Chaque année, le Festival des Lanternes de Taïwan attire des millions de personnes avec davantage de touristes d’année en année. Il s’agit de la fête traditionnelle la plus importante de l’année lors de laquelle la tradition veut que soient lâchées des dizaines de milliers de lanternes illuminées. Un magnifique spectacle nocturne lorsqu’elles sont lâchées à la nuit tombée. Souci : des entreprises proposent désormais ce type de lancé de lanternes chaque jour de l’année pour les touristes. Mais ces structures faites de papier huilé et de métal sont sources d’une pollution insoupçonnée. Reportage depuis Taïwan.
Le Festival des Lanternes est organisé à Taïwan depuis 1990, il débute le 15ème jour du premier mois lunaire et dure une quinzaine de jours. Ce qui correspond à la période entre fin février et début mars. Chaque année depuis 2001, il se tient dans une ville différente ; en 2019 il fut réparti sur trois sites : Pingtung, Dapeng et Donggang, du 19 février au 3 mars. On l’appelle aussi « Petit Nouvel An » car il marque la fin du Nouvel An chinois.
Pour l’occasion, on accroche des lampions colorés dans les temples et les parcs. Durant les festivités on peut assister à des défilés de lanternes et de chars surmontés d’immenses lanternes artistiques dont les thèmes sont inspirés par la mythologie, le signe zodiaque annuel ou le folklore chinois. Des animations populaires ont aussi lieu telle la danse du dragon et du lion ou des numéros acrobatiques. Un moment très coloré et festif.
Mais l’attraction préférée des enfants (et des touristes) réside dans le lâcher de petites lanternes lumineuses en papier huilée. La nuit, l’image est romantique : des milliers de lanternes en papier envahissant le ciel, un peu comme dans le film d’animation Raiponce, emportant avec elles autant de souhaits que l’on y inscrit à leur surface. Si on s’émerveille bien volontiers de voir toutes ces lanternes délicates partir, on se soucie bien peu de savoir ce qu’elles deviennent après la fête.
La réponse est simple et sans surprise, elles finissent par retomber bien sûr, bien souvent dans la nature. Et c’est là que l’image féerique à la sauce Disney devient nettement moins belle : les débris vont s’éparpiller dans les campagnes environnantes. Quand on sait que cette année les organisateurs avaient prévu de distribuer pas moins de 80 000 lanternes aux visiteurs on imagine la quantité problématique de déchets que ces lanternes représentent, pour un bref moment poétique.
Mais la problématique va aujourd’hui bien plus loin qu’un seul jour dans l’année ! Au nombre de lanternes « officielles » s’ajoutent les lanternes lancées par les visiteurs eux-mêmes, vendues dans le commerce, ainsi que des lanternes « géantes » vendues dans de très nombreuses zones touristiques et lancées directement par des échoppes locales sans aucun contrôle de sécurité. Et ces lancés se déroulent plusieurs mois de l’année au rythme des flux touristiques, chaque jour sans interruption. Sur place, nous avons compté un lancé toute les 5 minutes en moyenne. Le nombre total de lanternes est alors difficilement quantifiable.
Lors de notre enquête, nous nous sommes arrêtés dans un petit village de New Taipei, une municipalité rurale située au nord de Taïwan. Non loin de là, des cars de touristes viennent observer la cascade pittoresque de Shifen. Des dizaines de lanternes décorent le ciel, en pleine journée ! Dans la ruelle commerçante du village, rapidement, des vendeurs nous alpaguent. 150 TWD le lancé assisté de lanterne, soit moins de 5 euros. Les touristes s’y bousculent. Tout le monde veut lancer sa lanterne, même en plein jour, même sous une fine pluie. Le lâché se fait en toute hâte sur les rails du chemin de fer en activité sous le regard de chats errants. La scène est presque surréaliste, mais la magie n’y est franchement pas.
Sous nos yeux, une lanterne visiblement de mauvaise qualité s’enflamme et retombe en lambeaux flamboyants aux abords du chemin de fer. Un habitant voyant la scène se jette sur les morceaux encore en feu pour tenter de les étouffer avec ses pieds. Pas de quoi faire sourciller les visiteurs. Notre guide tente de nous rassurer : « ce genre de chose arrive souvent mais il n’y a aucun danger ». Tout autour de là se trouvent des dizaines de maisons en bois anciennes et majoritairement vétustes. Nous ne sommes pas convaincus. La région est particulièrement pauvre et ce triste business semble être une rare source d’argent pour les habitants.
Notre guide nous invite alors à nous rendre au pied de la cascade de Shifen. Pour l’atteindre, il faut marcher quelques minutes dans la nature environnante. Tout autour, une forêt dense englobe les lieux. Particulièrement visibles du fait de leur couleur, des restes de lanternes sont suspendus aux arbres tout autour de nous. Il est impossible de ne pas les voir, elles sont partout. En décomposition, ces lanternes semblent se dégrader très lentement, à l’exception de leurs parties métalliques qui finiront sur le sol. Au pied de la cascade, même tableau, plusieurs lanternes pourrissent dans l’eau. Le charme est définitivement rompu.
En 2008, alertée par les problèmes environnementaux causés par les lanternes, l’Agence de Protection de l’Environnement de Taïwan (EPA) a crée un site internet et invité la population à venir y lâcher une lanterne virtuelle plutôt que réelle pour ne pas sacrifier à la tradition. Mais l’imitation internet est forcément moins séduisante que son originale qui peut compter sur le soutien d’ardents défenseurs de l’évènement qui prétextent de pratiques folkloriques et de l’économie touristique pour perpétuer la pratique.
Le lâcher de lanternes en papier n’est d’ailleurs pas le seul sujet de discorde entre écologistes et tenants des traditions. Ces derniers s’opposent également sur la question de « l’argent fantôme ». Il s’agit de faux billets qui sont brûlés dans les temples pour que les ancêtres ne manquent de rien dans l’au-delà. Une coutume présente dans plusieurs pays asiatiques qui permet aux temples de générer des fonds pour entretenir les lieux, les billets étant à vendre contre de la véritable monnaie. Problème : la fumée dégagée par le feu des billets brûlés peut se révéler très envahissante, au point, selon la météo, de bloquer la vue dans les rues taïwanaises déjà très polluées. Sans compter que cette pollution atmosphérique peut être dangereuse pour la santé, une étude ayant démontré que la fumée relâchait du benzène et d’autres produits cancérogènes.
Pour faire face au problème, plusieurs villes ont décidé de collecter l’argent fantôme pour le brûler dans des incinérateurs dont les émissions nocives sont réduites. D’autres villes ont crée des sites internet où l’on peut aller brûler virtuellement l’argent. Même un temple bouddhiste a décidé d’organiser une cérémonie virtuelle de combustion de billets retranscrite sur écran géant, privilégiant la santé des croyants à la tradition pure. Comme dans le cas des lanternes, ce type de solutions permet de concilier tradition et protection de l’environnement mais le rejet est palpable. Chaque année, le volume de billets récoltés pour être incinérés collectivement augmente, devant la conscience écologique montante chez les Taïwanais. Étrange paradoxe.
Toutefois, concernant les lâchers de lanternes, la résistance est encore plus rude d’autant que des intérêts économiques importants entrent en jeu. Ainsi, des vendeurs assurent que leurs lanternes ne sont pas polluantes, certains les rachètent pour inciter les gens à aller les ramasser et des pompiers sont mobilisés durant le festival pour pallier au risque d’incendie. Enfin et surtout, l’aspect romantique de la tradition ne joue pas en la faveur d’un site internet…
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Sources : nytimes.com / gralon.net