Né au cœur des manifestations contre la réforme des retraites, Planète Boum Boum transforme la rue en dancefloor politique, prolongeant cette manière de faire résonner les luttes autrement : par les corps, la fête et le son. Dans un paysage militant où l’art, la fête et la contestation s’entremêlent — qu’il s’agisse des manifs festives bretonnes face au fascisme, du hip-hop écolo-futuriste de Kazaya ou encore des chants d’exil du Cuarteto Tafi — Planète Boum Boum apporte une nouvelle vibration.
Il y a des manières classiques de militer, et puis il y a Planète Boum Boum. Presque par accident, dans la rue, au milieu des cortèges et des casseroles, le collectif s’est imposé en quelques mois comme un souffle d’air frais.
Là où beaucoup voient la fête comme une distraction, eux en font un outil politique. Là où d’autres crient leur colère, ils la font vibrer sur des basses. Derrière leurs DJ sets engagés, il y a une conviction simple : la joie est une arme. La fête, loin d’être une fuite, devient un moyen de tenir, de se rencontrer, de se relier, de se soigner.

Rencontre avec un collectif qui met la lumière, les paillettes et le BPM au service du bien commun.
Mr Mondialisation : Pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas encore, c’est quoi Planète Boum Boum ? Un collectif, une utopie, un espace sonore, un manifeste ?
Planète Boum Boum : « Planète Boum Boum, c’est un groupe techno-activiste, né dans la rue et pour la rue. Notre spécialité : mettre de la teuf dans les manifs, et des manifs dans la teuf. On vient du milieu militant et on avait envie d’y injecter un carburant souvent sous-exploité, un carburant renouvelable : la joie.
« on a mélangé beats techno, slogans, extraits d’actualités et cris de lutte, jusqu’à créer un espace sonore, festif et politique. »
Le projet est né pendant les manifestations contre la réforme des retraites en 2023. On a inventé ce format un peu sur le vif, et la magie a opéré. Les gens ont dansé, chanté, repris nos refrains. Très vite, on nous a invités à rejouer ailleurs, en concert ou en festival. Aujourd’hui, Planète Boum Boum, c’est plus qu’un groupe : c’est un mouvement, un souffle collectif, une autre façon de militer. »
Mr Mondialisation : Pourquoi avoir choisi la fête, la musique électronique et la performance comme terrains d’expression politique ?
Planète Boum Boum : « C’est venu naturellement. On est 9, tous et toutes issu·es du militantisme, et on voulait un support plus créatif pour porter les luttes.
En manif, on marche souvent beaucoup. Si tu le fais en mode full colère, en criant des slogans a capella, c’est dur, tu fatigues et tu te concentres sur le négatif comme ton mal de pied après avoir tant marché. Si tu fais la même chose en dansant, en chantant, tout ça avec plein de gens, tu vois pas le temps passer, c’est magique .
La fête, elle mobilise le corps, crée une communauté de l’instant. Tu ne connais personne, mais tu danses avec tout le monde. Peu importe ton âge, ton look, d’où tu viens, la porte est grande ouverte. Et puis, on y met de l’humour. Ça permet aussi de désamorcer les résistances, de faire réfléchir sans asséner des leçons. »
Mr Mondialisation : Quelles luttes défendez-vous ?
Planète Boum Boum : « On vient plutôt du milieu écolo, mais une écologie populaire, sinon ce n’est pas de l’écologie. Si on ne parle pas de justice sociale, c’est du vernis.
C’est notre cœur de chansons : on a un titre sur le fret ferroviaire avec Sud Rail, un autre sur la lutte contre les puits de pétrole du bassin d’Arcachon. On parle aussi des pesticides, de la loi Duplomb … Et via cet angle, on relie à d’autres combats : féministes, sociaux, anticapitalistes. »

Mr Mondialisation : Est-ce que vous considérez vos événements comme des « safe spaces » politiques ? Comment vous les construisez concrètement ?
Planète Boum Boum : « On n’est pas organisateur d’événements à proprement parler, on est plutôt invité·es dans des cadres militants qui partagent ces valeurs. Mais dès qu’on a la main, on fait attention autant que possible à l’accessibilité, le prix, la mixité. Par exemple, pour notre événement Sueur Sociale avec Le Bruit qui Court à la Prairie du Canal en avril dernier, on a veillé à ce que ce soit ouvert à tous·tes, à un prix abordable. »
Mr Mondialisation : Les personnes racisées sont souvent exclues des discours écolos. Que faites-vous contre ça ?
Planète Boum Boum : « C’est une question qu’on se pose souvent. Dans le groupe, il y a quelques personnes racisées, mais on sait qu’on reste un collectif plutôt blanc. On en a conscience. On ne prétend pas parler pour tout le monde.
Si on est invité·es dans un espace décolonial ou dans une lutte qui ne nous concerne pas directement, on se questionne sur la pertinence de notre présence. Et si on connaît des gens plus légitimes, on conseille de les inviter à notre place. Ça arrive généralement quand c’est pour intervenir sur une table ronde ou autre prise de parole, moins en format concert, car il y a peu de groupe militant qui font la même chose que nous.

Nous savons que l’écologie et la musique électro en France ont une image très blanche et bourgeoise, bien que ce soit une réappropriation car à l’origine c’est une musique inventée par et pour les minorités afro-descendantes aux États-Unis puis les minorités LGBTQIA+. On ne s’en extrait pas totalement, mais on y travaille. Il faut assumer qui on est, on fait attention à nos postures, et surtout, on écoute.
Nous sommes toujours toujours ravi·es d’aller jouer pour des évènements qui mettent en avant ce sujet, comme lors du Printemps des Impactrices, un collectif qui réunit des entrepreneuses écolos racisées qui font le lien entre ces luttes. On les remercie pour ça et on est content·es de les soutenir en y apportant notre touche festive, joyeuse et engagée. »
Mr Mondialisation : Comment repenser la fête à l’heure de l’urgence climatique ? Peut-on encore « faire la teuf » sans détruire la planète ?
Planète Boum Boum : « On pense que oui. Déjà, là où on joue, les organisateurs ne font pas venir des gens de l’autre bout du monde. On privilégie les événements locaux, les transports doux, le matériel réutilisable. On a déjà joué en manif sur des systèmes mobiles à vélo.
Et on adepte de l’éco-pragmatisme : si on peut faire mieux, on le fait. Mais parfois, il faut aussi faire des compromis : en manif entre ne pas avoir de char pour éviter de polluer et en avoir un, on choisit d’en avoir un, si possible grand et avec un système son puissant car c’est un porte-voix politique énorme. La question, c’est toujours : quel sens ça a ?
L’imaginaire doit être désirable. On peut faire la fête différemment, manger mieux, soutenir les producteurs locaux, rencontrer des gens venus à pied ou à vélo. Ce n’est pas une punition, c’est une expression plus joyeuse, plus vraie. »

Mr Mondialisation : Qui sont les membres du collectif ?
Planète Boum Boum : « On est neuf. La plupart se sont rencontré·es à Alternatiba Paris (devenu Action Justice Climat Paris), dans les actions de désobéissance civile. Globalement, tout le monde chante, danse et coécrit les chansons. Parmi nos rangs de joyeux lurrons, il y a :
- Marie, coprésidente des Amis de la Terre, qui vient d’un milieu écolo militant.
- Rachel, réalisatrice, à l’origine de la plupart de nos clips (ex : Ça crame, Le Fret)
- Rémi, DJ dans la vie et pour Planète Boum Boum, il compose en grande partie les instrus de nos sons.
- Élodie, issue des arts du cirque, elle insuffle l’esprit de coopération dans le groupe, elle s’est formée dans le milieu écolo à travers plusieurs collectifs.
- MC, ancienne d’Alternatiba Paris et ancienne assistante parlementaire, elle est aujourd’hui DJ et influenceuse écolo.
- Hélène, chanteuse et comédienne, vient du projet Koclico. Elle parle des luttes sous l’angle des émotions, avec beaucoup de puissance scénique.
- Sasha, militante aguerrie, elle trouve dans Planète Boum Boum un espace pour relier l’engagement et fête.
- Lulu, DJ formée dans le collectif, elle vient du monde de la mobilisation sociale.
- Eva, issue du théâtre et de la coordination d’espaces militants (La Base, à Paris), elle gère la production et le booking du groupe.
Chacun et chacune apporte sa touche, sa vision, son énergie. C’est un écosystème vivant. »
Mr Mondialisation : Comment nourrissez-vous le processus créatif de Planète Boum Boum ?
Planète Boum Boum : « C’est hyper organique. Souvent, tout part d’une actualité ou d’un mot d’ordre militant. On détourne des chansons populaires comme J’aime la galette qui devient J’aime la retraite.
On a repris Toxic de Britney pour parler des PFAS, polluant éternels cancérigènes présents dans plein de produits de cuisine, vêtements, cosmétiques, pour visibiliser auprès du grand public un projet loi à l’Assemblée, visant à les interdire. Ça a super bien marché !
Parfois, on reçoit des commandes : Greenpeace nous a demandé un son sur une nouvelle centrale nucléaire en zone inondable. On a fait un morceau inspiré de Diams & Vitaa, en comparant le nucléaire à un ex toxique.
« Souvent, si ça nous fait rire, c’est bon signe. »
Mais derrière, il y a du travail collectif : écriture à plusieurs, enregistrements studio, réflexions politiques sur le message. C’est à la fois intuitif et très réfléchi. »
Mr Mondialisation : Si on devait imaginer la fête du futur selon Planète Boum Boum, à quoi ressemblerait-elle ?
Planète Boum Boum : « Pour nous, la fête du futur, c’est dehors. Pas dans des clubs fermés où il faut payer cher l’entrée. C’est dans la rue, dans les champs, sur des places. Libre, inclusive, politique.
« Mes jours préférés, c’est mon anniversaire… et les manifs. »
Ce serait une fête avec le moins de gâchis possible, où les déplacements se font à vélo ou en covoiturage, où la nourriture est locale, sans plastique, sans sponsoring toxique.
Une fête qui a du sens écologiquement et humainement. On aime l’idée de la slow fête :
on reste plus longtemps, on rencontre les gens, on se relie aux luttes locales. Quand c’est possible, on programme des dates sur le même territoire. L’été dernier, on était invité à la Fête de la chanson politique près de Toulouse, alors la veille on s’est organisé pour aller jouer à La Base Toulouse, qui sert de base arrière au mouvement qui lutte contre le projet inutile et écocide de l’autoroute A69. »
Mr Mondialisation : Les milieux de la techno ont parfois une réputation d’être sexistes, voire d’extrême droite. Ça ne vous fait pas peur ?
Planète Boum Boum : « Franchement, non. Il faut distinguer les scènes. L’électro vient à la base des milieux populaires, ouvriers, queer, racisés : Detroit, Chicago, Berlin. En France, la free party, c’est souvent anarchiste, antifa, solidaire.
Ces milieux sont aujourd’hui réprimés par la police. La techno, c’est d’abord un espace de liberté, pas un terrain pour la haine. Ceux qui s’en emparent pour des discours fachos, c’est de l’appropriation culturelle. Nous, on s’identifie à ce type de fêtes : libres, collectives, politiques. »

Mr Mondialisation : C’est quand la dernière fois que vous avez vraiment dansé sans penser à la fin du monde ?
Planète Boum Boum : « (Rires.) On n’y pense jamais… ou tout le temps.
C’est ça, être activiste : t’as toujours la conscience du désastre, mais tu choisis d’en faire un moteur. Danser ensemble, c’est une manière de transformer l’angoisse en puissance d’action.
On fait sortir la colère, la peur, la fatigue… et on les transforme en énergie. La fête devient un espace de soin collectif. »
« On dit souvent : “Fin du monde, fin du mois, même combat.” Eh bien, la danse, c’est notre manière de lutter contre les deux. »
Mr Mondialisation : Pourquoi tant d’amour pour la joie ?
Planète Boum Boum : « Parce que la joie, c’est politique. Ce sujet est grave, on le sait. Mais on ne veut pas s’y noyer. Nos sons peuvent parler de choses dures : Palestine, nucléaire, climat… mais ils font bouger.
La joie fédère, elle soigne, elle empêche le burn-out militant. La joie, c’est un outil d’organisation. Elle crée du mouvement, du désir, du lien. Les discours scientifiques ne suffisent pas : il faut rendre la lutte désirable. Et c’est ce qu’on fait. »
Mr Mondialisation : Quels sont vos projets pour la suite ?
Planète Boum Boum : « Beaucoup de choses ! On réfléchit à sortir un EP en 2026, en pleine période électorale. On veut créer de nouveaux sons autour de la politique, du climat, des luttes locales, de l’engagement des jeunes. Peut-être refaire une tournée à vélo, comme on l’a fait cette année dans les Landes, avec la Back to Basic organisée par Girl Go Green. Et surtout, on veut continuer à rendre la lutte sexy, joyeuse, dansante, populaire.
Notre rêve ? Être un groupe connu, oui, mais surtout un groupe utile. Faire entendre notre voix dans les clubs, les festivals, les campagnes, partout où les gens ont besoin d’un peu de beat pour continuer à se battre. »
– Propos recueillis par Mauricette Baelen
Photo de couverture : Planète Boum Boum















