Ce 20 avril, le collectif des Naturalistes des terres Alpes du Nord a réalisé une action de désobéissance civile en opposition à l’artificialisation des dernières zones humides agricoles de la cluse de Chambéry. Voici leur communiqué contre l’assèchement des sols de Savoie.
Journée d’action de Naturalistes des Terres contre l’artificialisation de terres agricoles à La Motte Servolex (ZAC 3)
Un groupe de naturalistes a mené une journée d’action le 20 avril, appelée « Leysse la tranquille », au cœur du futur site d’expansion de Savoie Technolac (la ZAC 3). Contre ce projet qui implique d’assécher des zones humides et des terres agricoles, l’évènement s’est déroulé entre observation de la biodiversité, discussions et gestes naturalistes engagés.
Situé entre les flancs boisés du Massif des Bauges et de la Chaîne de l’Épine, la cluse de Chambéry, anciennement composée de marais, était couverte de terres maraîchères. La majorité de ces terres ont été recouvertes pour y installer des zones industrielles et commerciales, notamment celles qui s’étendent au nord de la ville. Au sud du Lac du Bourget, à proximité des rives gérées par le Conservatoire du Littoral, 70 hectares de terres ont été grignotés en dépit de leur caractère humide par le technopole appelé Technolac.
« Le projet d’extension de ce site viendrait supprimer 21 hectares des dernières terres agricoles et zones humides »
Celui-ci s’étend vers le sud et referme petit à petit la cluse. Le projet d’extension de ce site viendrait supprimer 21 hectares des dernières terres agricoles et zones humides situées entre ces deux zones d’activités économiques en créant ce qu’on pourrait appeler une « trame grise », c’est-à-dire une zone totalement artificialisée allant de Chambéry jusqu’au Bourget du Lac.
Le 20 avril, plusieurs activités menées par les Naturalistes des Terres avaient pour but de visibiliser les enjeux écologiques et agricoles du site. Une centaine de passionné.es professionnel.les ou amateurs ont observé la diversité et la spécificité du vivant sur la zone et les enjeux écologiques associés lors de sorties naturalistes. Ils sont allés à la rencontre des espèces végétales et animales qui habitent ces terrains et dont la survie est directement liée à l’abondance en eau. Ces milieux sont souvent déclarés « stériles » par les partisans du projet alors qu’ils ont une capacité d’hospitalité pour la biodiversité à condition de les considérer. Qu’on les « Leysse tranquille » !
Nous nous situons sur des terres malmenées par l’assèchement des marais et l’agriculture intensive. Ces milieux humides constituent des habitats très particuliers qui abritent des cortèges d’espèces adaptées et irremplaçables. Ils se sont drastiquement raréfiés au niveau européen et national suite à des décennies de politiques d’assèchement pour accéder à de nouvelles surfaces d’habitation, de culture et d’économie. Selon le CNRS entre 1970 et 2015, 35 % des surfaces des zones humides a disparu en France. Les espaces restants ne sont plus que des îlots fragmentés qui ont échappé à la destruction.
Les prévisions de réchauffement et de sécheresse dus aux changements climatiques sont une menace supplémentaire à leur subsistance. Pourtant ces milieux jouent un rôle vital de réservoir et de filtration de l’eau, et aussi constituent des îlots de fraîcheur qui favorisent la résilience du territoire aux épisodes de chaleur et de sécheresse. Les espèces associées à ces milieux ont régressé de concert avec la disparition de leurs habitats. Elles sont aujourd’hui restreintes à ces petites surfaces et n’ont pas la possibilité de circuler entre elles, ce qui les met en péril d’extinction.
C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet d’extension qui manifestement préfère l’installation d’Atawey (usines de fabrication de pièces pour des stations d’hydrogène) à, par exemple, la préservation de ces zones précieuses. Malgré les équipements pour capter, drainer et maîtriser l’eau, ces milieux conservent toujours une partie de leur caractère humide.
Durant toute la journée des expositions, discussions et projections ont permis de cultiver des liens sensibles entre naturalistes engagé.es et le vivant sauvage. Face à l’incapacité manifeste des porteurs de projet à les reconnaître et leur volonté de les détruire, nous avons décidé d’opérer des gestes naturalistes sur le terrain des promoteurs CGLE (Chambery Grand Lac Economie), ciblant une parcelle particulièrement humide et non cultivée (classée Zone A Urbaniser).
Nous y avons creusé une mare, directement alimentée par le détournement de l’un des drains qui asséchait la zone. Nous avons aussi planté plus de 400 mètres linéaires de haie composée d’arbustes indigènes et d’arbres fruitiers autour de cette parcelle en revendiquant sa mise en défens et l’installation et le développement d’une agriculture qui compose en alliance avec le vivant.
La centaine de militants a œuvré sur ce chantier d’aggradation (luttant contre sa dégradation). En parallèle, nous avons accompagné des maraîchers dans la plantation vivrière de leur parcelle qui devrait être détruite prochainement par le projet ZAC3. Ces dernières terres ne voulant pas être cédées, CGLE a sollicité la préfecture pour engager une procédure de Déclaration d’Utilité Publique (DUP) de laquelle découlerait l’expropriation des paysans.
Nous déplorons la gestion foncière des terres de la communauté de commune et sa contradiction avec le projet post-COVID d’autonomie alimentaire sur le territoire. Ces stratégies administratives ne garantissent pas la conservation des habitats naturels, des terres agricoles les plus fertiles du bassin chambérien et encore moins la protection des dernières zones humides, classées comme « Zones A Urbaniser » au PLUI. La ZAC 4 sur une vingtaine d’ hectares semble déjà planifiée de l’autre côté de la route !
Une gestion concertée et éclairée de l’usage de notre patrimoine écologique et agraire doit être engagée avec comme priorité la préservation des milieux humides. Ce qui permettra le maintien de l’eau sur le territoire, l’installation d’une agriculture hospitalière à la diversité du vivant et au service de la collectivité. Contre une situation aussi alarmante et en soutien au collectif « Pour un Projet agricole en Savoie » qui milite contre l’extension de Technolac, nous avons décidé en tant que naturalistes de faire ce que nous savons faire : prendre la défense des milieux et des espèces sauvages.
Nous continuerons à mettre nos savoirs naturalistes au service des luttes territoriales pour alimenter leur diversité, leur puissance joyeuse et revitalisante, leur rôle décisif dans la construction de communs, entre humains et avec le reste du vivant.