Dans ce nouvel épisode de « Mes chers contemporains » au titre provocateur « Tout le monde déteste la police ? », Usul s’interroge sur la légitimité de l’autorité et de la violence dans notre société. Les récentes manifestations contre la loi travail ont subies leur lot de répression et de bavures policières, principalement relayées par les médias alternatifs, mais avec très peu d’échos dans les mainstream. Dans ce cadre des récentes luttes sociales contre les décisions d’un gouvernement qui n’hésite pas à se retrancher derrière les forces de l’ordre pour éteindre le feu de la colère, Usul remet en cause le rôle même de la Police en République : est-elle toujours au service du collectif et du maintien de l’ordre ? Ou maintient-elle une structure faite de privilèges hiérarchiques au service d’une classe dominante ? (Vidéo en bas de page)
Sans grande surprise, Usul s’attache encore une fois à bousculer nos représentations des institutions et du pouvoir qu’elles peuvent entretenir sur nous en vulgarisant quelques théories sociologiques classiques. Dans cette vision systémique du monde, le problème n’est pas tant l’acteur d’une structure (le policier), mais bel et bien la structure elle même qui détermine le cadre des potentialités d’actions de ses acteurs (déterminisme social). Dans les faits, les violences policières, tout comme les origines et conséquences de la société de consommation, s’opèrent loin des regards du reste de la population, et même quand ce n’est pas le cas, elle bénéficie de la couverture politique adéquate. L’exemple des militants Rémi Fraisse, Adama Traoré et bien d’autres, tués « accidentellement » par des agents de police, sont là pour nous le rappeler. Que doit-on en penser ? La violence d’État n’est-elle que le fruit d’incidents isolés, éparses, ou bien la mise en œuvre d’une véritable logique de discrimination et de normalisation institutionnelle à l’encontre de ceux qui sortent des cases ?
L’aveuglement de classe
Stéphane Beaud, professeur de sociologie à l’Université Paris-X Nanterre (Paris) explique, dans cette vidéo, que ce qui rends le problème de la violence policière incompréhensible pour une partie de la population intégrée socialement, c’est l’ethnocentrisme de classe. Comprenez ici que notre position culturelle de « dominants blancs » ayant plus facilement accès au marché de la consommation nous place généralement à distance des violences ordinaires que peuvent subir quotidiennement des franges toujours plus croissantes de populations marginalisées. Et de fait, la politique de chiffres et de quotas de l’institution policière ne dessert principalement que les plus pauvres et les « racisés ». Il est rare d’assister à des interventions musclées menées à l’aube par des commandos de forces spéciales en plein quartier bourgeois, où s’épanouit finalement toute la quintessence de l’idéologie consumériste. Peut-on alors parler de discrimination systématique envers tout ceux qui n’entrent pas dans les bonnes cases ? Est-ce qu’une idéologie dominante s’exprime bel et bien au travers de l’institution policière ? Ou est-ce, comme la vision Républicaine nous l’enseigne, un nécessaire maintien de l’ordre social, convenu préalablement entre égaux, et n’ayant comme seul dessein que de faire respecter la loi ? Mais même dans ce cadre, la violence reste toujours le moyen final au service d’une autorité particulière ; faire respecter par une « violence légitime » le pacte social commun, le compromis social avec le capitalisme qui peut se caricaturer en : travail, consomme et surtout tais-toi !
Loïc, militant « Anonymous » pacifiste, violemment agressé (Photo : Matthieu Bareyre & Lynx Photographie)
Deux conceptions de la police
Mais que se passe-il, lorsque les élus n’écoutent plus ceux qui les ont fait élire ? Quel-est alors le rôle de la police en cas de fracture entre le corps social et l’État ? Certains acteurs de l’institution sont tiraillés entre le devoir de défendre l’intérêt commun (et on ne doutera pas que des policiers y adhèrent sincèrement) et la nécessité d’obéir à des ordres hiérarchiques, eux mêmes au service des intérêts économiques dominants. C’est exactement ce qu’ont illustré les violentes répressions policières aux Nuits Debout. Alors employée comme une milice privée au service de l’État, la police a révélé à qui, en définitive, elle rendait des comptes : le pouvoir politique. Ce n’est pas sans rappeler les tabassages en règle historiques du 19e et 20e siècle, lors des manifestations ouvrières et syndicales pour l’amélioration des conditions de travail. Ainsi, partagé entre le rejet catégorique de la police dans les mouvements sociaux, et l’idée Républicaine de rallier la police à la cause sociale, le mouvement Nuit debout s’est scindé en deux courants de pensées critiques quant à la question de la présence policière en manifestation.
D’un côté, le point de vue Républicain, c’est celui que l’on connaît tous, et pour cause, le système éducatif s’emploie à nous transmettre ses valeurs dès la maternelle. Dans cette perspective, la police est au service du collectif citoyen. Elle œuvre en faveur du corps social et garantit le respect des lois convenues préalablement entre égaux. Un peu comme ces supers justiciers que l’on dépeint dans les séries ou dans les reportages diffusés aux heures stratégiques sur les grandes chaînes de télévision. À l’opposé, une position souvent défendue par certains sociologues et économistes critiques, dite « révolutionnaire », considérant que le rôle de la police n’est autre que la défense et le maintien de l’ordre hiérarchique de domination, des privilèges et des intérêts des détenteurs de capitaux, in fine, des possédants. C’est pourquoi des « Républicains de Gauche » auront tendance à critiquer les dérives et l’instrumentalisation politique de la violence et de l’autorité, là où les révolutionnaires en condamneront l’existence même. Ces deux conceptions idéologiques peuvent paraître anodines, elles sont pourtant déterminantes quant à notre représentation même des rapports sociaux au sein d’une société. La culture ouvrière croit en la lutte des classes, au rapports de violence intrinsèque à toute organisation sociale hiérarchisée. Elle s’oppose naturellement à l’embourgeoisement qui symbolise les rapports sociaux lissés de toute violence intrinsèque, qui croit au mérite et à l’ascenseur social, qui nie les privilèges et qui exprime sa politique au travers de l’appareil institutionnel d’État. Si on compare ces deux conceptions, on peut théoriser que « la police » est un organisme ni bon ni mauvais par nature, mais, à l’image de nos démocraties modernes, totalement dépassé et en attente d’un nouveau cadre plus effectif pour répondre aux grandes problématiques de notre temps.
Caricature : Bésot
La police, organe de « normalisation » ?
Et si en réalité, la police remplissait ce rôle de normalisation, de contrôle des déviances sociales ? Dans le contexte actuel de crise économique grave, d’inégalités sans cesse croissantes, d’envolée du chômage laissant des millions de personnes dans la précarité, comment contrôler mais surtout reconnaître la déviance ? Entre les patrouilles récurrentes dans les banlieues, loin des quartiers commerçants, les contrôles au faciès souvent basés sur des stéréotypes raciaux et la répression grandissante dans les mouvements sociaux ou encore chez ceux qui adoptent un autre mode de vie ou d’habitation…, comment ne pas remarquer que le maintien de l’ordre se traduit surtout par un contrôle de l’espace publique ? Et c’est là le point névralgique du désaccord entre Républicains et Révolutionnaires : doit-on également considérer les contrôles ordinaires comme une forme de violence ou de discrimination, de surcroît lorsque les concernés sont toujours les mêmes (populations déclassées, jeunesse paupérisée, personnes « racisées » etc…) ? En créant des « délits spécifiques », la justice fournit les moyens légaux et institutionnels aux forces de police pour contrôler les marginaux qui ne joueraient pas suffisamment au jeux du marché et du travail, ou qui présenteraient des signes extérieurs de stéréotypes-sociaux. Ce n’est pas étonnant que la surenchère autoritaire ai explosé depuis la montée du néo-libéralisme mondialisé. Pour maintenir son ordre hiérarchique profondément inégalitaire et basé sur l’exploitation des forces de travail, le pouvoir a besoin d’une force de répression toujours plus féroce, entraînée à affronter l’ennemi intérieur que représente tout déclassé social, en marge de la société marchande, danger potentiel pour tout ceux qui continuent de jouer au Monopoly. Ainsi, alors que la police devrait « chasser » ceux qui trichent au jeu, elle punit trop souvent ceux qui ne veulent plus y jouer (revoir le film « Jeu de Société » qui traite de ce sujet).
Michel Foucault, un philosophe ayant longtemps travaillé sur la relation entre pouvoir et savoir, affirmait que l’objectif profond de la Justice était de légitimer et de légaliser la violence d’État dans l’espace publique, de créer un contact direct entre l’institution et le corps social, et ce au travers des agents de police. Ici, la Justice est au service de la Police et non l’inverse comme l’idéologie Républicaine s’emploie à le penser. Mais par delà les mots se cache une réalité de fait ; la violence comme moyen d’autorité est une composante structurelle et structurante de l’ordre social établi. Peut-on alors imaginer une société soustraite à l’intervention directe de l’État dans la vie collective ? Pour qu’une convergence des luttes émerge et soit assez conséquente pour constituer un réel pouvoir et nous permettre de nous redéfinir collectivement, de reprendre le contrôle sur la production de nos richesses et la gestion de notre vie commune, doit-on nous aussi user d’une « violence sociale » ? Ou bien existe-il d’autres moyens plus légaux et constitutionnels de retourner le pouvoir institutionnel à notre avantage ? Il se peut fortement que le résultat des futures élections présidentielles, en 2017, nous apportent des éléments déterminants quant aux conditions de possibilités du mouvement de contestation social.
Le reportage d’USUL