Meeting à l’ambiance artificielle, commentaires censurés, montage vidéo pour embellir la réalité… En Marche ! soigne son image de marque encore plus vigoureusement qu’une multinationale. L’une des dernières vidéos postées sur la chaîne YouTube du candidat Emmanuel Macron subit une censure a priori de ses commentaires. Près de 90% d’entre eux ne sont pas affichés. Seuls les commentaires en faveur du candidat restaient affichés les premiers jours. Sur les réseaux sociaux, ce n’est pas la première fois que le mouvement d’Emmanuel Macron est pris en flagrant délit de manipulation. Quand le spectacle fait loi, le débat citoyen laisse place à la « politique-réalité » …

Sous la vidéo de présentation du programme d’Emmanuel Macron mise en ligne ce 2 mars 2017, seuls quatre commentaires, forts élogieux, sont restés visibles les trois premiers jours après sa mise en ligne. Les autres – plus de 800 selon le compteur Youtube – n’ont pas été publiés, en raison d’une modération a priori qui filtre les apports des internautes au compte goutte et, visiblement, selon l’orientation des messages. Du point de vue politique, la manœuvre est efficace, puisque ceux qui visionneront la vidéo auront l’impression que les internautes apportent un soutien globalement unanime et enthousiaste à la candidature, en dépit d’une majorité de votes négatifs. Tout comme les sondages, les apparences peuvent influencer les choix des nombreux indécis.

Trois jours après le filtrage, d’autres commentaires ont enfin été rendus publiques au compte goutte. Une trentaine sur plus de 800 publiés par les internautes. En stratège de la communication, Emmanuel Macron lisse son image en ligne comme n’oserait pas le faire une grande entreprise. Si on peut comprendre qu’une modération mesurée (notamment contre les insultes) soit nécessaire, il apparait difficilement justifiable de camoufler une large majorité de commentaires (plus de 90%). Pourquoi les équipes de Macron se permettent-elles de violer la liberté d’expression des français si ouvertement sans que personne ne s’en émeuve ? Mais au delà de ce filtrage politique de l’opinion, le candidat a également exposé comment il mobilisait ses troupes pour améliorer ses performances sur les réseaux sociaux.

Marketing manipulatoire décomplexé

Cet aspect de la gestion des chaînes YouTube, Twitter ou Facebook de Macron ne serait qu’une anecdote si l’ensemble de sa campagne n’était pas gangrenée par ce genre de manipulations devenues trop ordinaires pour être acceptables en démocratie. Il y a peine quelques jours, une des vidéos du candidat devenait virale sur Facebook, visionnée plus d’un million de fois. Dans une réponse à une question d’un journaliste de Médiapart, Emmanuel Macron réussissait le coup de force de se présenter comme candidat du peuple, tout en reprochant aux journalistes d’insister sur sa carrière dans la finance, au détriment de ses autres engagements professionnels. Or, les équipes d’En Marche ont intentionnellement coupé la question du journaliste – que l’on peut consulter dans son intégralité sur Médiapart – orientant ainsi le sens de la question et dénigrant le travail du journaliste en cause. Une odieuse manipulation génératrice de buzz mais loin d’une quelconque authenticité.

Il y a quelques semaines, une autre polémique éclaboussait le candidat. Un faux militant s’infiltrait dans les rangs d’En Marche et mettait en lumière la manière dont les équipes de campagne fabriquent artificiellement l’ambiance des meetings d’Emmanuel Macron, comme à la télévision. Dans une mise en scène parfaitement rodée, les militants de la « Team Ambiance » sont téléguidés à distance via leurs smartphones pour assurer l’ambiance des meetings. Cette mise en scène artificielle, accompagnée d’un contrôle parfait des caméras, permet de faire croire que les discours politiques de Macron suscitent un soutien et une liesse sans limite au sein du public présent. Tout est faux, mais à l’écran, tout semble vrai. Outre la distorsion de la réalité et l’aspect artificiel de l’ensemble, ces différentes manœuvres sont à l’image d’un candidat qui mise sur les techniques publicitaires et managériales pour convaincre et diriger. Une chose est certaine, Emmanuel Macron maîtrise les outils de l’internet ; dans le même temps, l’omniprésence de techniques issues du marketing appliquées à la propagande politique posent question, car elle permettent de persuader en dehors d’un débat de fond. Une forme de politique-réalité assumée qui, en dépit de son mépris pour le peuple, fonctionne assurément.

L’ambiguïté Macron

Enfin un programme ! Il faut dire qu’il était attendu, tant les slogans manquaient à camoufler l’absence de propositions concrètes. Si son programme peut sembler complet à la première lecture, puisque la majorité des sujets essentiels sont abordés, les annonces de principes cachent de nombreuses lacunes ainsi que des propositions très générales qui n’engagent le candidat à rien. De nombreuses propositions se fondent ainsi sur un double discours assez confus qui cherche à plaire à tout le monde. Comme le souligne le Huffington Post, Macron a la « volonté de froisser le moins de monde possible. » Et c’est toute l’ambiguïté de s’affirmer ni de droite, ni de gauche. Son programme touche à tout sans proposer de direction forte pour la France. Mais qu’arrivera-il lorsqu’il faudra prendre des décisions claires ? Comme avec Hollande, une partie de l’électorat ne risque-t-il pas d’être déçu lorsque les grandes fractures liées à Notre-Dame des Landes, la finance, le nucléaire ainsi que la loi travail réapparaîtront ? Implicitement, Macron ne suggère-t-il pas, par cette apparente neutralité, l’idée que le marché global est la seule véritable autorité ?

À ce titre, la manière dont Macron aborde un sujet aussi crucial que l’écologie est assez parlante. Après avoir indiqué qu’il repoussait le dossier de l’aéroport de Notre-Dame des Landes à 2018, la mention à cet épineux sujet a discrètement disparue de son programme. Mais, récemment, il a annoncé vouloir respecter le résultat de la consultation sur le sujet qui avait eu lien en juin 2016, tout en évoquant la mise en place d’un médiateur. Il y a de quoi être perdu : soutient-t-il, oui ou non, la construction d’un aéroport à proximité de Nantes ? Le sujet est essentiel, car écologiquement parlant, il permet de connaître la position du candidat vis à vis du productivisme étatique et de tous les projets de construction de grande ampleur (« Grand projets inutiles ») qui menacent le territoire. Cependant, le candidat d’En marche préfère ne pas se mouiller et rester dans le vague.

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Pour ce qui est du nucléaire, outre sa perpétuation des engagements pris par François Hollande, il ne se risque ni à annoncer une sortie de l’énergie atomique, ni à proposer une prolongation de la durée de vie des centrales. Il ne prendra position qu’en 2018, après son élection. Encore une fois, tel un communiqué d’une entreprise du CAC40, Macron propose une pseudo-neutralité qui saura contenter tout le monde. Enfin, la méfiance qu’a Emmanuel Macron envers un principe aussi essentiel que le principe de précaution, qu’il souhaite articuler avec le principe de « d’innovation », montre que dans sa vision, la protection de l’environnement ne doit pas empêcher la marche de l’économie. « Que voulons-nous ? », s’interrogeait déjà André Gorz dans un célèbre texte de 1974. « Un capitalisme qui s’accommode des contraintes écologiques ou une révolution économique, sociale et culturelle qui abolit les contraintes du capitalisme et, par là même, instaure un nouveau rapport des hommes à la collectivité, à leur environnement et à la nature ? Réforme ou révolution ? »

En matière de territoire, l’homme politique réussit également une habile pirouette : évoquer les problèmes économique de nombreuses régions françaises (notamment en raison de la disparition des petits commerçants des centres villes pour qui il prévoit des allègements fiscaux), sans même mentionner le problème posé par la multiplication des centres commerciaux qui asphyxient ces mêmes commerces. Enfin, certaines propositions devraient mettre la puce à l’oreille avertie. En matière de dialogue social, il souhaite que « les horaires effectifs ou l’organisation du travail soient négociés au plus près du terrain », c’est à dire au niveau des entreprises. Cette idée promulguée par le gouvernement précédent dont il faisait partie avait déjà été fortement décriée à l’occasion des manifestations contre la Loi Travail, car les salariés, de par leur position, ne sont pas en mesure de négocier. Dans le monde réel actuel, c’est le détenteur du capital, par exemple Macdonald, qui fixe les règles. Les salariés sont priés de les accepter ou de prendre la porte. Derrière l’ambiguïté Macron, c’est le règne du capital sur le travail qui se perpétue.

L’écologie dénoyautée de son sens politique

Habilement, le programme de Macron reprend le vocabulaire des écologistes, tout en proposant une vision fondée sur la croissance et la relance de l’industrie. À aucun moment, il ne met réellement en cause un modèle économique dominant, incapable de répondre à l’urgence de la situation, essoufflé socialement et écologiquement parlant. Au contraire, ayant lui même été un maillon de la finance internationale, il y croit et souhaite le relancer, comme l’ensemble de ses prédécesseurs. En ces circonstances, peut-on vraiment croire les propos du candidat qui se dit proche du peuple, alors même qu’en Marche ! est financé en partie grâce aux « exilés fiscaux » de Bruxelles et de Londres ? Emmanuel Macron, qui aimerait être le candidat de la troisième voie, semble ainsi s’inscrire dans une logique productiviste et libérale traditionnelle déjà éprouvée et sans nouveauté. Sous couvert de modernité, il propose un projet largement favorable aux entreprises, dont les citoyen.ne.s risquent une fois encore de payer l’échec. Malgré tous ces paradoxes, le candidat reste étrangement épargné par les médias de masse. Au contraire, ceux-ci multiplient les articles en sa faveur. Alors que Pierre Bergé, richissime homme d’affaire et propriétaire du Monde, apportait son soutien officiel à Macron, le même journal sponsorisait sur Facebook la publication d’un de ses articles à son sujet.

Peut-être Macron symbolise-t-il finalement la victoire définitive du dictat marchand sur la vie politique. À l’image de la télé-réalité, le jeune candidat offre une image politique reluisante qui camoufle malheureusement un gouffre en matière d’engagements au service des citoyens et citoyennes.

[MAJ 09/03/2017] : Depuis la publication de l’article, 70 commentaires ont été publiés, parmi eux, des réactions négatives.


Sources : en-marche.fr / youtube.com

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