L214 : des e-mails révèlent les mensonges du ministère de l’Agriculture

    La fuite fut dévoilée hier : des mails internes au ministère de l’Agriculture, captés par l’association L214, confirment que l’abattoir de Sobeval présente des non-conformités importantes. Le ministre à la tête de ce même ministère, Didier Guillaume, affirmait pourtant le 23 février que « les images et les faits n’étaient pas avérés ». Mensonges ? Tentative de manipulation de l’opinion ? Les échanges posent question.

    Il y a quelques jours L214 révélait de nouvelles images terrifiantes sur les pratiques de l’abattoir Sobeval. Images qui exposent de nombreuses infractions à la loi. Didier Guillaume, ministre de l’Agriculture, avait rétorqué le 23 février que « les images et les faits n’étaient pas avérés ». Il avait aussi déclaré « J’ai diligenté immédiatement des contrôles et les contrôles montrent que le respect du bien-être animal est là ». Or, une fuite de courriels internes va contredire les propos du ministre. Une fuite particulièrement compromettante. Dans ces échanges, on découvre que le ministre a publiquement menti dans les médias. L214 demande sa démission.

    Un mensonge public

    Il y a quelques jours, nous relayions les vidéos de L214 concernant l’abattoir de Sobeval, publiées le 20 février. Cet abattoir, situé en Dordogne, est l’un des plus importants abattoirs de veaux en France. La viande est à première vue de qualité, si l’on en croit les labels qu’elle reçoit : Label rouge, Veau de votre région, certifié AB agriculture biologique. Mais voilà, dans ces images, L214 prouve que l’abattage se fait en violation de la réglementation en vigueur, que ce soit concernant l’abattage standard ou rituel. Beaucoup de veaux reprennent conscience sur la chaîne d’abattage et ne sont pas étourdis en urgence, alors même que la législation l’exige. Ils sont également blessés par les machines, souffrent inutilement, se vident de leur sang en pleine conscience. Le fameux argument « manger moins de viande mais de meilleure qualité », que les lobbies de la viande aiment soutenir, perd alors toute sa crédibilité.

    Le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, s’est donc empressé trois jours après de rétorquer publiquement sur Europe1 que les images et faits étaient faux. De quoi calmer l’opinion.

    « J’ai diligenté immédiatement des contrôles […] et les contrôles montrent que le respect du bien-être animal est là »

    Or, une erreur de manipulation est vite arrivée… Des échanges entre les hauts-fonctionnaires du ministère de l’Agriculture sont parvenus dans les boites mails de L214. On y découvre que le ministre Didier Guillaume a publiquement menti. En effet, les infractions (NC = non-conformités) sont décrites par les fonctionnaires eux-mêmes comme « indéniables, voire majeures ». Le choix de camoufler publiquement la réalité et de défendre ce secteur industriel est donc pleinement conscient.

    Crédit photo : communiqué de presse de L214

    La puissance de la novlangue dans la haute sphère de l’État

    « Alertés depuis le 19 février, la préfecture, les services vétérinaires, les services du ministère et le ministre lui-même ont sciemment choisi de mentir et se servent d’éléments de langage pour masquer une réalité reconnue par leurs services. »

    Mentir publiquement, devant des millions de français ? Rien de plus facile, semble-t-il. Selon les échanges, le ministère de Didier Guillaume aurait donc construit à l’avance des « éléments de langage béton » (edl). Ceux-ci ont été pensés dès le 19 février, la veille de la sortie des vidéos de L214 sur les réseaux sociaux. Prévenus par un journaliste, les services du ministère sont en alerte et vont travailler sur cette « novlangue » toute la journée. Comment répondre à la presse pour préserver la confiance ? Que mettre dans le communiqué de presse de la préfecture ? Ou plutôt, comment mentir publiquement et protéger les lobbies de la viande.

    Crédit photo : communiqué de presse de L214

    Le communiqué de presse publié par L214 hier, le 25 février, dévoile tous ces échanges et les « éléments de langage » qui sont donnés au sein du ministère. Ceux-ci sont – comme on peut s’y attendre à un tel niveau de politique – construits à l’avance et envoyés aux différents acteurs politiques et services du commerce extérieur (l’abattoir exporte en Israël, en Égypte, aux États-Unis). Mais dans le cas présent, c’est pour nier la réalité devant les médias. Il y a donc preuve d’une dissimulation de la violation de plusieurs réglementations légales :

    Bien sûr, au sein des destinataires de ces éléments de langage, se trouvent les lobbies de la viande : INTERBEV et FedeV.

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    La puissance des lobbies de la viande au sein du gouvernement français

    INTERBEV et FedeV sont des lobbies de la viande très puissants en France, et notamment au sein de la sphère d’État. Ils sont d’ailleurs à l’origine de la campagne « Naturellement flexitariens », qui encourage à continuer de manger de la viande sous couvert de bonne qualité. Et ce sont ces mêmes lobbies qui sont informés des éléments de langage du ministère de l’Agriculture pour contrer la réalité montrée par L214. Coïncidence ? Sûrement pas. Demeter, une cellule de renseignement dédiée aux « atteintes au monde agricole », vient d’ailleurs d’être créée par le ministère de l’Intérieur. Autrement dit, un dispositif policier et judiciaire vient d’être mis en place par l’État afin de surveiller militants animalistes et écologistes opposés à l’agriculture industrielle qui font intrusion dans les locaux pour montrer la réalité au grand jour. Les lobbies représentant cette agriculture intensive ont donc une place de choix pour influencer les décisions politiques.

    Brigitte Gothière, cofondatrice de L214, s’insurge contre cette connivence entre le gouvernement et les lobbies de la viande :

    « nous sommes confrontés à un ministre qui dissimule le non-respect de la réglementation, qui n’ira jamais à l’encontre des lobbies de la viande, jamais dans le sens de l’intérêt général, qui ne défendra jamais les animaux ».

    C’est d’ailleurs cette présence permanente des lobbies au sein du gouvernement qui a fait démissionner Nicolas Hulot, ancien ministre de la Transition Écologique, en 2018. Il avait dénoncé publiquement un « problème de démocratie » dû au poids des lobbies.

    Comment faire confiance à un gouvernement qui est sans cesse diligenté par des lobbies et oriente son propos en fonction ? Combien de mensonges ont été soigneusement préparés afin de protéger ces derniers ? Jusqu’où ira cette connivence ? Peut-on encore parler de démocratie quand des représentants mentent publiquement ? Les représentants politiques français sont-ils vraiment le miroir de la population ? Suite à la fuite de ces échanges par mail, l’association L214 demande naturellement la démission de Didier Guillaume. Reste à savoir si l’affaire fera grand bruit dans les médias traditionnels…

    – Camille Bouko-levy

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