Vous pensiez qu’il n’était pas possible de se soumettre davantage aux multinationales et à leurs produits ? Après son succès aux États-Unis, Amazon commercialise le Dash Button depuis le 15 novembre en France. Un petit bouton en plastique, dédié à une multinationale, destiné à acheter sans se déplacer. Avec cet objet connecté au cœur de votre maison, chacun peut, d’une simple pression du doigt, commander un produit et se le faire livrer automatiquement chez lui en étant débité de son compte en banque. Alors qu’Amazon souhaite agrandir sa mainmise sur la vente par livraison, les individus eux, sont plus que jamais réduits à des simples consommateurs invités à presser un bouton.

La vie serait tellement simple, si d’un clic depuis chez soi, on pouvait acheter n’importe quel produit qui nous serait immédiatement livré par colis sur le pas de notre porte, n’est-ce pas ? Car le rêve, l’aboutissement ultime, serait un consommateur reclus dans sa maison, évitant toute interaction sociale n’ayant qu’à tendre la main pour faire ses courses. Avec le Dash Button d’Amazon cette vision orwellienne et effrayante du monde est au bout du doigt. Pour Clubic c’est tout simplement le « début de l’avenir », alors que LCI souligne le caractère « pratique » de l’invention. Une majorité inquiétante de médias classiques accueille le concept américain avec enthousiasme.

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L’acte de consommer réduit à une pression du doigt

Par l’intermédiaire d’une simple pastille connectée, le Dash Button permet donc de commander et de se faire livrer produits ménager et aliments sur base d’un produit déjà commandé précédemment. Aucune autre action n’est nécessaire. Amazon suggère de placer les pastilles là où vous rangez habituellement vos produits ; dès que vous vous apercevez que vos réserves s’épuisent, vous appuyez sur le bouton et la multinationale s’occupe du reste. Sur le marché français, plus de 500 produits de 43 marques de grosses compagnies – dont Nivea, Lipton, ou encore Gillette – sont concernés et l’offre a vocation a être généralisée à une gamme de produits encore plus large. Pour couvrir l’ensemble de vos besoins, il vous faudra donc des boutons différents, parsemés un peu partout dans votre maison à portée de regard.

On croirait à une mauvaise blague, mais rien n’est plus vrai. Pour avoir accès à ce « service » pour consommateurs exigeants, il faut en plus souscrire à un abonnement Premium dont le coût annuel s’élève à 49 euros. Les prix des produits proposés sont alignés sur ceux de la grande distribution. Pour ceux qui douteraient de la réussite du bouton, sa rapide adoption aux États-Unis laisse à penser qu’en Europe aussi, Amazon devrait rencontrer un grand succès. En effet, les chiffres rendus publics fin octobre montrent la réussite du Dash Button outre Atlantique. Nombre d’américains ont donc ouvert rapidement et sans recul critique leur espace privé à ces petits boutons les enfermant dans la consommation perpétuelle des mêmes produits industriels.

Le piège de la consommation formalisée

Le succès du Dash Button en dit long sur l’évolution de la société de consommation et le besoin des multinationales à lisser toujours plus les comportements des consommateurs. Sortir, aller à la rencontre des gens et se rendre dans un magasin est désormais considéré comme une perte de temps. Alors que nous sommes déjà tellement détachés de nos consommations (production, contenu, pollution,..), le Dash Button laisse entrevoir une nouvelle étape de la déconnexion la plus totale avec la réalité physique du monde qui nous entoure. Ajoutons que si le commerce en ligne ou la publicité à la télévision n’ont rien de nouveau, jusqu’à présent, acheter restait une action associée à une certaine forme de volonté, ne serait-ce que dans l’acte d’activer un paiement. Maintenant l’achat est réduit à une simple pression du doigt, votre compte étant débité automatiquement.

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Cette « innovation » commerciale est un nouveau pas en avant vers une plus grande standardisation des produits d’une poignée de grandes marques qui se sont accaparées le marché au siècle dernier. Naturellement, le bouton pousse les consommateurs à se diriger vers quelques produits préalablement définis, réduisant leur liberté individuelle à une seule et unique option. Par ailleurs, cette invention aboutit à une plus grande dépendance vis à vis des géants industriels et des multinationales tant critiquées par leurs méthodes de production loin des considérations localistes ou environnementales. Si le mécanisme devait se généraliser, tous types de commerçants pourraient en souffrir, alors que les centres-villes sont déjà délaissés par les vendeurs locaux, concurrencés par les centres commerciaux des périphéries toujours plus grands.

Enfin, c’est le consommateur qui risque d’en faire les frais. Même les conditions générales de vente du Dash Button lui sont défavorables :

« Après avoir choisi le produit que vous souhaitez acheter au moyen de votre Appareil Compatible avec le Service, certains détails de l’offre et du produit pourront être modifiés si vous commandez à nouveau le produit par la suite (…) »

« Le total des frais qui vous seront facturés pour chaque commande correspondra au prix du produit au moment du traitement de la Commande, après déduction des éventuelles remises applicables et majoration des frais de livraison et, le cas échéant, de la TVA légalement applicable.« 

Ces conditions, qui s’appliquent à toutes les personnes qui utilisent le Dash Button, signifient tout simplement que les prix des produits associés au Dash Button pourront être augmentés sans que le consommateur ne soit prévenu. Il en sera de même en ce qui concerne les frais de livraisons. Or, on comprend bien que l’usage du Dash Button n’encourage pas à aller vérifier tous les jours les conditions de vente ou le mail de confirmation d’achat d’Amazon. De manière générale, il déresponsabilise un peu plus l’acheteur et le déconnecte de l’acte d’achat.

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L’individu réduit au statut de consommateur

Le Dash Button, qui n’existe que pour accentuer les marges et monopole des grandes marques, justifie la paresse et la passivité intellectuelle, dans le sens le plus péjoratif de ces termes. Le consommateur se voit enfermé dans une posture plus passive que jamais puisque son acte d’achat est réduit à un geste simple, mécanique, désintellectualisé. Il acte son achat sans même réfléchir à ses besoins réels, par simple réflexe. L’objet même, une petite capsule adhésive munie d’une carte électronique composée d’un microphone et d’une récepteur/émetteur wifi et d’une pille AAA, est l’antithèse même de l’écologie. Et pourtant, chaque ménage est invité à en posséder des dizaines…

Derrière la facilité et la commodité qu’Amazon associe à son produit, et toute les dérives qu’on imagine volontiers, se cache une infantilisation totale de la personne, déjà entamée à travers la publicité, réduite à une seule fonction, celle de consommer. De manière insidieuse, mais avec l’accord du consommateur, Amazon et ses associés s’infiltrent dans la sphère la plus privée. Il n’est heureusement pas trop tard pour que l’expérience soit un échec en Europe. La survie des petits producteurs locaux et leurs distributeurs, déjà acculés, en dépendra grandement.

https://www.youtube.com/watch?v=EHMXXOB6qPA&feature=youtu.be


Sources : challenges.fr / theguardian.com

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