Face au processus de privatisation de l’Office National des Forêts (ONF) et aux pressions financières qui en découlent, les syndicats de forestiers publient un manifeste pour rappeler que les forêts constituent notre bien commun. Fin octobre, ils étaient quelque 1 200 forestiers et citoyens concernés rassemblés pour dénoncer cette soumission de nos forêts aux logiques de l’industrialisation triomphante. Image d’illustration : THIERRY ZOCCOLAN / AFP.


À l’image des barrages hydroélectriques ou de La Poste, il semblerait qu’aucun ouvrage, service public ou bien commun ne puisse résister aux sirènes de la marchandisation. La nature ne fera pas exception. Dernière victime de ce processus que personne n’a réussi à arrêter jusqu’à présent, les forêts françaises. Depuis plusieurs années l’ONF, établissement public français chargé de la gestion des forêts publiques, voit son budget rogné. 4 emplois sur 10 y ont été supprimés en trente ans. Mais les autorités ne semblent pas vouloir s’arrêter là.

Aujourd’hui, les syndicats craignent la suppression de 1500 postes supplémentaires et de nouvelles restructurations, alors que la proportion de fonctionnaires diminue au profit des agents contractuels. Dans le même temps, ces services sont soumis à des exigences de rentabilité de plus en plus prédominantes et les logiques de la sylviculture industrielle s’impose progressivement, avec son lot de conséquences environnementales. Ainsi, les forêts publiques françaises représentent environ 25 % des surfaces forestières de France métropolitaine, mais fournissent 40 % du volume de bois vendu en France. Tous les éléments sont réunis pour « faire sauter les digues qui protègent la forêt de l’industrialisation et de la malforestation », témoigne auprès de Franceinfo Frédéric Bedel, représentant syndical du SNUPFEN Solidaires.

« La forêt n’est pas un objet de spéculation financière de court terme »

Afin de défendre leur cause, les agents de l’ONF ont traversé une partie de la France à pied. Entre le 17 septembre et le 25 octobre, ils ont parcouru 300 kilomètres depuis Mulhouse jusqu’à la forêt de Tronçais (Allier), où, réunis avec de nombreux acteurs de la préservation de l’environnement, ils ont publié leur manifeste « Pour la forêt française, notre bien commun ». L’objectif : dénoncer « la démarche de privatisation de l’Office National des Forêts, et l’industrialisation croissante qui l’accompagne ».

Les auteurs du texte d’une page rappellent que « la forêt n’est pas un objet de spéculation financière de court terme », et soulignent le rôle essentiel de ces espaces dans la lutte contre le changement climatique. « C’est le rempart de nos enfants face à une crise écologique et climatique qui s’emballe. C’est l’eau potable, la biodiversité et la résilience, l’épuration de l’air, le stockage d’une partie du carbone en excès dans l’atmosphère et la possibilité d’en stocker dans le bois matériau. C’est aussi notre lieu de connexion avec la Nature« , plaident-ils face aux décideurs. L’appel, porté par une vingtaine de syndicats, d’associations et d’ONG dont Greenpeace et France Nature Environnement est clair : ce ne sont pas seulement les emplois des forestiers qui sont en jeux, mais aussi des espaces naturels longtemps considérés comme des biens communs et indispensables pour faire face à la crise environnementale et de la biodiversité que nous traversons.

La forêt.

Une profession gagnée par le désespoir

Illustrant la colère qui monte ces derniers mois, les manifestations de forestiers ont mis en lumière un métier peu connu ainsi que le sort réservé aux forêts françaises si la tendance n’est pas inversée : en effet, alors même que ces espaces naturels jouent un rôle indispensable pour la préservation de la biodiversité, ils sont désormais soumis aux lois du marché, appelé à être plus rentable et envisager la privatisation. Les effets sont immédiats et visibles : de plus en plus on a recours à une seule essence pour les replantations (modèle de la monoculture en forêt), les coupes rases se multiplient et l’équilibre des sols et de la biodiversité sont oubliés. Une logique strictement marchande, efficace du stricte point de vue productiviste, contre laquelle professionnels du secteur, associations et simples citoyens et citoyennes élèvent la voix.

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Mais le désespoir gagne les rangs des forestiers. Le récent documentaire du réalisateur François-Xavier Drouet Le Temps des forêts  expose les ravages de la sylviculture industrielle au cœur même de la France et les difficultés croissantes rencontrées par les agents de l’ONF. Une bonne partie d’entre eux partage le sentiment de perte de sens de leur métier et de ne plus accomplir les missions pour lesquelles ils se sont engagés au sein l’établissement public, celles qui consistent à préserver les forêts. Un sentiment qu’on déjà traversé pas mal de professionnel du secteur de l’élevage ou de l’agriculture en général. Car l’esprit qui anime ces restructurations conformes aux attentes du marché global est toujours le même : favoriser un capitalisme industriel où le culte des chiffres dicte toutes les décisions. Le gouvernement peut-il rester sourd face au cri d’alerte des professionnels ?


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