Théorisé par l’économiste et sociologue Bernard Friot, le salaire à vie est un revenu versé à chaque individu, irrévocable et ne pouvant que s’améliorer, non plus en fonction de son emploi, mais basé sur sa qualification personnelle. Une organisation de société révolutionnaire qui ferait disparaitre pauvreté et chômage. Décryptage.
Imaginez un système où il n’y aurait ni chômage ni pauvreté. Un fonctionnement qui permettrait à chacun d’être reconnu dans la collectivité pour ses compétences et où personne ne pourrait accaparer l’immense majorité des richesses induites par les productions humaines. Ce mécanisme, c’est le salaire à vie.
L’interminable lutte contre le chômage
L’idée du salaire à vie part d’un constat simple : éradiquer le chômage avec notre système actuel ne pourrait se faire qu’au détriment des droits des classes laborieuses et en trafiquant les statistiques. C’est d’ailleurs exactement ce que ne cesse de faire Emmanuel Macron.
Les tenanciers du capitalisme néo-libéral n’hésitent plus à exclure les chômeurs des listes et à laisser la pauvreté des employés s’envoler. De multiples demandeurs d’emploi se sont ainsi retrouvés apprentis sans débouchés, travailleurs indépendants privés de droits sociaux et de sécurité de revenus, ou encore sous contrats précaires à temps partiel et dans la plupart des cas à durée déterminée.
Pour autant, se féliciter de la prétendue « baisse du chômage » alors qu’on ne fait en réalité que détériorer les conditions de vie des plus démunis tout en les pointant du doigt, n’a rien d’inédit. L’Allemagne ou les États-Unis sont d’ailleurs déjà des champions en la matière depuis de très nombreuses années.
La perspective d’un avenir encore plus sombre
Alors qu’il pouvait être espéré que le temps de travail des individus continue de diminuer comme il le faisait depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il semble que la courbe soit en train de stagner.
Pire, de plus en plus de gouvernants affirmer que les gens ne travailleraient pas assez et qu’il faudrait y remédier. Le report de l’âge du départ à la retraite en France et partout sur le globe va également dans ce sens.
Pourtant, comme Mr Mondialisation l’expliquait dans un précédent article, l’augmentation de l’activité, aussi bien dans la semaine que dans la vie, favorise directement le chômage. Plus les travailleurs sont nombreux à être en concurrence, plus les places sont chères. C’est d’ailleurs pour cette raison que la classe bourgeoise tient ardemment à ce système : ce paradigme lui permet d’imposer des conditions professionnelles déplorables et de continuer à s’enrichir.
À ce triste tableau, il faut également évoquer l’émergence toujours plus pressante de la technologie. Il y a en effet fort à parier que bon nombre d’emplois, rendus inutiles par des machines, vont rapidement cesser d’exister. Les progrès fulgurants de l’intelligence artificielle font notamment craindre à certains chercheurs la disparition de pas moins de 300 millions de postes dans les années à venir.
Le revenu universel comme roue de secours du capitalisme
Du côté des hautes sphères, le sujet est déjà sur la table : comment continuer à générer des profits colossaux tout en maintenant les plus pauvres suffisamment à flots pour ne pas qu’ils se révoltent ? Dans cette optique, le revenu universel pourrait être une bonne solution.
Il s’agirait tout simplement d’une allocation minimale versée à tous citoyens sans aucune contrepartie. La proposition était d’ailleurs l’un des projets de Benoît Hamon, l’un des candidats des présidentielles françaises de 2017. De prime abord, elle pourrait être confondue avec une mesure sociale. Là où le bât blesse, c’est lorsqu’il est constaté que de plus en plus de personnalités de droite s’intéressent à cette éventualité.
D’abord, sont toujours évoquées des sommes dérisoires, bien loin du seuil de pauvreté. Aurélien Pradié, membre des Républicains, proposait ainsi un revenu vital de 715 €, martelant qu’il devait « rester inférieur au revenu du travail ». Pire, d’autres voudraient se servir de ce revenu pour justifier la suppression de toutes les allocations sociales. De là à imaginer la remise en cause des systèmes d’assurance maladie et de retraites par la même logique, il n’y a qu’un pas que les néolibéraux n’hésiteront sans doute pas à franchir.
Bernard Friot dénonce, lui, un piège dans « le cumul d’un salaire avec une allocation sociale » qui conduirait nécessairement, selon son analyse, à « l’effondrement des salaires ».
Si l’État verse déjà 800 € à tous, pourquoi un patron irait-il alors offrir plus que le minimum obligatoire à ses employés ?
La révolution du salaire à vie
Mais alors, quelle différence entre le revenu universel et le salaire à vie ? Pour résumer, ce dernier se distingue foncièrement du premier dans le fait qu’il s’accompagne d’une refonte totale du système économique du pays. Avec le salaire à vie, à partir de 18 ans, chacun reçoit une rétribution en fonction de sa qualification, obtenue par un concours. Une fois ce sésame obtenu (hormis pour le premier échelon qui est acquis dès la majorité), le revenu est irrévocable et garanti à vie. Il pourra néanmoins continuer d’augmenter au cours de l’existence si l’individu concerné atteint un palier supérieur.
Dans ce système, il n’existe tout simplement plus de salaires issus du secteur privé. Les bénéfices d’une compagnie sont directement reversés dans une caisse commune gérée par les travailleurs, puis redistribués entre tous les citoyens selon leur grade de qualification. Chaque personne est alors libre d’exercer une activité ou non. L’administration se chargera en outre de mettre en relation les entreprises et les travailleurs. Ces derniers disposeront d’une propriété d’usage des outils qu’ils utiliseront pour mener à bien leur fonction.
Pour accéder aux échelons de revenus supérieurs, un individu devra « passer des épreuves », mais aussi prouver qu’il a apporté de la valeur à la société par son labeur. De cette manière, les gens seront encouragés à travailler. Les métiers pénibles, mais indispensables, permettront quant à eux de gravir rapidement les échelons, ce qui évitera qu’ils soient délaissés. Bien entendu, ce système suppose également la fin des plus riches qui accaparent tout. La production diminuera d’ailleurs drastiquement et n’aura plus vocation à les engraisser toujours plus. Dans cette optique, Friot proposait un salaire maximal pour la plus haute qualification possible fixé à 6000 € net (qui pourra être réévaluée en fonction de l’inflation).
La confusion entre travail et emploi
À l’évocation de ce changement de paradigme radical, les fervents supporters du capitalisme pourraient bien hurler à l’oisiveté en arguant que si le choix est donné aux gens, ils ne travailleront plus. Et si plus personne ne travaille, la société s’effondrera, logique, non ? La réalité semble néanmoins plus complexe. Il est déjà étonnant que les travailleurs ne puissent donner leur avis sur les grandes fortunes qui ne produisent pourtant que très peu d’efforts en rapport des rémunérations colossales qu’ils perçoivent.
Quant à la sacro-sainte « valeur travail », on l’a sans doute trop longtemps reliée à l’emploi pour se souvenir que l’être humain effectue déjà une énorme quantité de travail non gratifié financièrement. Pour s’en convaincre, il suffit d’ailleurs d’observer le comportement de nombreux retraités qui continuent à contribuer bénévolement à la société dès lors qu’ils en ont encore la capacité.
Combien d’entre eux sont ainsi fortement engagés dans des associations, dans l’aide à la famille, la vie citoyenne, politique ou communale et dans toutes sortes de travaux ménagers d’intérêts privés ou public ? De fait, le salaire à vie permettrait à tous de mener ce même genre d’existence en alliant ses passions personnelles et sa volonté de servir le bien commun.
Le capitalisme entretient d’ailleurs une grave confusion entre le travail et l’emploi pour aliéner au second. Par exemple, un individu qui fait de la garde d’enfant peut être rémunéré pour cela. En revanche, s’il le fait pour sa propre progéniture, il n’est pas rémunéré, alors que le travail effectué est bien le même.
Les femmes sont majoritairement victimes de ce phénomène qui cumulent travail domestique gratuit et emploi rémunéré. Or, seul le travail issu de l’emploi est véritablement valorisé par la société. Et ce, même si la besogne non payée de la gent féminine dans le monde a pourtant été estimée à pas moins de 10 900 milliards de dollars par an.
Dans tous les cas, pour Bernard Friot, « l’aspiration à contribuer au bien commun est fondamentale » et l’hypothèse que l’ensemble de l’humanité n’ait plus envie d’effectuer aucune activité pour faire fonctionner notre collectivité n’est pas crédible.
La nécessité de ralentir
Ce système aurait d’ailleurs aussi le mérite d’éradiquer toutes sortes d’occupations inutiles pour la société et nocives pour la planète ; que l’on parle de « boulots à la con » qui n’ont aucun intérêt social ou de la production d’objets dispensables à nos vies simplement destinés à faire du profit.
Libérés de toutes contraintes financières, les citoyens auraient sans aucun doute plus de temps pour donner du sens à leur existence et se focaliser sur des tâches qui représentent un véritable apport pour tous. Et puisque nous choisirions nous-mêmes la durée que nous souhaitons consacrer à nos activités, il sera beaucoup plus facile de les exercer avec envie et volonté de servir le bien commun.
Ce système répondrait également à l’urgence écologique qui nécessite une rapide décroissance et donc une baisse drastique de notre production. Une étude préconisait d’ailleurs une semaine d’emploi de seulement six heures pour sauver la planète. Des idées qui en feront sans doute rêver plus d’un, mais probablement pas les plus aisés qui ne s’enrichissent que par les classes laborieuses
– Simon Verdière
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