~ Le Brésil a perdu ~
« Brésil 0 à 1. Enfin le match a commencé. Dans l’immense stade national du Brésil, la foule hystérique ne peut se contenir.
Face à son écran plasma, un Homme, passionné, regarde le spectacle. Il aurait tellement aimé y assister ! Hystérique encore, une autre foule, plus lointaine s’égosille « Coupe sans le peuple, me revoilà dans la rue! ». Mais ce cri s’estompe et ne parvient pas jusqu’à l’Homme. « Dommage, se dit-il, les prix des avions sont bien trop élevés ! ».
Un chauffeur de bus s’apprête à partir. Son bus est vide. Il le sait, le savait et demain, il en sera sûrement de même. Avec un ticket de bus à 3,20 réais (1,12 euros), plus personne ne peut se le payer.
Rêveur, l’Homme contemple la magnificence du terrain, à travers son écran. Stade colossal, cercle grandiose, il admire ce ballon trônant sur la terre brésilienne. Cette terre berceau du football.
L’Homme rêve de ce pays, une musique brésilienne chantant à son oreille. Il rêve de danseuses ornées de grandes plumes et de cette ambiance si chaleureuse.
Autour du stade, des milliers de policiers aux aguets sécurisent l’événement. À travers le Brésil, 157.000 hommes tournent en rond, attendant l’adversaire. Chacun son match.
Eux jouent contre des citoyens, la plupart pacifiques, comme le match face aux indiens, le 27 Mai. Pas de balle ce jour là, mais des gaz lacrymogènes. Pourquoi ? Leurs arcs et leurs flèches menaçaient le Grand Ballon, le Stade National. Quel match violent face aux enfants et aux vieillards.
Un joueur brésilien tombe à terre, taclé par son principal adversaire. L’Homme dépité crie. Il est pour le Brésil ce soir. Il fait sauter le bouchon d’une bière pour se consoler. Les manifestants connaissent bien ce bruit. Mais ils persistent « La Coupe, je n’en veux pas, je veux de l’argent pour l’éducation et la santé ! ». La police aura beau s’acharner, qu’ont-ils à perdre ? Sans abris, opposants, anarchistes ou venant de classes moyennes et la plupart sans travail, rien ne peut les arrêter. On leur a tout pris, pour un ballon.
Pour l’Homme avachi dans son canapé, c’est la mi-temps. Une sorte de pub vante le Brésil. Mais l’Homme n’y croit pas, il connaît les problèmes sociaux qui perturbent le pays. Lui aussi n’est pas d’accord. Mais ce soir, cela lui importe peu, seul le ballon compte. Ce soir, il est d’accord avec Michel Platini, président de l’UEFA. « Il s’était exprimé maladroitement lorsqu’il avait demandé aux Brésiliens de se calmer… pense t-il. Mais il a raison ! Grâce à cet événement, ils vont l’avoir leur argent ! ».
Le spectacle aura coûté 9 milliards d’euros. Et cela devrait apporter plus de 3 milliards ainsi que 600.000 emplois dont la moitié temporaires. Et en prime, un impact positif sur la croissance de 0,4 %. C’est ce qu’il disent et on veut bien les croire. Mais cet argent suffira t-il à tout ce dont le peuple a besoin ? Le jeu en vaut-il vraiment le coup ?
Neymar a tiré. Sa frappe est flottante et puissante, et dans son envole, tout le stade a pu remarquer la force du ballon. Dans cet unique moment, le monde est charmé par la balle, il n’y a qu’elle qui compte. Rien d’autre. Rien. On oublie tout : les violences policières, les gens expulsés de chez eux pour un bout de goudron, les atteintes à la liberté d’expression et de rassemblement du gouvernement, les entraves aux droits de l’homme, les conditions de travail des employés du bâtiments, la mort de 8 d’entre eux, l’assassinat de 195 sans-abris pour « nettoyer » la rue…
L’Homme lentement se redresse, sa bière à la main, prêt à hurler de joie, face à la beauté du geste, il se lève lentement, lentement… Poteau. Un cri de rage accompagné de jurons s’échappe de sa bouche. Il prend une poignée de chips qu’il écrase dans sa main. Il ne reste plus que quelques minutes.
Dehors un jeune manifestant, voyant des enfants amaigris, trouve cela « absurde ce que fait [le] gouvernement ; dépenser des millions de reais pour un tournoi de football ». Est-il le seul ? Des millions pour un instants éphémère. Mais quel instant !
Les investissements dans les domaines comme la santé ou l’éducation peuvent bien attendre. Le peuple brésilien lui aussi attend.
Ça y est. Le match est terminé. Le spectacle achevé. « Quel match ! » se dit l’Homme. Fatigué, il s’étire et monte se coucher. Voilà, c’est fini.
Au final, le score ne l’étonne même pas. Et oui, le Brésil a perdu. »
Texte : Nolwenn
Dessin : PEZVoir la publication de Mr Mondialisation