La démission de Nicolas Hulot n’est pas seulement l’aveu d’un échec pour Nicolas Hulot lui-même et le gouvernement Philippe dont la politique environnementale brillait par son incohérence et son manque d’ambition. C’est aussi un message clair adressé à la société : répondre à l’urgence écologique est un impératif qui ne peut plus souffrir d’exceptions et de demi-mesures et qui doit dépasser les clivages politiques traditionnels.

Alors que personne ne s’y attendait, même pas sa propre famille, Nicolas Hulot, le Ministre de la transition écologique et solidaire a annoncé ce 28 août sa démission au micro de France Inter.« Je vais prendre (…) la décision la plus difficile de ma vie. Je ne vais plus me mentir. Je ne veux pas donner l’illusion que ma présence au gouvernement signifie qu’on est à la hauteur sur ces enjeux. Et donc je prends la décision de quitter le gouvernement aujourd’hui. (…) C’est la décision la plus douloureuse, que personne n’en tire profit : parce que la responsabilité est collégiale, elle est collective, elle est sociétale », s’est-il expliqué, en surprenant plus d’un.

Quelques minutes auparavant, il dressait un tableau particulièrement sombre de la situation mondiale. « Je ne comprends pas que nous assistions globalement les uns et les autres à la gestation d’une tragédie bien annoncée dans une forme d’indifférence. La planète est en train de devenir une étuve, nos ressources naturelles s’épuisent, la biodiversité fond comme la neige au soleil et ce n’est pas toujours appréhendé comme un enjeu prioritaire. Et surtout, pour être très sincère (…), on s’évertue à entretenir voire à réanimer un modèle économique et marchand qui est la cause de tous ces désordres », lâchait-il avec gravité. Et malgré « le diagnostic imparable (qui) ne cesse de se préciser et de s’aggraver de jour en jour, ce sujet est toujours relégué dans les dernières priorités ». Dans ce contexte, « la France n’en fait pas assez, l’Europe n’en fait pas assez, le Monde n’en fait pas assez ». Et de poursuivre : « La pression du court terme sur les dirigeants (…) est si forte qu’elle préempte les enjeux de moyen et de long terme. C’est la vérité ». Pour enfin concéder que sur ces questions, « je suis seul dans ce gouvernement ».

Une démission qui fait l’effet du bombe

Pour de nombreux observateurs, Nicolas Hulot était la « caution écologique du gouvernement ». En toute sincérité, l’ancien Ministre de la transition écologique et solidaire admettait ce matin son impuissance et son incapacité à infléchir le politique d’aujourd’hui. Pour beaucoup, comme par exemple Yves Cochet, sa démission rapide était vraisemblable depuis le début.

Bien évidemment, de nombreux doutes avaient déjà été émis au moment où Nicolas Hulot répondait de manière favorable à la proposition d’Édouard Philippe d’intégrer son gouvernement et ce en dépit de tous les éléments qui indiquaient que la politique appliquée serait motivée par une idéologie néo-libérale sur le plan économique, peu compatible avec les impératifs environnementaux qui s’opposent le plus souvent au « laissez-faire » du marché. Nicolas Hulot a-t-il été séduit par l’idée que la question écologique pourrait se régler au sein d’une formation qui souhaitait se présenter comme a-partisane ? L’urgence l’a-t-elle poussé à accepter ?

Financing and biopiracy

Peu importe aujourd’hui. Et malgré les contradictions parfois (trop) apparentes entre les convictions affichées et la vie privée de l’homme (les multiples voitures de Nicolas Hulot en ont choqué plus d’un, entre autre), on peut considérer qu’au moment d’entrer dans le gouvernement, il espérait de manière sincère faire avancer la cause environnementale. Non seulement pour adapter notre société et notre économie aux défis de demain mais aussi pour infléchir la dangereuse trajectoire sur laquelle nous sommes lancés. Malheureusement, nous connaissons l’issue de son expérience.

Sa démission en est d’autant plus fracassante et ne devrait pas être réduite à un simple fait divers. Ses mots utilisés à cette occasion sont inquiétants au plus haut degré. Son discours laisse non seulement entrevoir l’urgence absolue dans laquelle nous nous trouvons, il met également en lumière les oppositions importantes qui continuent d’influencer les plus hautes sphères du pouvoir dès lors qu’il s’agit de prendre des mesures pour protéger la planète.

La décision de Nicolas Hulot rappelle également l’inaction patente d’Emmanuel Macron et de son gouvernement sur les questions environnementales. Rapidement, les promesses de campagnes en matière de transition énergétique ont été trahies, alors que la stratégie pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre est sans aucune ambition. En ce qui concerne l’agriculture, la nouvelle loi dont le vote a commencé à l’Assemblée nationale en mai dernier, a été une occasion manquée d’inscrire certains principes directeurs fondamentaux dans le marbre (sortie du glyphosate, menus végétariens à la cantine…). En plus de ces premiers éléments, la présidence Macron a également été le théâtre d’une répression volontairement violente contre ceux qui tentent de construire un modèle de vie sur la base d’autres idéaux, notamment à Notre-Dame-Des-Landes ou encore à Bure.

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« On s’accommode de la gravité et on se fait complice de la tragédie »

Au micro de France Inter, Nicolas Hulot a mis en doute sa capacité à agir, même en restant un an de plus, déplorant sa faible marge de manœuvre en pleine conscience : « je me surprends tous les jours à me résigner, tous les jours à m’accommoder de petits pas ». Englué dans des débats stériles, il n’arrivait pas à travailler avec les autres ministres, et tout particulièrement M. Stéphane Travers, à l’agriculture. Et quand bien même les débats essentiels seraient mis sur la table, la prise de décision était entachée par « la présence des lobbies dans le cercle de pouvoir » (…), ce qui « est un problème de démocratie », par des jeux d’opposition politique qui empêchent de se mettre d’accord sur « l’enjeu supérieur » climatique, mais également par un manque de mobilisation de la part de la population.

On doit « se retrouver sur l’essentiel » loin des clivages

À qui la faute, alors que manifestement, la lutte contre le changement climatique est un échec cuisant (au moins pour l’instant) ? Que comme l’énumérait Nicolas Hulot lui-même, l’usage des pesticides ne baisse pas – bien au contraire -, que la courbe des émissions de gaz à effet de serre ne s’inverse pas, que l’artificialisation des terres se poursuit et que la biodiversité décline inexorablement. Que nous avons déjà « basculé dans la tragédie climatique » (sic) et qu’il nous appartient désormais, non pas d’éviter la catastrophe, mais d’empêcher qu’elle soit totale, et de venir en aide à ceux qui en souffrent déjà.

Nicolas Hulot est convaincu que pour résoudre la question écologique, il faut dépasser les clivages partisans, qui empêchent de passer à l’action concrète et conduisent à perpétuer le système en place, car la question environnementale est « un enjeu culturel, sociétal, civilisationnel ». Ainsi, a-t-il estimé pendant son intervention, le gouvernement n’est pas plus responsable de la situation que l’ensemble de la société, car le paradigme dans lequel nous sommes conduit à ce que chacun, à son échelle, vit et fait partie des contradictions qui empêchent de trouver une solution globale. Bref, ni une personne providentielle, ni un mouvement politique ne peuvent nous sortir de l’impasse aujourd’hui, mais seule la capacité des êtres humains – si elle existe – à « se retrouver sur l’essentiel » autour d’un projet commun, en rupture du système actuel, pour un avenir serein.


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Photographie : Thierry Ehrmann / Flickr (C.C.)

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