Dans un contexte de guerre sociale ravivée par la réforme des retraites, le phénomène de désertion des métiers nuisibles, sur lequel nous publions un reportage en décembre dernier, s’affirme. Des membres du discours d’Agro ParisTech en 2022, les collectifs Les Désert’heureuses et Vous N’êtes Pas Seuls reviennent sur leur refus de rejoindre « les rangs privilégiés d’une guerre menée par le monde marchand contre le vivant » et dressent des perspectives pour l’avenir. En ce 1er mai, journée internationale de lutte des travailleurs, nous publions cette tribune.

En 2022, beaucoup d’encre a coulé au sujet de la désertion des plus diplômé·es, souvent dans la confusion et la superficialité. Nous, collectifs accompagnant ce phénomène social qui s’intensifie, voulons clarifier ce que nous mettons derrière ce mot.

Deux ans de crise sanitaire ont mis à nu l’absurdité d’un quotidien passé à travailler au service d’une économie déconnectée du réel. 2022 a été l’année des vagues de démissions, des discours dans les grandes écoles et des odes au refus du travail comme marchandise. Dans ce contexte de mouvement social d’ampleur — violemment réprimé — contre une réforme des retraites qui considère les êtres comme des ressources productivistes, nous voulons préciser pourquoi nous avons choisi de déserter, dans l’idée de donner des perspectives et d’élargir le front de la contestation.

Manifestation contre la réforme des retraites. Janvier 2023. Paris. Source : Wikicommons

Que désertons-nous ?

L’illusion perdure selon laquelle la fin du monde serait empêchée par les responsables du désastre : le capitalisme, l’industrie, la technologie, l’État. Quelques pistes cyclables, voitures électriques, panneaux solaires, écoquartiers et autres taxes carbones seraient des « solutions ». Or, notre régime économique repose sur l’exploitation des classes laborieuses et des milieux vivants. Il a imposé un mode de vie et une hiérarchie sur tous les territoires du globe par la violence, étouffant progressivement toute alternative.

Contraint·es de passer par la monnaie pour nous nourrir, nous loger, nous soigner, nous sommes privé·es de tout contrôle sur nos vies et de nos moyens de subsistance. Ce ne sont pas les activités artisanales, agricoles ou artistiques qui remplissent l’estomac, mais plutôt l’individualisme, la compétition et l’héritage.

Pour nous, être libre, c’est être capable de prendre en charge directement et collectivement nos besoins primaires. Nous ne voulons plus dépendre de l’industrie pour y subvenir.

Jeunes diplômé·es, nous étions parti·es pour des carrières promettant confort et privilèges, en échange de notre loyauté à la classe bourgeoise dominante. Nous avons déserté, car nous refusons ce rôle de complice.

Nous désertons les rangs privilégiés d’une guerre menée par le monde marchand contre le vivant. Nous désertons le carriérisme, et les vaines tentatives de verdir le monstre depuis son intérieur. Nous désertons le culte de la technologie, et les fausses solutions promises par l’industrie pour combattre ses propres fléaux.

Déserter pour mieux riposter

Nous souhaitons sortir de l’entre-soi et entrer en résistance, aux côtés de celles et ceux qui se battent pour la terre et la liberté. De la défense des communs à la lutte contre les politiques autoritaires et impérialistes, nous partageons nos connaissances des rouages de la machine avec celles et ceux qui tentent de l’enrayer. Cadres dits « supérieurs », habitué·es à la ville, aux salles de cours et aux bureaux, nous ne sommes pas les mieux placé·es pour nous réinventer paysan·nes et artisan·es. Alors nous apprenons auprès de personnes qui vivent humblement et fièrement, sachant faire des choses par elles-mêmes.

Nous n’inventons rien. Des luttes marronnes aux exodes anti-industriels post-68, du refus de parvenir ouvrier du début du XXème aux stratégies zapatistes des années 80, nos désertions trouvent leur inspiration dans une histoire riche de mouvements qui ont voulu tantôt résister à l’oppression, tantôt transformer leur monde, mais toujours en défaisant le pouvoir plutôt qu’en le conquérant.

L’Armée zapatiste de libération nationale au Chiapas – Mexique. Source : Wikicommons

Sortir des oppositions stériles

Nous souhaitons en finir avec le faux débat opposant « les privilégié·es qui désertent pour élever des chèvres » et « les collabos réformistes qui restent à l’intérieur ». Nous mesurons que la critique radicale de la société que nous portons est partagée par beaucoup, que des alliances sont à construire.

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Nous pouvons avoir des méthodes différentes : avec ou sans les institutions ; légales ou illégales ; violentes ou non ; locales, régionales ou nationales, voire internationales. Nous acceptons la diversité des tactiques, tant que l’on partage un horizon commun.

Ceci dit, beaucoup d’énergie est mobilisée aujourd’hui pour résister depuis l’intérieur, quand nous sommes encore trop fragiles pour construire de vrais rapports de force depuis l’extérieur. Nous n’enrayerons pas la spéculation sur le foncier agricole en la dénonçant uniquement, mais en allant physiquement reprendre les terres ! Nous ne règlerons pas le problème de la sécheresse avec des petits gestes, mais en reprenant la gestion commune de l’eau, en commençant par mettre un terme aux projets de méga-bassines !

Source : Les Soulèvements de la Terre

Nous ne ferons pas la transition avec des centrales de production industrielle d’énergie, qu’elles soient nucléaires ou « renouvelables », car elles reposent sur un pouvoir centralisé, un régime néocolonial, des infrastructures nuisibles et alimentent la même mégamachine. Pour nous, la transition se fera en démantelant ces technologies autoritaires et l’extractivisme global !

Bâtir des conditions d’existences dignes pour toustes

Chez les révolté·es solitaires, l’isolement face à l’ampleur du désastre peut générer un sentiment d’impuissance écrasant. Il paraît souvent inconcevable de tout plaquer pour s’engager, sans solution ou plan à grande échelle. Mais il n’y aura jamais de chemin facile, de bouton « sortir du cauchemar » ou de bulletin de vote magique. Déserter, c’est aussi briser cet isolement pour se redonner une puissance d’agir collective.

Notre désertion est joyeuse, elle nous rend conscient·es, capables, fier·es de nos apprentissages, et solidaires avec celles et ceux qui croisent nos routes.

Un weekend sur la désertion a eu lieu en septembre dernier au tiers-lieu paysan de La Martinière © Victoria Berni

Étudiant·es, salarié·es, retraité·es, sans emplois… Désertons ! Envisageons toutes les formes de désertion comme des options non seulement possibles, mais nécessaires, sérieuses, et désirables. Créons des réseaux de subsistance où chacun·e pourra vivre dignement. Préparons-nous à lutter pour celles et ceux qui nous entourent et en solidarité avec celles et ceux qui sont loin, pour défendre des milieux vivants et pour reprendre aux tout-puissants ce qui appartient à tous·tes…

Construisons un mouvement large et transversal de démissionnaires solidaires pour renverser le rapport de force !

– Des membres du discours d’Agro ParisTech en 2022,
des collectifs Les Désert’heureuses et Vous N’êtes Pas Seuls

Collectifs Signataires

Anti-Tech Resistance
Association Nationale Pour La Biodiversité
Campagne Glyphosate Rhône Loire
Connexion Paysanne
Coopérative Européenne Longo Maï
Desinfo.Info
Deux Points Ouvrez Les Guillemets
Désobéissance Écolo Paris
Éditions La Lenteur
Fresque Des Low-Techs
Hors D’la Loire
Ingénieur·e·s Engagé·e·s
Ingénieur·e·s Engagé·e·s Lyon
Ingénieur·e·s Sans Frontières Insa Lyon
L’archipel Du Vivant
L’équipe Du Documentaire « Si maintenant on y allait »
Les Ateliers Icare
Les Communaux
Mouvement pour des Savoirs Engagés et Reliés
Raba Joie – Riposte Autonome pour une Bascule dans l’Amour et la Joie
Reprises de savoirs
Revue Z / Les Éditions de la dernière lettre
Terres de Luttes
Ultra Sieste

Personnes signataires

A. J.François, retraité ingénieur agro, Paysan
ADOLPHE Antonin, paysan militant, déserteur de l’École Polytechnique
Alban H, ingénieur Systèmes Embarqués
ALMAZÁN Adrián, professeur de philosophie
ALTMAYER Victor, médecin
ANDRE Guillaume, psychanalyste. Ancien directeur d’hôpital, déserteur en 2018
ANNA Jean-Christophe, co-fondateur de L’Archipel du Vivant
AUDIC Martin, déserteur du génie mécanique et industriel
Aurèle, étudiant ingénieur environnement
AUTUNNO Mahée, ingénieure en agro-développement international.
AVIGNON Marianne, doctorante
B. Romain, exploité
BADEL Louis, étudiant
BAFFOU Nataël, étudiant
BERLAN Aurélien, auteur, traducteur, enseignant-chercheur
BERNARD Florian, créateur d’entreprise
BERNI-ANDRÉ Victoria, journaliste, militante écologie intersectionnelle, déserteuse du génie urbain
BODIN Xavier, chercheur CNRS
BONNEUIL Christophe, historien
BORIUS Rémy, ingénieur
BOSSU Norbert, ingénieur transition énergétique
BOUCHER Romain, ingénieur déserteur, membre du collectif Vous N’êtes Pas Seuls
BOUGOUIN Adeline, paysanne et Docteure en Agriculture
BOURDEAUD Nicolas, futur double diplômé ingénieur ISAE-Supaero et Sciences Po Paris
BRETON Jérôme, interdépendant
BUREAU Julie, assistante caméra
CANNILLA Victor, ex-trader et ex-consultant BCG, YouTuber Kraken Debrief
CASTAGNA Jérôme, multi-activiste
CHAIGNEAU Romane, paysanne en cours d’installation
CHARLES Aurélien, étudiant ingénieur
CHAUPIN Julia, jardinière
CHAUVIN Lise, ingénieure électronique en reconversion
CHENEVEZ Sandrine, enseignante agricole
CHERBUT Julie   , retraitée apicole
CHOISNE Clément, ingénieur issu de la classe ouvrière, en périple décroissant
CLERGEAU Charlotte, agricultrice
COMBREAU Cyril, ex-ingénieur éolien, déserteur
CORDIER Morganne, ingénieure en agrodéveloppement
COUTURIER Pierre, maître de conférences
COZON Stéphane, ingénieur agricole, paysan retraité
DAVIET Étienne, ingénieur en énergie et environnement
DE GIVRY Anna, étudiante
DEANSE Amandin, activiste et salarié·e saisonnier·e en arboriculture
DEBORDE Quentin, étudiant
DECKA Jean-Philippe, doctorant-chercheur
DENZLER Antoine, ingénieur déserteur en quête de poésie du monde
DIANCOFF Grégory, indépendant
DIEUDONNÉ Lina, consultante environnement
DRAMSI Shaynoor, directrice de recherche
DUGUET Rémi, écologue
DWORNICZEK Xavier, ex AgroParisTech mobilisé pour préserver l’avenir de Grignon
DÉSIR Jérémy, Quant déserteur, activiste écologiste
ERADES Quentin, travailleur social
EZÉQUEL Maxime, déserteur intermittent
FERRARI Catherine, retraitée de l’éducation nationale
FOILLERET Christian, maraicher et transformateur
GALANT Bastien, étudiant
GAUTIER Mélodie, salariée
GAYON Benjamin, docteur en aménagement de l’espace, salarié associatif et militant
GIACINTI Chloé, militante
GINOT Gaël, chercheur post-doctorant, CNRS
GIRAULT Félix, maîtrise d’ouvrage pour projets anticapitalistes
GOSSELIN Sophie, philosophe, membre de Terrestres
GOUDAL Sophie, dentiste
GOUEYTHIEU Jean-Pierre, enseignant anticapitaliste
GOUYON Pierre-Henri, professeur émérite au Muséum National d’Histoire Naturelle
Gui, paysan artisan et ingénieur déserteur
GUIGON François, support déter’
GUILLOT Pierre-Louis, étudiant
GUTIERREZ Marin, collectiviste en apprentissage
HERVE-GRUYER Charles, fondateur Ferme du Bec Hellouin
HERVE-GRUYER Lila,éditrice
HERVE-GRUYER Rose, étudiante
HERVÉ Tugdual, paysan
HUET Liliane, salariée agricole
HUOT Gabriel, néo-boulanger
HUPÉ Jean-Michel, chercheur CNRS en écologie politique
HÉLIN Julie, facilit’actrice en transition écologique
IZOARD Celia, autrice, journaliste
Jean-Paul, docteur en biologie
JEAN Yoann, maraîcher en devenir
JULIENNE Théophile, étudiant à l’École Normale Supérieure de Lyon
JÉGOUX Florence-Marie, formatrice, facilitatrice travail qui relie, pollinisatrice
KERARON Lola, une agro qui déserte
KERARON Yves, ingénierie digitale
KERBIRIOU Nils, étudiant
KNORR Cortney, ingénieur déserteur
KRIEGER Emmanuel, doctorant
KUNTZ Mathieu, étudiant, élu communal, cofondateur de L’Archipel du Vivant
LABAT Tibo, membre du collectif Défendre-Habiter
LANTIERI Esteline, militante écolo
LAPLACE Sandrine, chercheuse au CNRS
LAURENT Anthony, journaliste
LAURENT Antonin, juriste déserteur-euse dans une ferme collective
LAURENT Clément, zadiste
LAVEAU Manon, autoentrepreneure
LAZARE Léna, activiste écologiste
LE GOAS Walter, salarié
LE MEN Gaëlle, déserteuse et décroissante
LEGENTILHOMME Nathalie, infirmière
LEGRAND Arnaud, directeur de recherche CNRS
LEMERY Marion, ex-doctorante en optimisation, déserteuse
LEMOIGNE Christelle, future élève en orthoptie
LEWIS Amanda, designer et artiste
LIEVENS Laurent, enseignant-chercheur et lanceur d’alerte
LOUER Anne, sophrologue et permacultrice
LUCAS Jonathan, technicien du son
MAHÉ Valérie, ouvrière
MAILLET Mathilde, étudiante
MALEK Gabriel, président d’Alter Kapitae
MANDIL Guillaume, enseignant-Chercheur
MANGEOT Mathieu, enseignant-chercheur en sciences de la soutenabilité
MARENDAZ Mathilde, étudiante en géographie, militante, députée du canton de Vaud en Suisse
MATEUS Quentin, animateur de projet associatif
MAY Tony, libraire
MERCIER Manuel, chercheur – Membre de l’AtÉcoPol d’Aix-Marseille
MEYER Yohan, écrivaingénieur
MINET Faustine, étudiante
MODICA Critiana, agricultrice
MONNIER Anne, ingénieure transition énergétique
MOREL DARLEUX Corinne, autrice
MORICE Philippe, paysan bio
MORICE Yoann, paysan bio
NAPOLI Baptiste, chargé de mission
OBERLÉ Philippe, rédacteur sur Greenwashingeconomy.com
OHIER Nadine, paysanne bio
Oncle H, éditeur de desinfo.info
ORLIAC Charlotte, ingénieure, coach, artisane du changement
ORY Joseph, étudiant-apprenti en agronomie
PAROUBEK Stéphane, ingénieur démissionnaire
PEDEMONTE Nicolas, membre de Time for the planet
PERRON Marie-Alexandra, ex-architecte d’intérieur, enseignante-militante, en voie d’autonomie collective
PEUGEOT Juliette, salariée agricole bio
PEYRACHE Jean-Philippe, enseignant dans le supérieur
PEYRUS Florent, con-citoyen engagé
PIELY Edouard V., Journaliste indépendant, membre de la rédaction de Sciences Critiques
PINSARD Maxime, apprenti-écologue, ex-ingénieur-chercheur
PLATZER Paul, chercheur en mathématiques appliquées
PLETERI Nolwenn, animatrice santé
PORTALEZ Régis, diplômé de l’École Polytechnique
PROST Maëlle, étudiante
PRUVOST Geneviève, directeur de recherche au CNRS
RAFANELL I ORRA Josep, psychologue et écrivain
RAGUET Hugo, maître de conférences en informatique
ROBERT Kévin, ingénieur de recherche
ROMETTE Valentin, ingénieur éco-construction
RONEY Cécile, en désertion
RONSIN Gaëlle, sociologue
ROSO Claire, animatrice dans un Tiers lieu paysan, ex AgroParisTech
SAADA Paul, étudianT
SANSON Lise, étudiante ingénieure agro
SAUXPICART Stéphane, salarié
SCHMID Vincent, ingénieur
SCHRUIJER Floris, déserteur réalisateur
SCHULER Guillaume, fonctionnaire chargé de mission
SCOTET Gwennhaëlle, compostrice
SERVIGNE Pablo, ingénieur agronome et auteur
SILVANT Manon, activiste environnementale
SOUBRA Baptiste, ingénieur déformé, doctorant Cnam et Activiste
Stephen, déserteur apatride
SÉCHAUD Tristan, étudiant
TACONNÉ Marie, en reconversion
TANGUY Isabelle, coach
TERESO Manon, étudiante
TERRIER Jérôme, dit Skippy, ingénieur déserteur, dessinateur
THIÉBAUT Élise, féministe, autrice, et journaliste française.
TOURVIEILLE Samuel, étudiant ingénieur
TRIQUENEAUX Sébastien, membre de Scientifiques en Rébellion
TRÉHUÉDIC Kevin, enseignant-Chercheur
URTIZBEREA Tristan, ex-ingénieur, auteur et formateur
VANDAME Emmanuel, paysan
VERRON Loris, doctorant
VEYER Stéphane, mouvement coopératif
VIDALOU Jean-Baptiste, bâtisseur en pierre sèche
VIGIER Marie-Paule, infirmière retraitée
VINDARD Thomas, en tour de France des initiatives écologistes
VIVANT Thomas, paysan
VULLIET Jean, activiste, paysan retraité
WATEAU Mathilde, onusienne déserteuse
WIRTH Antonin, déserteur en 2015, actuellement paysan
YOLI Lou , technicienne dans les énergies renouvelables
YOUNG Aïdanne, étudiante


Photo de couverture de Pavel Neznanov sur Unsplash

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