assemblées est ressorti un fort sentiment d’union, avec dans l’idée que nous sommes tous embarqués dans un même bateau dont le modèle productiviste n’est pas viable : nous devions urgemment changer de cap et imaginer un modèle à la fois sain, protecteur, durable et juste. Il est aussi ressorti d’un commun accord que les différences idéologiques des formations de gauche étaient certes réelles, mais qu’elles n’avaient pas vocation à infléchir la mise en place d’un plan d’action immédiat et nécessaire afin d’endiguer la crise écologique et sociale. Jusqu’alors, nous étions aveuglés par la croyance du mythe de la croissance infinie. Plus qu’une croyance, elle était une doctrine, la base d’un modèle de société hégémonique, une philosophie de vie faite d’excès, d’apparence et de superficialité.

Envahir l’espace public pour sensibiliser sur l’écologie

Les différentes organisations ont alors mené une gigantesque campagne de sensibilisation sur la toxicité du modèle néolibéral mais aussi sur la possibilité d’un monde meilleur : non seulement écologiquement viable, mais aussi souhaitable pour une meilleure qualité de vie. L’objectif était de prouver que le monde dont nous rêvions était un lieu de joie. Il fallait rompre avec la morosité des manifestations classiques. Les écologistes ont alors organisé des événements qui rencontrèrent un grand succès : carnavals, rencontres amicales et sportives, jeux, repas solidaires, ateliers créatifs… avec en toile de fond la sensibilisation aux enjeux écologiques. Ces événements devinrent les lieux les plus prisés des jeunes et des universitaires ; mais aussi des lieux d’inclusivité et de socialisation pour les retraités, les jeunes de banlieue, les personnes handicapées, etc.

Les lieux de socialisation sont des espaces de sensibilisation aux enjeux écologiques. Crédit : Street Lab (Uni Project) – libre de droits

La sensibilisation par la socialisation a permis de générer une réelle culture disruptive de masse, prenant de cours la bourgeoisie et son projet de contrôle des masses et d’injonctions consuméristes à ses fins économiques. Élire un gouvernement sans projet écologique sérieux était alors devenu impensable. Mais pas seulement, ce sont toutes les valeurs d’inclusion des minorités discriminées et les luttes anti-capitalistes qui ont accompagné ce mouvement, donnant un second souffle plus durable aux événements de mai 68.

Les luttes anticapitalistes accompagne le souffle révolutionnaire de 1968. Source : commons.wikimedia.org

Après avoir conquis la rue : le changement par les institutions

La France devient le premier pays occidental à mener une politique altermondialiste en prenant le contre-courant des tendances néolibérales du monde anglo-saxon à la fin des années 70. Déjà connu pour son passif révolutionnaire, la France récidive dans les années 80 par la « révolution douce » en amenant au pouvoir un gouvernement ouvertement anticapitaliste, le tout dans les règles – tordues – de la Vème République, grâce à dix années énergiques de campagne de sensibilisation, et ce malgré la sévère répression et violences policières dans ces lieux de contre-pouvoir écologistes.

Si la révolution sociale est soudaine avec une redistribution immédiate des richesses, la révolution écologique est elle plus lente et planifiée, afin de stopper les émissions carbone sans pour autant bouleverser notre habitus et en nous laissant le temps de construire les alternatives énergétiques, agricoles et technologiques, tout en misant sur la sobriété. Le plan du gouvernement révolutionnaire passait par la création d’assemblées réunissant scientifiques, économistes, citoyens tirés au sort et autres (en somme toutes les forces vives de la nation) afin de penser et planifier ce nouveau monde juste et durable.

Des assemblées citoyennes sont organisées pour composer un monde juste et durable. Source : flickr

Plutôt que de blâmer les autres, prendre ses responsabilités et devenir exemplaire

Cette dynamique continuera pendant des décennies faisant de la France un modèle de réussite altermondialiste et écologiste. On pense aujourd’hui que c’était le bon moment pour agir (plus tard aurait été trop tard), laissant suffisamment de temps pour planifier la révolution écologique. Alors qu’un monde à +1,5 ou +2 degrés requerrait des prises de décisions bouleversantes et déstabilisantes comme seule alternative à l’écocide.

En quelques décennies seulement, la France est devenue un modèle de société écologique, grâce à la rénovation de ses bâtiments, la relocalisation de ses productions, notamment alimentaire en pratiquant l’agroécologie partout.

Les pratiques permacoles et agroécologiques sont devenues la norme. Source : Flickr – Mike en route vers une vision permaculturelle

Un maximum de personnes sont employées par les services publiques dans un double objectif d’inclusivité et de souveraineté alimentaire, avancés auxquelles on peut ajouter le développement des transports en commun en lieu et place de la voiture dans les villes, ou encore la réduction drastique des activités ultra-polluantes tels que la consommation de viande, les voyages en avion privé ou en yacht.

Bien sûr, une opposition culturelle s’est faite ressentir. Mais en anticipant la crise écologique, les mesures ont pu être progressives, le temps de valoriser les alternatives, de faire apprécier les recettes savoureuses à base de protéines végétales ou encore de romantiser les voyages lents et locaux. En somme, la contre-culture valorisant le bonheur dans la sobriété a remplacé l’idéal de l’éthos bourgeois qui consistait à se faire plaisir par un excès de consommation.

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La bourgeoisie perd le contrôle

La fameuse arrogance française a enfin trouvé une raison légitime à sa fierté : exit le pays colonialiste et la suprématie bourgeoise, blanche, chrétienne et viriliste. En effet, l’éthos féministe a été valorisé dans l’optique de prendre soin des autres, de notre planète et donc de notre avenir en tant qu’humanité. Il en va de même de l’éthos et des savoir/savoir-faire des minorités religieuses, des classes et quartiers populaires, qui ne sont plus dénoncées d’être la cause de tous les maux de la société mais comme les moteurs du nouveau monde.

C’est la bourgeoisie qui fait les frais de ce renouveau politique, l’État décidant de taxer les gros pollueurs prioritairement et abondamment. Cette promesse de justice sociale a fait disparaître la critique invalide de l’écologie punitive chez les classes populaires : argument créé de toute part et propagé par la bourgeoisie alors qu’elle est la principale visée par ces mesures. Les classes populaires n’ont pas rechigné entre autres à consommer moins de viande en échange d’une vie digne et d’une reconnaissance sociale.

Mais la France peut aussi être fière d’être l’initiatrice d’un nouveau monde en ayant inspiré de nombreux pays, aussi bien Occidentaux que des pays plus pauvres, grâce à un modèle alternatif au capitalisme comme référence de développement. Si bien qu’en 2022, l’objectif de se maintenir en deçà d’un réchauffement climatique de +1,5 degrés semble atteignable et même probable, obligeant le GIEC à revoir ses prévisions à la baisse. Le nouveau monde est certes imparfait et nous continuons d’être insatisfaits de nombreuses injustices, mais la dynamique est vertueuse et la crise écologique n’est plus qu’une dystopie à laquelle nous nous efforcerons de mettre en garde les plus jeunes générations à l’école.

Difficile de refaire l’histoire, mais imaginez un instant qu’aucun pays n’ait entrepris la sortie du capitalisme et la bifurcation écologique dès la fin du XXème siècle, nous aurions pu nous retrouver dans une situation désastreuse d’un avenir compromis par un effondrement du vivant. Nous aurions pu nous retrouver dans un monde où les gens seraient au courant de la situation mais resteraient aveugles afin de protéger un système destructeur, ce qui n’a pas de sens. Nous serions confrontés à une telle urgence climatique que nous devrions déjà nous préparer à de grands bouleversements et à la disparition de la majorité de notre flore et notre faune.

Si ce récit imaginaire n’avait pas eu lieu. Source : commons.wikimedia.org

Les capitalistes sont les nouveaux extrémistes

Aujourd’hui, les conservateurs qui rêvent de renouer avec le droit à polluer sont vus comme des marginaux et des illuminés, on les appelle les polluo-droitistes pour les décrédibiliser, ou bien les asleep (endormis) pour leur rappeler que leur monde est dystopique et n’est viable que dans leurs songes.

Pas plus tard qu’hier, je visionnais une émission de télé sur une chaîne indépendante (comme toutes les chaînes d’ailleurs, depuis que la loi reconnaît l’indépendance des médias et l’interdiction de leur possession par de grands groupes privés, dans un souci démocratique et de liberté de la presse). L’émission en question est « Touche pas à mes droits » dans laquelle les invités viennent débattre librement de sujets politiques, des droits des minorités, de réflexions philosophiques, etc. Un homme, défenseur de l’idéologie capitaliste s’est exprimé. Il regrette le vieux monde où la violence conjugale, l’exploitation des travailleurs, le rejet des migrants et la maltraitance des animaux étaient quelque chose de normal ou peu combattu. Et dire que ce discours extrémiste ne fait que décrire la réalité de l’ancien monde. Il a été logiquement réprimandé et traité d’inconscient alors qu’il disait vouloir réinstaurer le libre marché et les inégalités sociales, ne supportant plus de vivre dans un monde où l’on cherche à traiter dignement tous les êtres humains sans distinction.

Trêve de fiction

C’est ce monde parallèle, moins improbable que responsable, que les anciennes générations auraient dû nous léguer. Sans vouloir désigner comme coupables tous les individus de la génération des « boomers », celles et ceux qui sans scrupule nous ont plongés dans cet effondrement climatique ne sont rien d’autres que des criminels du vivant et de notre sérénité. On pourrait se demander quel est l’intérêt de vivre dans le passé et les regrets. L’idée ici est de prendre conscience du défi qui est le nôtre. Celui de réussir en quelques années ce que nous aurions dû faire avec calme et responsabilité ces 70 dernières années. C’est comme si nous étions menés 3 buts à 0 alors qu’il reste 10 minutes à jouer dans un match de foot que nous devons absolument remporter. Le temps presse, vraiment.

Benjamin Remtoula

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