À Bandrélé, dans le sud de l’île de Mayotte, les déchets s’amoncellent à perte de vue le long de la rivière qui vient se jeter dans le lagon. Dans le 101ème département français, c’est scène courante que de voir s’entasser les ordures ménagères aux abords des cours d’eau mais aussi des habitations en tôle, plus couramment appelées « bangas », ainsi que le long des routes et sur les plages. Pour la population locale, la situation n’a que trop duré. Et pourtant, les moyens adéquats peinent à être mis en œuvre pour faire face à ce problème qui relève aujourd’hui de la santé publique.

Un système de ramassage des déchets défectueux

À l’exception de la communauté d’agglomération de Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), la collecte des ordures ménagères ainsi que le traitement des déchets non dangereux incombe, ou tout du moins est censée incomber, au Syndicat Intercommunal D’Élimination et de Valorisation des Déchets de Mayotte (SIDEVAM 976). Sur l’île, celui-ci a pour mission de « collecter et traiter, dans le cadre d’une délégation de service public, les déchets ménagers et assimilés ».

Pourtant, le fonctionnement du Syndicat est largement dysfonctionnel, comme cela est souligné dans le dernier rapport de la Chambre Régionale des Comptes de Mayotte, qui pointe notamment la collecte défaillante des déchets ménagers et assimilés, ainsi que l’inefficacité des moyens consacrés à la collecte.

Des bennes à ordures pleines à Passamainty, commune de Mamoudzou (© Cécile Massin)

« Tout le monde le sait, le service syndical dédié à la gestion des déchets sur l’île est complètement défaillant » souligne ainsi Manuella Grimault, coordinatrice du réseau d’Education à l’Environnement et au Développement Durable (EEDD) au sein de la fédération Mayotte Nature Environnement (MNE). « Il y a eu quelques changements, notamment au niveau de la direction, mais il n’y a aucune transformation structurelle. Les citoyens n’en peuvent plus, ils ne savent plus vers qui se tourner. » rajoute-t-elle.

 

Les quartiers informels particulièrement touchés

Dans ce département où les constructions dites « fragiles » (maisons en tôle, bois, végétal ou terre) constituent près de quatre logements sur dix selon le dernier rapport de l’Insee sur les conditions de logement à Mayotte, les quartiers dits informels sont particulièrement impactés par la mauvaise gestion, ou plutôt l’absence de ramassage des déchets sur l’ensemble de l’île :

« Dans ces quartiers, ce n’est pas que le ramassage des déchets est dysfonctionnel. Il est tout bonnement inexistant ! » alerte ainsi Manuella. « On est dans une forme d’hypocrisie totale. On refuse de mettre en place un système de collecte des déchets dans ces quartiers par peur de “reconnaître” leur existence alors qu’il est impossible de ne pas les voir. Et en attendant, les déchets s’entassent partout où il y a de la place. Souvent, ce sont des quartiers qui sont construits sur les hauteurs et les déchets dévalent les collines pour arriver directement dans le lagon. »

Pour Moustoifa Aboubacar, responsable du service Environnement et Transition Écologique de la Communauté de Communes du Sud (CCS), le problème va plus loin. « Malgré ce qu’on essaie parfois de nous faire croire, le problème des déchets, ça ne concerne pas que ceux qui habitent dans les quartiers informels, c’est un problème de santé publique ! C’est l’affaire de tous. »

 

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Des initiatives associatives pour « changer le visage de Mayotte »

Face aux dysfonctionnements du Syndicat, diverses associations se mobilisent pour sensibiliser les citoyens et les inviter à ramasser par eux-mêmes les déchets jusque dans les endroits les plus reculés de l’île. La Fédération Mahoraise des Associations Environnementales (FMAE), qui accompagne plusieurs d’entre elles, a ainsi tenu à être présente lors de l’opération de ramassage des déchets le long de la rivière de Bandrélé, organisée par l’association locale 976 Sud Prévention.

À cette occasion, une soixantaine de bénévoles se sont regroupés afin de ramasser les déchets aux abords de la rivière et des habitations avant qu’ils ne finissent emportés dans le lagon. Munis de pioches et de sacs poubelle, les bénévoles se sont attelés à ramasser l’ensemble des ordures ménagères qu’ils ont trouvées sur leur chemin, remplissant plusieurs camions de déchets. Si ceux-ci ont été affrétés pour l’occasion par la Mairie, Kelly Chevalier-Nkouka, chargée de projet au sein de la FMAE, déplore que « la majorité du temps, dans de nombreux endroits, les maisons ne sont pas accessibles aux camions poubelle et même lorsqu’il y a des bennes à ordures, il arrive parfois que les déchets s’entassent pendant des semaines avant qu’ils ne soient ramassés ».

Parmi les personnes venues prêter main forte ce matin-là, certaines sont bénévoles depuis des années comme Aoussi, originaire de la commune de Bouéni, à l’extrême sud de l’île. «  Depuis que je suis bénévole, ça évolue côté environnemental. Je ne pourrais pas dire le contraire. Les gens commencent à se réveiller, mais ce n’est pas encore ça ! » regrette-t-il. « Il faudrait que les gens soient beaucoup plus sensibilisés et éduqués aux questions environnementales de façon générale. »

 

L’engagement citoyen, un simple « cache-misère » ?

Sensibiliser et éduquer demande du temps, ce qui semble parfois faire défaut dans un département où la logique de l’urgence prend souvent le pas sur le reste. Pourtant, cela apparaît aujourd’hui indispensable comme tient à le souligner Manuella. « En tant que Fédération, on soutient et on accompagne les associations qui font du nettoyage de déchets. Mais ce type de pratiques, c’est un peu une forme de cache-misère, ce n’est en aucun cas une fin en soi. Ce qu’il faut, c’est faire comprendre aux gens qu’il faut qu’il y ait des changements de comportements en profondeur. Et ça, ça prend du temps. »

Du temps et une volonté réelle des pouvoirs publics rajoute Moustoifa Aboubacar, pour qui « il est hors de question de pérenniser les actions associatives. C’est très bien qu’elles aient lieu aujourd’hui, mais l’objectif n’est certainement pas qu’elles persistent dans le temps. Ce n’est pas leur rôle ! » En attendant que ceux dont c’est le rôle, à savoir le Syndicat mais aussi l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Mayotte, se saisissent véritablement de la problématique de la gestion des déchets sur l’île, les bénévoles et militants de l’environnement placent aujourd’hui leurs espoirs dans les nouvelles générations. Ouahabi, bénévole originaire de Moinatrindri et présent lors de l’action de ramassage des déchets à Bandrélé, déclare ainsi, souriant, vouloir faire participer « les gosses de Mayotte pour qu’ils deviennent des hommes de la terre, c’est là-dessus qu’il faut miser. »

Cécile Massin


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