Si les dernières élections ont laissé l’impression d’une montée fulgurante du FN et d’un essoufflement du système démocratique, il n’en reste pas moins que de nombreux petits bras de fer se jouent partout sur le territoire, dans les marges, en permanence. Des milliers de citoyens s’organisent un peu partout en collectifs locaux pour lutter contre les injustices et les discriminations, souvent trop peu relayées par les médias nationaux et qui semblent laisser les pouvoirs publics dans l’indifférence. C’est le cas du Collectif Jamais Sans Toit que l’équipe de Mr Mondialisation a rencontré et qui occupe depuis deux mois l’école Grand Clément, de la ville de Vaulx-en-Velin, pour faire entendre sa colère face à l’inaction des pouvoirs publiques concernant la situation des familles de trois élèves de l’école, vivants à la rue avec leurs enfants. Parents d’élèves et professeurs, associations et sympathisants s’organisent quotidiennement et se mobilisent pour que des logements pérennes soient offerts à ces familles déboutées de leurs demande d’asile, et donc sans plus aucune possibilité de logement en CADA (Centre d’accueil des demandeurs d’Asile).

Quand les citoyens se substituent aux pouvoirs publics

Début mars, des professeurs ont alertés les parents d’élèves sur la situation de deux familles qui dormaient dehors. Quatre enfants en tout, dont deux scolarisés dans l’école, n’avaient aucune solution d’hébergement avec leurs familles. Parents d’élèves, professeurs mais aussi d’autres personnes extérieures à l’école se sont organisées en réponse, au sein du collectif Jamais sans Toit Grandclément. « Ce qui réunit tout le monde c’est que c’est parfaitement inacceptable que ces personnes dorment dehors. Humainement, c’est intolérable », nous explique Magalie, parent d’élèves.

Depuis deux mois, donc, le collectif se démène pour alerter les pouvoirs publics, sans succès. Et depuis début mai, une troisième famille s’est également retrouvée à la rue, dont deux enfants (et un scolarisé dans l’école). Dans un communiqué, publié sur le site de Rebellyon, ils informent que « Malgré nos relances des autorités compétences : appels quotidiens au 115, demandes aux élu.e.s de la mairie de Vaulx-en-Velin, à Mme Le BONNEC (directrice de cabinet de la secrétaire d’Etat chargée de la politique de la Ville ) de faire respecter le droit à l’hébergement et le code de l’Action sociale et des Familles (art 3452-2), ainsi que la convention internationale des droits de l’enfant qui devraient leur assurer un logement, nous ne pouvons que constater le statisme des organes municipaux et gouvernementaux. Des possibilités d’hébergement existent puisque des logements municipaux sont actuellement inoccupés dans le quartier ou la commune ». Si la mairie de Vaulx-en-Velin s’était déclarée incompétente sur cette question, le collectif Jamais Sans Toit avait tout de même réussi à obtenir une audience avec le Préfet du Rhône à l’égalité des chances, Xavier Ingleber. La situation de l’école de Grandclément avait été abordée lors de cette audience, de même que celle d’autres écoles. Sans espoir de ce côté là aussi puisque la réponse du préfet a été de proposer un logement digne et immédiat aux deux familles, sous condition qu’elles… rentrent chez elles. Sans commentaire.

Face au manque de réaction acceptable des autorités, pourtant prévenues depuis le 10 mars dernier, les membres du collectif ont tour à tour hébergé les trois familles et organisé des évènements comme les « goutés solidaires » pour récolter des fonds.

« Ça fait deux mois qu’on se substitut aux autorités publiques, nous explique encore Magali, je ne sais pas combien de nuits chez l’habitant, combien de nuits d’hôtels… On est organisés depuis deux mois pour qu’ils ne dorment pas dehors. Mais comme on ne veut plus se substituer aux pouvoirs publics, on a décidé d’utiliser des locaux publics pour les héberger : l’école. Depuis le 2 mai, on occupe l’école la semaine pour qu’ils puissent dormir ici. N’ayant plus de solutions on les a mis à l’abri dans l’école. »

Pour offrir une continuité dans l’hébergement, le collectif récolte des fonds lors d’évènements comme les « goutés solidaires » pour offrir des nuits d’hôtels aux familles. Lundi dernier, par exemple le collectif a organisé un pot lors d’une projection du documentaire La Sociale dans un cinéma de la commune, et a récolté suffisamment d’argent pour pouvoir loger les trois familles, à l’hôtel, pendant un weekend. Une dynamique qui bénéficie d’un soutien local plutôt important puisque des commerçants leur offrent à manger pour les soirs d’occupation et puisque certains habitants proposent également d’héberger les familles chez eux. Le Secours Populaire Local a également contribué à la récolte pour payer des nuits d’hôtel.

La souffrance de nombreuses familles qui dépendent du bon-vouloir des autorités

Déboutées de leur demande de droit d’asile, l’hébergement des familles en CADA est désormais impossible. Du jour au lendemain, elles se sont donc retrouvées sans logement. Cette situation que combat le collectif Jamais Sans Toit Grandclément est malheureusement trop courante et de plus en plus de réseaux s’organisent pour prévenir et éviter que les familles concernées se retrouvent à la rue. Par exemple, c’est notamment grâce au Secours Populaire que le collectif a été prévenu qu’une troisième famille allait se retrouver à la rue début mai. Pour mémoire, en 2014 et dans le cadre du 25e anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant, les collectifs Jamais sans Toit avaient recensé plus d’une centaine d’enfants à la rue, seulement sur l’agglomération lyonnaise. Une dizaine d’écoles et de collèges de l’agglomération avaient déjà servi de refuge aux familles concernées.

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Jamais sans Toit Grandclément avait également fait face à une autre situation, l’année dernière, dans la même école. Mais, suite à une occupation de l’école pendant 10 jours, un hébergement pérenne avait finalement été proposé à la famille concernée. Il faut dire que cette fois là, les choses avaient été facilitées par le plan Grand Froid qui interdit toute expulsion pendant la période d’hiver et durant lequel le nombre de places en hébergement d’urgence se voit considérablement augmenté. Cette année, les trois familles n’ont pas eu cette chance puisqu’elles se sont retrouvées sans hébergement à la fin du plan grand Froid.

Car il s’agit bien de chance, semble-t-il. Difficile de voir la logique dans les processus d’accueil sur le territoire français tant la législation change rapidement. Un décalage énorme existe entre la détresse des familles en question, et la décision froide et factuelle des autorités qui décident d’accorder le droit d’asile ou le statut de réfugié en fonction de la situation du pays d’origine. Une histoire pure et simple de quotas d’accueil et de classifications des pays, sans même prendre en compte la situation des demandeurs et alors même que les quotas sont interdits. Comme le précise la Commission Européenne, l’accès à la procédure d’asile doit être garanti à toutes les personnes qui demandent l’asile dans un Etat membre, sans plafond numérique. Et que dire de la classification des pays d’origine ? Aucun cas-par-cas ne semble pouvoir être effectué dans de telles dispositions et la décision sera prise en fonction de la situation du pays d’origine, mais indépendamment du danger réel qu’encourent les demandeurs d’asile dans leurs pays. Si vous venez d’un pays jugé « sûr », tant pis pour vous, vous ne semblez pas « en danger » au yeux de la loi française.

Image : ylyon.fr

Mais au delà de ces injustices, le Collectif Jamais Sans Toit s’insurge contre le manque de réponse humaine des autorités qui se cachent derrière la loi, alors même que les solutions existeraient, au moins à court terme pour peu qu’on puisse compter sur du courage politique. La dynamique du collectif est maintenant d’aller rencontrer d’autres écoles, d’autres collectifs et associations pour réussir à constituer une force plus grande et offrir une réponse citoyenne toujours plus adaptée.


CNDA / La Croix / OFPRA / RESF / Rebellyon / Vaulx-en-Velin.net

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