Connue pour être à l’origine des révélations suggérant que la banque UBS aurait organisé un vaste système de fraude fiscale et de démarchage illicite, Stéphanie Gibaud a perdu depuis tout ce qu’elle avait : emploi, logement… Alors que les lanceurs d’alerte sont essentiels dans une société démocratique, l’ancienne salariée en France de la banque suisse est toujours menacée par les procédures judiciaires 10 ans après et n’arrive pas à retrouver du travail. Et c’est loin d’être la seule. À la lecture de son nouveau livre intitulé « La traque des lanceurs d’alerte », la question se pose : peut-on qualifier de démocratiques des sociétés dans lesquelles les citoyen.ne.s détenteurs d’informations sensibles qui décident d’exposer des dysfonctionnements au sein d’entreprises privées et d’administrations sont véritablement « traqués » ?

Alors que les lanceurs d’alerte font régulièrement la une des médias, tant leur parole permet de dévoiler les mécanismes cachés utilisés aussi bien dans le privé que dans le public pour contourner la loi, rares sont les outils juridiques permettant de les protéger. Pire, leur vie est souvent détruite car leur comportement est considéré comme ambivalent. Si c’est le plus souvent économiquement qu’une vie est détruite, il arrive qu’on s’en prenne directement à leur être, comme l’a tristement montré l’actualité récente.

Ce 16 octobre, à Malte, une journaliste était violemment assassinée à la voiture piégée. Daphne Caruana Galizia, suivie par près de 400 000 abonnés, dénonçait activement des affaires de corruption touchant d’importantes personnalités politiques, notamment en lien avec les Panama Papers. L’éthique et l’intégrité ne serait pas suffisamment forts devant les intérêts économiques à défendre ? Pour Stéphanie Gibaud, cette situation absurde révèle un véritable phénomène culturel. Et il est devenu urgent de poser les bonnes questions…

Stéphanie Gibaud

« Mais qu’est ce que c’est ce pays ? C’est la France, pays des Droits de l’Homme ! »

En énumérant dans son nouveau livre de très nombreuses affaires de par le monde dans lesquelles des lanceurs d’alerte ont été poursuivis pour avoir pris la parole, Stéphanie Gibaud interroge de manière radicale le mode de fonctionnement de notre société. En effet, pour un salarié, dénoncer des pratiques illégales qui ont lieu au sein de son entreprise est un véritable risque. La liste minutieusement dressée par l’auteur le montre et laisse perplexe : dans la majorité des cas, les lanceurs d’alerte ne sont pas reconnus comme des défenseurs de la démocratie, mais, au contraire, comme des « parias de la société » selon ses mots.

Le paradoxe saute aux yeux : alors que les lanceurs d’alerte vivent souvent reclus, menacés, et sont traînés en justice, les auteurs des faits dénoncés restent quant à eux largement épargnés et peuvent continuer leurs activités en toute quiétude. Comment expliquer que cette situation se perpétue aujourd’hui, alors que c’est le cœur même de nos « démocraties » et de leur fonctionnement qui est en cause ?

Stéphanie Gibaud en a fait les frais : poursuivie plusieurs fois pour diffamation, elle estime avoir été « lâchée » par la France, alors même qu’elle a aidé l’administration à obtenir des informations à propos des activités d’UBS, lesquelles ont permis de lutter contre l’évasion fiscale et de récupérer 12 milliards d’euros. Comme pour d’autres, son acte de désobéissance a donc eu des répercutions positives pour la collectivité. Comment alors justifier sa situation aujourd’hui ?

« À partir du moment où vous dite la vérité, on vous exécute »

Pour l’auteur, il existe une véritable hypocrisie sociétale autour du statut de lanceur d’alerte. Une hypocrisie qui expose un paradoxe intenable dans nos démocraties libérales où le business est roi. « Les lanceurs d’alerte son inaudibles » : leur voix, comme celle de Françoise Nicolas qui a dénoncé des détournements d’argent public ou encore de Yasmine Motargemi qui se bat contre Nestlé, restent peu écoutés. Pour Stéphanie Gibaud, le problème dépasse largement les seules entreprises. Selon elle « la corruption est protégée de manière tellement systémique qu’elle est devenue la norme ».

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D’un autre côté, les lanceurs d’alerte sont utilisés comme contre-exemple. Si leur utilité est socialement reconnue, leur « harcèlement » par ailleurs permet d’envoyer un message clair à ceux qui voudraient malgré tout les suivre. Régulièrement, le débat est biaisé et dévie sur le passé des lanceurs d’alerte ou leurs implications politiques, dans l’objectif de les décrédibiliser. « On nous stigmatise au lieu de mettre le focus sur les révélations qu’on a fait », regrette l’auteur. Une manière bien peu originale, mais terriblement efficace, de contourner le fond du problème dans le débat public.

Dans son livre, Stéphanie Gibaud démontre que malgré les annonces, les lois Sapin I et II,  n’ont que peu changé la situation, alors même qu’elles devaient apporter une solution. Pourquoi les lanceurs d’alerte ne sont-ils pas mieux protégés ? Leur voix dérangerait-t-elle ceux qui ont la possibilité de faire évoluer le cadre législatif et juridique ? L’absence de solution politique concrète participe à décrédibiliser les élus.

Caricature de Wingz – www.wingz.fr

« Les solutions, c’est à nous de les trouver »

Malgré la situation inquiétante dans laquelle vivent les lanceurs d’alerte, Stéphanie Gibaud souhaite rester optimiste. Internet permet selon elle de reprendre la parole et peut être réapproprié par les citoyen.ne.s pour s’organiser de manière collective. « Les solutions c’est à nous de les trouver » assure-t-elle, avant de préciser « qu’il est nécessaire de se fédérer, de créer du lien et d’éduquer », afin de créer les conditions nécessaires pour changer la société de manière structurelle. Convaincue de l’urgence de soutenir les initiatives qui permettront aux individus de s’exprimer pour mieux défendre la démocratie, elle s’engage à soutenir avec les revenus de son livre (si 1 millions d’exemplaires sont vendus), ceux qui s’investissent pour les lanceurs d’alerte.

La traque des lanceurs d’alerte, préfacé par Julian Assange, est paru ce 12 octobre aux Editions Max Milo. Il est disponible en librairie pour 19,90 euros. ISBN : 9782315008421.


Sources : propos recueillis par l’équipe de Mr Mondialisation / stephaniegibaud.org / Image d’entête à la discrétion de europeecologie.eu

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