Destination de renommée internationale pour les activités touristiques en eau vive et son intérêt scientifique et environnemental, la rivière Mutehekau Shipu (aussi connue sous le nom de « Rivière Magpie ») s’est récemment vue attribuée le statut de personnalité juridique. Avec cette victoire en faveur de la préservation de l’environnement, la contamination de l’eau, la dégradation écologique et le mépris flagrant pour le bien-être des écosystèmes et de leur biodiversité sont en passe de devenir choses du passé pour cette rivière canadienne, située au Nord-Est du Québec. En effet, cette dernière dispose maintenant des armes nécessaires pour pouvoir intenter des actions en justice contre les activités qui pourraient potentiellement porter atteintes à son intégrité. Nouvelle étape vers une conceptualisation éco-centrée des relations de l’homme avec la nature.  

S’écoulant dans la région du Nitassinan, territoire ancestral de la communauté Innu d’Ekuanitshit, la rivière Mutehekau Shipu représente, depuis des millénaires, une composante essentielle de la culture et de la spiritualité de ce peuple autochtone, dont le développement dépend intrinsèquement de la préservation de la rivière. En effet, bien avant l’arrivée des colons européens, les familles innues comptaient, et comptent toujours à ce jour, sur la bonne santé de la rivière pour y exercer des activités coutumières traditionnelles et de subsistance liées à la terre, telles que la chasse ou la pèche au ushashameku (saumon atlantique).

Afin de protéger cet écosystème et la biodiversité qu’il abrite, de garantir les droits ancestraux du peuple Innu et les activités liées à l’écotourisme contre les futures potentielles menaces représentées par le développement des activités hydroélectriques dans la région, la municipalité régionale du comté de Minganie et le Conseil des Innus d’Ekuanitshit ont adopté deux résolutions accordant la personnalité juridique à la rivière Mutehekau Shipu [1].

En 2017, une manifestation éclair pour la protection de la rivière Magpie

En plus d’attribuer à la rivière un statut juridique propre, ces deux résolutions lui octroient neuf droits fondamentaux : « le droit de vivre, d’exister et de couler ; le droit au respect de ses cycles naturels ;  le droit d’évoluer naturellement, d’être préservée et d’être protégée ; le droit de maintenir sa biodiversité naturelle ; le droit de maintenir son intégrité ; le droit de remplir ses fonctions essentielles au sein de son écosystème ; le droit d’être à l’abri de la pollution ; le droit à la régénération et à la restauration et le droit d’ester en justice » [2].

Par ailleurs, afin de matérialiser les droits reconnus à la rivière, la MRC de Minganie et la Première Nation des Innu de Ekuanitshit se sont accordées pour mandater des « Gardiens » qui auront la responsabilité de devoir agir au nom des droits et intérêts de la rivière Mutenekau Shipu. Dès lors, pour veiller à la protection et au respect de ses droits fondamentaux, ils seront habilités à intenter des actions légales au nom de la rivière, et, dans le cas éventuel d’un préjudice causé, à réclamer une réparation et des dommages et intérêts pour le propre bénéfice de la rivière [3].

Une première historique au Canada

Alors que la reconnaissance de la personnalité juridique à la rivière Mutenekau Shipu est une première au Canada, et marque un avancement inédit dans la protection des écosystèmes dans cette région du continent nord-américain, cet évènement s’inscrit dans la lignée d’efforts similaires couronnés de succès dans d’autres régions du monde. À titre d’exemple, en 2014 et en 2017, le parlement néo-zélandais a adopté deux actes législatifs qui ont attribué la personnalité juridique au parc national Te Urewera et au fleuve Whanganui. Tout comme le cas des Innus avec la rivière québécoise, la participation active de différentes communautés maories a été déterminante dans l’élaboration et l’adoption de ces actes législatifs en Nouvelle-Zélande.

Le fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande. Source : flickr

En effet, les connaissances et conceptions légales de la place de l’Homme sur la terre de différents peuples autochtones s’inscrivent en marge de la conception hégémonique capitaliste et ultra-libérale que l’Occident impose comme modèle unique depuis le début de la période coloniale. Contrairement à ce modèle de société, dans la conception maorie ou innue, la terre et ses écosystèmes possèdent une personnalité inhérente complètement indépendante de l’existence humaine, et sont exemptes de toute valeur lucrative [4].

Transition écologique à travers la reconnaissance des droits de la Nature

À une époque où le changement climatique ne cesse de s’accentuer et où l’activité humaine ne cesse d’accélérer la crise écologique globale que nous traversons, les défenseurs des droits de la Nature considèrent que nos systèmes juridiques existants ne priorisent pas la protection de l’environnement, et sont inadéquats pour le faire. Dès lors, le mouvement des droits de la Nature adopte une approche alternative d’environnementalisme qui vise à reconnaitre légalement l’interdépendance intégrale des différentes communautés de vie, humaines et non-humaines [5].

Comme l’écrivait Thomas Berry, pionnier et éminent défenseur des droits de la Nature, dans son livre  The Great Work [6] :

« On ne peut accepter l’hypothèse naïve selon laquelle le monde naturel est là pour être possédé et utilisé par les humains à leur avantage et de manière illimitée. La Terre appartient à elle-même et à tous les membres de la Communauté de la Terre. »

Mutehekau Shipu. Source : https://www.flickr.com/photos/loimere/704800210/

L’attribution d’un statut juridique à la rivière Mutehekau Shipu est un nouvel exemple de la nécessité urgente d’adopter une conception alternative et éco-centrée des relations de l’homme avec la nature, et espérons-le, ouvrira davantage la voie à de futures actions similaires adoptées par nos gouvernements et pouvoirs législatifs.

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W. D.

Notes

[1] Sean Nixon, “A Quebec river now has legal personhood – what that means for granting nature rights” dans ecojustice, 5 mars 2021.

[2] Extrait du procès-verbal de la séance ordinaire du conseil de la MRC de Minganie du 16 février 2021.

[3] Résolution n° 919-082 du Conseil des Innu de Ekuanitshit du 18 Janvier 2021.

[4] Sanders, K. (2018) Beyond Human Ownership? Property, Power and Legal Personality for Nature in Aotearoa New Zealand”, Journal of Environmental Law, Vol. 30

[5] Rawson, A., Mansfield, B. (2018) Producing juridical knowledge: “Rights of Nature” or the naturalization of rights?, Nature and Space, Vol. 1 (1-2).

[6] Berry, T. (1999) The Great Work: Our Way into the Future, New York: Three Rivers Press.

Image d’en-tête : la rivière Mutehekau Shipu / Magpie (source : flickr)


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