L’exercice du journalisme est gravement entravé dans 73 des 180 Etats du classement et restreint dans 59 autres, soit au total 73 % des pays évalués. Voici le constat alarmant que dresse le rapport de l’ONG Reporters Sans Frontière. Mais si la pandémie a sans nul doute mis à mal le travail de nombreux journalistes dans le monde, d’autres facteurs plus insidieux menacent aujourd’hui la liberté de la presse.

La liberté d’expression est reconnue comme un droit fondamental depuis bien longtemps, et a été consacrée au fil des ans par de nombreux textes de droit à l’échelle nationale ou internationale. C’était déjà le cas en 1789 à l’heure de la Révolution française et de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, ou encore après la seconde Guerre Mondiale lors de la signature de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme par l’Assemblée générale de l’ONU.

Pourtant, malgré cette large reconnaissance sur le plan juridique et politique, l’effectivité de la liberté d’expression et plus précisément de la liberté d’informer peine encore à se généraliser partout dans le monde. Pire, les journalistes et autres vecteurs d’information voient leur situation se dégrader d’années en années. C’est ce que souligne l’ONG Reporters Sans Frontière depuis 2013, en établissant un classement de la liberté de la presse autour du globe. Cette étude considérable évalue ainsi tous les ans la situation des journalistes dans 180 pays et territoires différents.

Un constat alarmant

Le dernier rapport annuel de l’ONG est alarmant : l’exercice du journalisme est gravement entravé dans 73 des 180 États du classement et restreint dans 59 autres, soit au total 73 % des pays évalués. La carte publiée en annexe du rapport, teintée majoritairement de rouge, d’orange et de noir, dévoile ainsi les pays dans lesquels le journalisme est dans une “situation difficile”, voire “très grave” ou à tout le moins ceux où l’exercice de la profession est considérée comme “problématique”.

Etat de la liberté de la presse dans le monde – RSF

« Jamais la zone blanche de la carte de la liberté de la presse, qui indique une situation d’exercice du journalisme sinon optimale du moins très satisfaisante, n’a été aussi réduite depuis 2013 (année de la mise en place de l’actuelle méthodologie d’évaluation du classement) » souligne amèrement les auteurs du rapport. En effet, aujourd’hui 7% des pays étudiés peuvent se vanter d’offrir un environnement favorable à l’information libre, soit seulement 12 états sur 180. Et c’est l’Allemagne (13e, -2) qui perd ce statut tristement privilégié après l’agression de dizaines de journalistes lors de manifestations contre les mesures sanitaires en place. Avec la Norvège, la Finlande et la Suède sur les trois premières marches du podium, l’édition 2021 confirme une dominance des pays nordiques depuis cinq années consécutives.

Une dégradation flagrante de l’accès à l’information depuis le début de la pandémie

La situation sanitaire actuelle n’a évidemment pas participé à arranger les choses, comme dans de nombreux domaines. RSF enregistre d’ailleurs une dégradation flagrante de l’accès à l’information depuis le début de la pandémie. Les journalistes se retrouvent en effet souvent confrontés à un blocage de l’information à cause ou sous prétexte de la crise sanitaire.  Une « fermeture des accès » au terrain comme aux sources d’information qui entrave voir bloque complètement la couverture de l’actualité ou l’investigation de manière plus générale, notamment en Asie et au Moyen-Orient, mais aussi en Europe. Au delà de cette situation de fait déplorable, une inquiétude persiste : ces restrictions sont-elles exclusivement dues à ce contexte exceptionnel et seront-elles bien levées dès la fin de la pandémie ?

Car si certains blocages semblent légitimes face à la situation, d’autres peuvent poser question. Ainsi, en Iran (174e, -1), les autorités font preuve d’un contrôle absolu sur l’information et n’hésitent pas à condamner de nombreux journalistes pour mieux minimiser les décès liés à la Covid-19, alors qu’en Egypte (166e) la publication de chiffres sur la pandémie qui n’émanent pas du Ministère de la Santé est tout bonnement interdite. Au Zimbabwe (130e, -4), « le journaliste d’investigation Hopewell Chin’ono a été jeté en prison peu de temps après avoir révélé un scandale de détournement d’argent public dans l’acquisition de matériel destiné à lutter contre l’épidémie », expose encore l’ONG.

Les actes de violence envers les journalistes se multiplient, surtout en Europe

Si la dégradation de l’indicateur « exaction » est générale dans le monde, l’Union européenne et les Balkans voient doubler les actes de violences à l’encontre des journalistes sur leur territoire. Et pour causes : les agressions, les interpellations abusives et diverses autres violences se sont multipliées ces derniers mois à l’égard des diffuseurs de l’information, notamment en France (34e), en Italie (41e), en Bulgarie (112e, -1) et en Grèce (70e, -5) par exemple.

L’Afrique reste le continent le plus violent pour les journalistes. Même si il enregistre une dégradation plus faible de cet indicateur que son voisin européen, les autorités ont tout de même largement eu recours à la force pour empêcher ou dissuader les personnes du métier de poursuivre leur mission durant la pandémie. Paradoxalement, le continent africain enregistre aussi les plus belles progressions de l’année avec le Burundi (147e, +13), la Sierra Leone (75e, + 10) et le Mali (99e, + 9), où l’environnement médiatique s’est grandement amélioré. Cette tendance s’explique notamment par la libération des quatre journalistes du média burundais indépendant Iwacu, l’abrogation de la loi criminalisant les délits de presse au Sierra Leone et la baisse du nombre d’exactions au Mali.

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Le journalisme est le meilleur vaccin contre le virus de la désinformation

Alors que le blocage de l’information par les autorités ou les violences à l’encontre des journalistes expliquent en grande partie la dégradation de la liberté de la presse à travers le monde, un autre facteur plus insidieux participe à l’aggravation de cette situation : la méfiance croissante du public envers les journalistes et les médias. Ainsi, si Christophe Deloire, Secrétaire Générale de RSF, déclare que « le journalisme est le meilleur vaccin contre la désinformation » il admet aussi que « sa production et sa distribution sont trop souvent bloquées par des facteurs politiques, économiques (…) et parfois même culturels » . En effet, le dernier baromètre Edelman Trust révèle que 59 % des personnes interrogées dans 28 pays considèrent que les journalistes tentent délibérément d’induire le public en erreur en diffusant des informations dont il savent qu’elles sont fausses.

Cette défiance inquiétante du public envers les journalistes enjoint d’autant plus à oeuvrer pour la préservation et la diffusion de la liberté de la presse dans le monde. Car s’il est vrai que la Déclaration Universelle des droits de l’Homme déclare depuis 1948 que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression », encore faut-il que celles-ci puissent être basées sur des informations de qualité, vérifiées et établies. Le journalisme, dans son rôle de « chien de garde » de la démocratie, permet ainsi les questions, les critiques et les contestations nécessaires à tout débat de société. Pour garantir ce rôle essentiel, la presse doit également demeurée libre et indépendante, loin des groupes d’intérêts industriels ou financiers. Elle se place alors en garante de la démocratie, mais résiste également à ses dérives lorsque les fake-news et autres « infodémies » envahissent nos sphères d’information.

L.A.

Source : Rapport 2021 de Reporters Sans Frontière : https://rsf.org/fr/classement-mondial-de-la-liberte-de-la-presse-2021-le-journalisme-est-un-vaccin-contre-la

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