Ce n’est plus un secret pour personne, le monde industriel a transformé l’animal en un stock de ressources vivant où l’on puise allègrement ce dont nous avons besoin. Fabrice Derzelle est le fondateur et le président de l’ASBL Végétik, la principale association végétarienne de Belgique francophone, dont le travail est essentiellement pédagogique. Alerté par les conditions dans lesquelles vivent les animaux destinés à la consommation humaine ainsi que les conséquences de l’élevage intensif sur l’environnement, il s’engage depuis 2006 pour une alimentation éthique. Impliqué dans la vie associative de Liège, cet enseignant en philosophie nous rappelle en douceur les conséquences d’une alimentation trop carnée tout en suggérant que réduire notre consommation passe par une déconstruction des imaginaires qui lient bien volontiers viande et force physique. Malgré des convictions fortes, il défend une position pragmatique et tolérante sur le sujet : les débats violents n’aboutissent à rien et, pour convaincre, le mouvement doit s’armer d’empathie et de bienveillance envers ceux qui ne sont pas encore convaincus. Entretien.

Mr Mondialisation : En tant que président de Végétik, vous défendez la réduction de la consommation d’aliments issus de l’exploitation animale. En quoi notre alimentation actuelle pose-t-elle problème ?

Fabrice Derzelle : Une faim de loup s’est propagée des pays occidentaux au reste du monde. La consommation mondiale de viande a quadruplé au cours des cinquante dernières années. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que ce modèle alimentaire n’est pas durable. L’élevage est l’activité humaine la plus préjudiciable pour les écosystèmes, car elle accapare 70% de la surface agricole mondiale afin de nourrir un cheptel comptant plus de 65 milliards d’animaux. L’homme et son bétail envahissent chaque année un peu plus les derniers sanctuaires de la vie sauvage, le cas de l’Amazonie est l’exemple le plus frappant.

Vivre à 9 milliards sur une planète aux ressources pillées ne va certainement favoriser la paix entre les nations

Des recherches ont été menées pour connaître les effets de cette extravagante boulimie sur l’environnement, les résultats ont été présentés dans un rapport récent de la FAO. Il apparaît que cette activité est responsable de la dégradation des sols, de l’air, des nappes phréatiques et des régions côtières. 14,5% des émissions de gaz à effet de serre proviennent de ce secteur qui est responsable également de l’extinction de nombreuses espèces.

Peu le savent, mais l’élevage intensif et l’agriculture intensive sont les deux revers d’une même médaille. La découverte des engrais synthétiques au vingtième siècle a permis une augmentation considérable des rendements qui aurait dû se traduire par une diminution des prix des produits végétaux et une diminution des surfaces d’exploitation. C’était, en gros, une bonne nouvelle pour les consommateurs et on aurait pu utiliser ces surfaces pour recréer des zones naturelles…

Fabrice Derzelle, président de Végétik. Crédit photo : Mr Mondialisation

Mr M. : …mais ce n’est pas ce qu’on a pu observer…

F.D. : Tout a été fait pour que les gens augmentent leur consommation de viande, d’œufs, de lait. Aujourd’hui, 70 % de la production céréalière européenne fini dans l’estomac des animaux d’élevage. Quand on sait qu’un kilo de céréales nécessite un mètre cube d’eau, de l’engrais, des pesticides, du matériel agricole et du pétrole, on comprend l’intérêt du secteur à nous voir vénérer nos barbecues à chaque sortie du soleil. Un gaspillage révoltant que les générations futures auront du mal à pardonner, vivre à 9 milliards sur une planète aux ressources pillées ne va certainement favoriser la paix entre les nations.

Le plus affligeant, c’est que notre addiction à la viande finit par nous rendre malades. L’Organisation mondiale de la Santé (O.M.S) a clairement montré que la consommation actuelle de produits animaux était au centre de l’épidémie de maladies chroniques observée dans nos pays. L’année dernière, la filière viande a difficilement digéré le classement des viandes transformées dans la catégorie des produits cancérogènes avérés, une distinction dont elle se serait bien passée.

Mr M. : Chez Végétik, que proposez-vous pour résoudre l’équation ? 

F.D. : Nous sommes persuadés que le nœud du problème est la persistance de croyances erronées dans notre société. Pour faire simple, les gens pensent que les protéines animales sont meilleures que les protéines végétales voir qu’il n’y a pas de protéines dans les végétaux. Ils pensent que la viande rend fort, qu’elle est indispensable à une bonne santé.

Ces croyances sont invalidées par toutes les études épidémiologiques, il y a un décalage entre l’état actuel de nos connaissances sur ce sujet et les connaissances du grand public. Le rôle d’une association comme Végétik est de partager, diffuser ces connaissances, nos actions s’inscrivent dans le cadre des missions habituelles des organisations d’éducation permanente.

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D’autres croyances doivent attirer notre attention, de nombreuses personnes et surtout les hommes pensent que l’alimentation végétale est sans saveur, terne et ne permet pas de manger à sa faim. Cela montre que beaucoup de personnes ont reçu une éducation nutritionnelle insuffisante.

D’un autre côté, les gens ne sont pas bien renseignés quant aux réalités de l’élevage. Ils pensent pouvoir trouver de la viande « éthique » et tombent dans le panneau des campagnes de communication de la filière, soumise aux impératifs de la productivité dans un monde qui a adopté la doctrine libérale comme nouvel évangile. Le secteur de l’élevage en s’industrialisant est devenu hyper productif, les corps des animaux ont été transformés par les zootechniciens en machines à produire du lait, des œufs, de la viande. Les conditions de vie des animaux dans les structures concentrationnaires qu’implique ce système se sont fortement dégradées.

Crédit photo : Mr Mondialisation

Mr M. : Mais concrètement, comment convaincre la population ? 

F.D : Notre rôle consiste à attirer l’attention du public, de lui parler de ces problèmes. Le défi est d’intéresser les gens à des questions qui sont injustement reléguées au second plan.

Végétik essaye donc de montrer la cruauté des élevages intensifs. Pour ce faire nous utilisons des moyens de communication classiques, par exemple nous avons créé un magazine en ligne, nous gérons 5 sites et nous utilisons les réseaux sociaux. Nous organisons des événements tels que des conférences, des pique-niques, des ateliers, des projections, des journées thématiques. Nous avons conscience de l’importance d’utiliser les images donc nous nous intéressons de plus en plus à la vidéo, à la réalité virtuelle et aux nouveaux outils pédagogiques.

Mr M. : Sur internet, quand il est question de viande ou de lait, nous assistons souvent à des débats surréalistes. Comment peut-on traiter la question de manière apaisée, dans l’objectif d’un débat constructif ?

F.D : Le souci que nous avons, d’une part, c’est l’attitude des néo-végétariens ou néo-véganes. Ils traversent souvent une période marquée par la colère, le dégoût, la honte d’appartenir à une espèce qui est la cause d’autant d’horreurs. C’est souvent pour les jeunes et certains adultes, une sortie violente du monde enchanteur de l’enfance ou d’une vision du monde rassurante.

C’est un choc existentiel qui peut conduire à ce constat : l’Homme n’est pas bon ! De nombreux défenseurs de la cause animale deviennent misanthropes et ressentent le besoin de déverser leur colère, leur frustration sur leurs proches ou sur les réseaux sociaux. Ils oublient que la lucidité qu’ils viennent d’acquérir est l’aboutissement d’une démarche souvent longue, volontaire, difficile et que le prix à payer est élevé ! Appartenir à une avant-garde implique souvent de devoir traverser de nombreuses épreuves. La plupart d’entre-eux seront rejetés par certains amis, moqués par d’autres, certains subiront des pressions pour revenir dans la norme. Elles viennent souvent de leurs proches et parfois de certaines institutions.

70 % de la production céréalière européenne fini dans l’estomac des animaux d’élevage.

D’autre part, nous avons en face une filière qui fait vivre des milliers de familles et qui a toujours considéré son activité comme une des plus nobles qui soit : nourrir les gens. Ils vivent dans un autre paradigme qui pourrait se résumer par les 3 N : manger de la viande c’est normal, naturel, nécessaire. Ils sont aussi victimes des mirages du scientisme qui confondent progrès technologique et progrès humain.

Mr M. : Ce sont donc deux visions du monde qui s’affrontent, ce qui génère des tensions ?

F.D : En effet, et c’est pour cette raison que nous avons pour mission de faire comprendre que notre travail éducatif nécessite de la bienveillance et de l’empathie. Je suis enseignant et j’ai constaté sur le terrain que les enseignants bienveillants étaient ceux qui avaient les meilleurs résultats, cela a été confirmé par des études. En fait, plus vous estimez votre interlocuteur, plus vous êtes prêts à considérer ses arguments.

La recherche en psychologie sociale montre très clairement que pour être écouté vous devez essayer d’établir une relation de confiance. Un bon militant a une attitude bienveillante, il doit être à l’écoute des difficultés qu’éprouvent les personnes qu’il rencontre, il doit valoriser toutes les initiatives qu’elles mettent en place pour changer d’habitude même si cela ne va pas assez vite à son goût.

Malheureusement, on voit souvent le contraire sur les réseaux ! Que d’insultes, que de violences au nom de la paix et de l’amour du prochain. C’est paradoxal d’imaginer obtenir du respect envers les animaux en utilisant le dénigrement et le rabaissement d’autrui, en paraphrasant Coluche et avec un petit détour on pourrait dire que certains militants « prônent le respect pour les autres mais n’ont même pas un petit échantillon sur eux ».

Notre association essaye de convaincre le monde de la protection animale d’adopter des stratégies de communication efficaces. Nous encourageons vivement ceux qui traversent des moments difficiles et qui éprouvent beaucoup de colères à attendre un peu que ça passe avant de venir nous rejoindre sur le terrain.

Crédit photo : Mr Mondialisation

Propos recueillis par l’équipe de Mr Mondialisation

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