Après l’exode rural, c’est l’exode urbain. Dans le sillage de la crise sanitaire de la Covid-19, de plus en plus de Français venus des grandes villes ont choisi la campagne ou des villes moyennes pour s’installer. Une nouvelle réalité qui pousse les pouvoirs publics à soutenir financièrement la mobilité routière, tout en pensant décarbonation des modes de transport et stratégie bas carbone.

L’exode des Parisiens lors du premier confinement au printemps 2020 avait fait jaser. Depuis, certains sont rentrés au bercail, mais les villes de taille intermédiaire ont tout de même vu des milliers de nouveaux arrivants s’installer.

« Il est certain que le Covid a entraîné une réflexion chez les personnes qui vivaient dans des centres urbains, assure Michel Fournier, président de l’Association des maires ruraux de France. Tous les territoires ruraux en ont bénéficié, aussi bien les villes de taille moyenne comme Épinal que les villages, de plus petite dimension. C’est indéniable. » Et ces citadins – en quête d’une meilleure qualité de vie – ont apporté avec eux de nouveaux modes de consommation.

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« Effet TGV » : une réalité nouvelle, et complexe

Avec ces nouveaux arrivants, les cartes sont aujourd’hui rebattues, en termes d’accès à l’emploi, de logement et d’offres de transports. Selon l’étude de février 2022 intitulée Exode urbain : impacts de la pandémie de COVID-19 sur les mobilités résidentielles coréalisée par le Réseau rural français (RRF) et le Plan urbanisme construction architecture (PUCA), « la sociologie des ménages engagés dans une démarche d’exode urbain est diverse et recoupe des réalités socio-économiques et spatiales variées. La pandémie fait néanmoins ressortir un nouveau modèle d’investissement immobilier, à la croisée de réflexes « collapsologiques » – soit en lien avec une anxiété croissante vis-à-vis des évolutions climatiques –, et des stratégies d’extraction de la rente foncière ». Entre la hausse des prix de l’immobilier dans les villes moyennes et les inégalités d’accès au logement croissantes, le phénomène n’est donc peut-être pas si réjouissant.

En tout état de cause, les pouvoirs publics doivent prendre très au sérieux cette nouvelle réalité, pour l’accompagner de manière harmonieuse. D’autant que l’attrait pour les villes moyennes ne cesse de grandir. Prenons comme exemple représentatif la ville de Saint-Brieuc, dans les Côtes d’Armor. Aujourd’hui, cette ville de 95 000 habitants n’est plus qu’à deux heures de Paris en TGV. À partir de la crise sanitaire, son maire Hervé Guihard a vu s’accélérer l’installation de citadins, attirés par un marché immobilier plus abordable qu’en région parisienne, que ce soit pour une résidence principale ou secondaire. Ce que le sociologue Jean-Didier Urbain appelle « l’effet TGV ».

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Le TGV d’accord, mais quid de la route ?

Mais voilà, le TGV n’a pas réponse à tout en termes de mobilité. Dans le sillage de la Loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) adoptée en 2015, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) affiche des objectifs clairs. Elle vise le « zéro émission » de gaz à effet de serre (GES) en 2050 alors que, selon les chiffres fournis par le ministère de la Transition écologique de Barbara Pompili, les transports étaient responsables de 31 % des émissions totales françaises de GES en 2019, avec 135,9 millions de tonnes de CO2 émis, dont 127,7 millions pour la route. Il reste donc beaucoup de chemin à parcourir.

Les chiffres sont connus, les solutions aussi tant il y a urgence à décarboner les routes françaises : « Les émissions carbone baissent naturellement grâce à la désindustrialisation du pays et aux progrès énergétiques, mais augmentent à cause de l’augmentation des mobilités, souligne Blaise Rapior, directeur général adjoint chez Vinci Autoroutes. Dans le secteur du déplacement, 90 % des émissions proviennent des mobilités par la route. Il faut donc parvenir à décarboner l’usage de la route. »

Pour les professionnels du secteur, cette décarbonation passe par trois axes principaux : la réduction de la congestion grâce à la réalisation de travaux de fluidification, la lutte contre l’autosolisme en favorisant le covoiturage, et enfin la mise en place de pôles d’échanges multimodaux pour associer route et transports en commun. Il est donc nécessaire d’accélérer à la fois la révolution des usages et celle des infrastructures.

 

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Les infrastructures, le nerf de la guerre

Partout en France, les manœuvres ont commencé. Sur l’autoroute de Normandie par exemple, les péages classiques sont en train de disparaître pour laisser place à des portiques automatiques, évitant aux automobilistes de ralentir. En région Provence-Alpes-Côte d’Azur ou en Occitanie, des files spécifiques sont désormais réservées aux bus sur des portions d’autoroutes. En région parisienne, des pôles multimodaux, reliant autoroutes et gares routières et ferroviaires sont en train de voir le jour pour répondre à la demande des habitants et des ex-citadins délocalisés qui retournent quotidiennement vers leur lieu de travail.

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Si ces investissements sur le réseau autoroutier sont exclusivement du ressort du secteur privé, l’État pourrait se voir délier les cordons de la bourse pour d’autres dépenses d’infrastructures et d’équipement. À commencer par les moyens de locomotion considérés comme décarbonés, voitures électriques en tête. Selon le Baromètre des Mobilités 2022 publié par la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) et Wimoov, 27,6 % de la population majeure sont en situation de précarité en matière de mobilité. Soit 13,3 millions de Français. Selon les perspectives actuelles de transition vers une mobilité dite verte et la politique d’aménagement du territoire, l’Etat pourrait choisir d’accompagner ces Français, en maintenant les aides et les primes à la conversion. Ce qui, à l’autre bout de la chaîne, entraînerait inévitablement le déploiement des bornes de recharge haut débit en faveur des véhicules électriques dans l’espace public. 

Car dans ce domaine, la France se voudrait bien plus performante. En octobre 2020, le ministre délégué aux Transports d’alors, Jean-Baptiste Djebbari, avait lancé son plan 100 000 bornes, devant être déployées d’ici fin 2021. L’échec est patent : seules 53 000 bornes étaient alors en fonctionnement au jour J. L’Etat n’a plus le choix et se trouve désormais dans l’obligation d’adapter sa Stratégie nationale bas carbone (SNBC) aux nouveaux modes de vie et aux besoins grandissants de transports durables : il va devoir mettre les bouchées doubles, en insistant notamment – via des politiques de sobriété – sur les transports en commun, et trouver pour cela des alliés.

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En matière d’équipement, d’infrastructures et de verdissement de la route, « la France peut prétendre à un leadership européen, pour peu que l’Etat dégage les financements nécessaires », estime Dominique Mondé, président du Syndicat des équipements de la route (SER). Mais l’Etat n’envisagerait pas d’assumer les 60 à 70 milliards d’investissements que la décarbonation de la route nécessitera dans les dix ou quinze ans à venir. Et nous devrons nous attendre à ce qu’il s’appuie très certainement sur le secteur privé pour tenir ses engagements.

– Pauline Simon

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