Très régulièrement, les médias de grande écoute publient des articles hiérarchisant les politiciens français dans l’ordre favori de la population. Or, ces classements, qui ont souvent de quoi surprendre, sont en réalité basés sur des enquêtes d’opinions elles-mêmes construites sur des méthodes plus que douteuses.

Lorsque les journalistes évoquent les « personnalités préférées politiques des Français », certains doivent bondir dans leur canapé. Le dernier en date plaçait ainsi en tête Michel Barnier, Édouard Philippe et Gabriel Attal, étonnement tous issus de camps défaits aux élections récentes. Pour en arriver là, de nombreux facteurs ont cependant largement biaisé les résultats.

Une méthodologie biaisée

La méthodologie pour récolter les données de ce sondage peut à elle seule expliquer une bonne partie des résultats. En effet, les participants sont sollicités par téléphone selon le système des quotas. On essaie ainsi de créer un échantillon fidèle au reste de la société pour refléter son opinion.

Toutefois, la constitution de l’éventail de personnes interrogées pose déjà énormément de problèmes, notamment parce qu’il ne représente que les individus d’accord pour prendre part à une enquête. À l’inverse, ceux qui ne souhaitent pas ou qui n’ont pas le temps de répondre à ce type de sondage ne sont pas du tout pris en compte.

La gauche sous-représentée

En outre, le sondage ne consiste pas à demander tout simplement aux individus « qui est votre personnalité politique préférée », mais plutôt à énumérer une liste de cinquante personnes choisies arbitrairement et à récolter l’avis des participants pour chacun d’entre eux. Il y a pourtant fort à parier que le résultat serait radicalement différent si on réclamait aux gens de citer spontanément leur politicien favori.

De plus, sur 50 testés, 26 appartiennent à l’alliance du camp présidentiel et des Républicains, 8 sont d’extrême droite, 6 de centre gauche (PS, Place Publique, Convention), 3 divers gauche, 3 écologistes, 3 insoumis et 1 communiste.

Ainsi, 34 personnalités sur 50 sont de droite et d’extrême droite, quand la gauche n’en compte que 16. Le total tombe même à 10 si on exclut les individus dits de gauche, mais proches du libéralisme (Hollande, Cazeneuve, Royal, Glucksmann, Hidalgo, Jadot). Quant à l’extrême-gauche, elle n’est purement et simplement pas prise en considération.

Une question orientée et un procédé malhonnête

Outre cette liste, qui fait évidemment la part belle à une certaine idéologie, la façon de recueillir l’avis des gens sur ces personnalités favorise également les politiciens les plus centristes. En effet, il est demandé aux interrogés s’ils ont une « excellente, bonne, mauvaise ou très mauvaise opinion », ou bien s’ils ne connaissent pas suffisamment ou s’ils ne souhaitent pas se prononcer à propos de chaque politicien.

Or, après avoir collecté ces réponses, les sondeurs se contentent de fusionner « excellente et bonne opinion » dans une catégorie « bonne opinion », et « mauvaise et très mauvaise » en « mauvaise opinion ».

En procédant ainsi, ils s’assurent tout simplement que les politiciens les plus proches de la frontière entre la droite et la gauche obtiennent les meilleurs résultats, puisqu’ils auront plus de chance de faire hésiter les gens. À l’inverse, les plus polarisés et les plus décriés dans les médias pourront plus facilement se retrouver avec des avis défavorables.

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On s’aperçoit d’ailleurs que la plupart des interrogés répondent « bonne » ou « mauvaise », mais plus rarement « excellente » ou « très mauvaise ». Ainsi, seuls 4 politiciens sur 50 récoltent plus de 10 % d’excellentes opinions et 14 sur 50 dépassent les 20 % de très mauvaises opinions.

Un énorme biais de notoriété

Et si les chiffres négatifs sont plus élevés que les positifs, c’est sans doute parce que la population en générale a une très mauvaise image du milieu politique. Or, on en vient ici à une autre donnée cruciale, celle du manque de notoriété.


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Il faut alors se souvenir que les participants font face au téléphone à une liste de cinquante personnes. Or, beaucoup d’entre eux ne sont connus que par les passionnés de politique. Cependant, au vu des résultats, il est très fort probable que beaucoup de sondés se prononcent sur des individus avec une très faible célébrité.

Un manque d’honnêteté dans les réponses ?

Ainsi, 79 % des interrogés ont exprimé un avis à propos de Sébastien Lecornu, le plaçant comme la 19e personnalité politique préférée des Français. On peut pourtant très fortement douter qu’une aussi grande proportion de la population connaisse l’actuel ministre des armées.

Le fait qu’il ait recueilli seulement 3 % des très bonnes opinions et 6 % de très mauvaises paraît d’ailleurs confirmer cette hypothèse. En effet, les personnalités les plus célèbres semblent à l’inverse être celles qui polarisent le plus.

En réalité, il est même probable que la plupart des sondés ignorent l’existence de la majorité des politiciens de la liste. Pour autant, on peut supposer un sentiment de honte pour certains de répondre « je ne le connais pas assez » face à la plus grande partie des noms proposés. Le fait que les gens soient interrogés au téléphone doit d’ailleurs sans aucun doute accentuer le phénomène puisqu’ils n’ont que très peu de temps de réflexion et doivent réagir rapidement.

Un rôle prépondérant des médias

Bien entendu, dans ce genre de classement, le rôle des médias est considérable. C’est par exemple eux qui font émerger la notoriété d’un individu. Si Michel Barnier se retrouve en tête de ce classement, c’est surtout en raison du fait que tous les journalistes ont parlé de lui suite à sa nomination à Matignon, mais aussi précisément parce que ses opinions et son action sont extrêmement méconnues. Il y a pourtant fort à parier que les chiffres seraient différents si la population en savait un peu plus sur le profil du nouveau locataire de Matignon.

À l’inverse, d’autres personnalités qui arrivent très bas dans le classement sont très célèbres. Que ce soit de par leur bilan politique, comme Emmanuel Macron, ou par une campagne de dénigrement médiatique permanente et très documentée. Ici, le cas de Jean-Luc Mélenchon est extrêmement emblématique.

Au final, ceux qui tirent leur épingle du jeu sont sans doute les individus très connus, mais qui se sont éloignés du feu des projecteurs, créant un effet de nostalgie, le cerveau humain ne retenant naturellement du passé que le positif et oubliant le négatif. Ainsi, au bénéfice d’un illusoire « c’était mieux avant », on retrouve très haut dans le classement des personnalités pourtant détestées à leur grande époque. C’est le cas par exemple de François Hollande, Jean Castex, Bernard Cazeneuve ou Édouard Philippe.

Les opinions ne se traduisent pas en vote

On l’aura compris, ce genre d’enquête n’a en réalité pas beaucoup de valeur, d’autant plus que les bonnes opinions que certains peuvent se targuer de récolter sont très loin de devoir se traduire dans les urnes.

Personne ne peut ainsi croire qu’un Gabriel Attal, qui obtient 54 % d’opinions positives, serait en capacité de recueillir autant de pourcentage des voix au premier tour d’une élection présidentielle.

Photo de Unseen Histories sur Unsplash

Une personnification malsaine de la politique

Au final, ce genre de sondage a surtout pour but de personnifier au maximum la politique pour mieux pousser à la population à ne pas réfléchir sur le fond. La question ne devrait en effet pas être celle des individus, mais bien des idées. En diabolisant ou en sanctifiant des politiciens sur la base de l’image que les médias ont créée d’eux-mêmes, on s’éloigne inévitablement du sujet.

Et c’est bien l’objectif. Dans un monde où l’intérêt n’est pas de savoir si un candidat porte un bon projet, mais s’il est sympathique, beau, jeune, dynamique, etc., sa doctrine est vite oubliée. Ce fut la stratégie gagnante d’Emmanuel Macron, et c’est désormais celle de Jordan Bardella.

Procéder ainsi est d’autant plus grotesque que l’on ne connaît jamais vraiment un politicien, nous n’en obtenons qu’une représentation établie à travers un filtre médiatique. Et fondamentalement, le souci devrait plutôt être de se renseigner sur leurs suggestions pour transformer le pays. Et pourtant, les instituts de sondage ne publient jamais d’enquêtes pour apprendre « le programme politique préféré des Français ». Étonnant, non ?

– Simon Verdière


Photo de couverture : Wikimedia.

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