L’information fait peu de vague, mais de plus en plus de plateformes pétrolières arrivent en fin de vie au large de nos côtes. Face à ce nombre grandissant de chancres industriels perdus en pleine mer du Nord, les géants de l’industrie doivent trouver des solutions pour démanteler ces exploitations gigantesques. La dernière idée de Shell : abandonner une partie de ces plateformes désaffectées en l’état dans la mer… Si cette proposition fait naturellement bondir, le gouvernement britannique a pourtant rendu un avis favorable à ce sujet. Cette solution, qui reviendrait à créer une bombe à retardement écologique selon les critiques, a suscité une levée de boucliers du côté des associations protectrices de l’environnement, et plusieurs pays européens ont également exprimé leurs inquiétudes à ce sujet.

En mer du Nord comme partout dans le monde, de plus en plus de plateformes pétrolières arrivent en fin de vie. Pour extraire, traiter, stocker et transporter les hydrocarbures des gisements pétroliers situés sous la mer, ces installations complexes furent longtemps nécessaires. Celles-ci ont cependant une durée de vie assez limitée et courte à l’échelle d’une vie humaine : une trentaine d’années environ en fonction des réserves du gisement en question. Plus de sept milles plateformes de ce type sont actuellement implantées dans les différents océans et mers du monde, et rien qu’en mer du Nord, ce sont pas moins de 470 exploitations qui devront être démantelées dans les trois prochaines décennies. Autant dire qu’un chantier titanesque, et énergivore, nous attend.

Les structures représentent un volume et un poids énormes, pour donner un ordre d’idée, souvent équivalents au poids de plusieurs tours Eiffel. L’opération représente donc un défi de taille, en termes de protection de l’environnement, de droit de la mer, de logistique et bien sûr d’intérêts industriels et économiques. Une fois n’est pas coutume, il apparaît que ces derniers priment sur les autres. La priorité des industriels semble donc de limiter les coûts de démantèlement.

Un problème écologique majeur

Après quarante ans d’activité, les différentes plateformes Brent, au nord de l’Écosse, doivent être démantelées prochainement. 24 200 tonnes de matériaux ont déjà été dégagées par bateau, ce qui constitue la plus grosse levée en pleine mer de tous les temps. Tout impressionnant qu’il soit, ce résultat est loin de résoudre le problème écologique qui se pose ensuite. Les structures de bétons sont toujours en place, dépassant le niveau de la mer, et Shell rechigne à tout nettoyer malgré sa responsabilité indiscutable et son engagement à le faire.

Ce conflit ne date en effet pas d’hier. Déjà en 1995, le géant pétrolier anglo-néerlandais a indiqué vouloir immerger la plateforme Brent. Greenpeace s’est fortement opposé à ce projet en raison de son impact écologique jugé désastreux, et Shell a fini par annoncer qu’elle chercherait une solution moins néfaste pour l’environnement, reconnaissant les risques. Le traité de l’OSPAR, une convention internationale de protection de l’Atlantique Nord-Est et de la mer du Nord, a ainsi été modifié pour empêcher de laisser des installations pétrolières en place, en tout ou en partie.

L’OSPAR, convention internationale de protection de l’Atlantique Nord-Est et de la mer du Nord

Des déchets toxiques laissés en mer

Mais ces dernières années, des voix se sont faites entendre au Royaume-Uni pour dénoncer ce cadre légal jugé dépassé. Selon des études (commanditées par Shell), démanteler entièrement ces exploitations pourrait être plus néfaste pour l’environnement que de les laisser en place. Le géant pétrolier veut donc laisser dans les fonds marins certaines pièces de métal issues du forage, les pipelines les plus gros ainsi que les énormes colonnes en béton, qui seraient tout simplement impossibles à ramener à terre en raison de leur poids.

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Mais ces structures visibles sont en fait loin d’être le problème le plus inquiétant. « Beaucoup d’autres déchets leur sont associés » s’inquiète David Santillo, de Greenpeace, comme le rapporte Le Monde. À la base de ces piliers, des cellules de stockage de cinquante mètres de haut renferment toujours du pétrole et des résidus chimiques. D’après Santillo, « [i]ls savent que c’est possible techniquement d’en nettoyer le contenu. Ils ne laissent pas derrière eux du ciment “propre” », comme ils aimeraient le laisser entendre. » Au total, ce serait plus de onze milles tonnes de pétroles et de déchets toxiques qui demeurerait bloqués au fond de la mer.

Le gouvernement soutient la solution la moins chère

Le gouvernement britannique a pourtant l’intention de soutenir le plan de Shell, précisant que cette technique défendue par l’industriel minimiserait les risques pour l’environnement. L’avis favorable qu’il a rendu a suscité de nombreuses réactions de la part des associations, mais aussi des partenaires du Royaume-Uni au sein de l’OSPAR. L’Allemagne s’est ainsi officiellement inquiétée de la situation, soutenue à présent par la Suède, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. Le 18 août dernier, c’est la Commission Européenne qui a exprimé ses sérieuses inquiétudes à Theresa Villiers, la ministre de l’environnement britannique, rappelant que le contenu des plateformes pétrolières était considéré par la loi européenne comme des déchets dangereux.

Le secrétaire d’Etat allemand à l’Environnement Jochen Flasbarth, dans des propos recueillis par The Guardian, insiste sur le prix élevé de l’enlèvement de tous les polluants, tout en rappelant que les experts jugent que l’opération est possible. Pourtant, d’après lui, « le Royaume-Uni cherche la solution la moins chère, et non la plus écologique ». On remarque une fois de plus à quel point ces externalités négatives n’ont jamais été prises en compte par les producteurs du pétrole qui n’ont pourtant pas hésité à prendre leur part de profit durant la période productive de ces plateformes. Car ils ne seront pas les seuls à payer…

Un coût supporté par les industries et… les citoyens !

D’après des estimations publiées par Wood Mackenzie, l’industrie aurait déjà dépensé six milliards de livres dans des opérations de démantèlement, et 56 milliards de livres supplémentaires seraient nécessaires pour tout nettoyer. Au total, la facture monte au montant ridiculement grand de 70 milliards d’euros. Un coût qui devrait, en théorie et en toute logique, être supporté entièrement par les compagnies pétrolières. Pourtant, le Trésor britannique vole au secours de l’industrie, et l’argent du contribuable est indirectement mis à contribution. En effet, le gouvernement du Royaume-Uni accorde des réductions fiscales qui s’élèvent en moyenne à 45%, afin de couvrir jusqu’à 75% des coûts de démantèlement. Au lieu d’être confrontés à leurs responsabilités, les géants de l’industrie du pétrole semblent donc une fois de plus bénéficier des largesses des gouvernements.

Une réunion spéciale des quinze membres de l’OSPAR aura lieu en octobre dernier à Londres pour discuter de la situation et du désaccord entre les différents pays. Si les règles de la convention imposent bien aux industries de ne rien laisser en mer, l’OSPAR ne dispose dans les faits d’aucun mécanisme légal pour faire respecter ses dispositions. Comme les plateformes sont situées sur le territoire britannique, le gouvernement pourrait donc en théorie ignorer les objections des autres États, sans que ceux-ci ne puissent le contraindre de faire autrement. Affaire à suivre donc, mais l’on peut déjà craindre le pire quand à l’issue probable de cette crise.

R. D.

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