Yann Maillet, apiculteur en Bretagne, et Fani Hatjina, chercheuse et biologiste spécialiste des abeilles en Grèce dressent pour nous un constat sans appel : l’effondrement des colonies d’abeilles est manifeste face aux catastrophes climatiques répétées dues au dérèglement climatique, entre inondations et sécheresses en Europe. Entretien éclairant.

Plus qu’un échange avec deux spécialistes sur le constat alarmant de l’avenir des colonies d’abeilles, leurs réponses forment également un appel à trouver des solutions collectives et durables. D’autant que – bonne nouvelle – certaines ont déjà fait leurs preuves pour faire face aux menaces qui pèsent sur l’apiculture aux quatre coins du monde.

Interview 

Mr Mondialisation : Vous luttez tous deux pour la préservation des abeilles. Quelle est votre approche respective ?

Yann Maillet : Passionné par les abeilles aux quatre coins du monde comme en France, je pratique l’apiculture en Bretagne depuis longtemps. Je souhaite surtout partager mes constats au plus grand nombre sur le modes de vies de ces insectes, leur capacité essentielle au vivant de pollinisation des plantes et arbres et leur lutte intense contre le varroa ces dernières années (une espèce d’acariens parasites de l’abeille adulte originaire d’Asie du Sud-Est).

Abeilles sur fleur de tetradium Daniellii-Yann Maillet

Fani Hatjina : Biologiste, chercheuse et directrice de l’Institut des sciences animales ELGO DIMITRA en Grèce. Un doctorat sur les abeilles en poche sur le comportement de pollinisation des abeilles mellifères depuis 1997, j’ai pu poursuivre mes recherches sur les effets des pesticides sur les abeilles, l’élevage d’abeilles résistantes aux maladies et la conservation des populations locales. Je suis également présidente du conseil de l’IBRA (l’Association internationale de recherche sur les abeilles) et de la commission sur la santé des abeilles de la Fédération mondiale des apiculteurs APIMONDIA.

Fani, apicultrice

Mr M : Quel est votre constat sur l’effondrement des colonies d’abeilles ?

Fani Hatjina : En Grèce, l’effondrement des colonies est indéniable mais pas critique. Les deux principales menaces sont : les parasites, qui ont un impact négatif dans le monde entier, tels que l’acarien Varroa, le Nosema cerana et, d’autre part, les pesticides. Ces dernières années, des milliers de colonies se sont effondrées et des ruchers entiers ont dû être déplacés à la suite d’incendies et d’inondations.

« La destruction des forêts a entraîné la diminution des sources mellifères telles que les pins. Or 60 % du miel en Grèce était produit à partir des pins ! ».

La destruction des forêts a entraîné la diminution des sources mellifères telles que les pins. Il faut rappeler qu’il y a peu de temps encore 60 % du miel en Grèce était produit à partir des pins ! Ces perturbations climatiques avec les incendies, les inondations et les longues saisons sèches ont déjà des répercussions dans toute la Méditerranée et un impact important sur les abeilles.

À Chypre et dans certaines îles grecques, la migration d’oiseaux et les attaques de frelons, qui constituaient un problème dans le passé, a été un problème majeur. Face aux frelons, ces abeilles restent cloîtrées anormalement à l’intérieur de leurs colonies. Elles ne butinent pas pendant de longues périodes. On a observé que ces attaques de frelons étaient beaucoup plus importantes qu’auparavant.

Colonies d’abeilles en Grèce-Fani

Nous avons pu faire un autre constat effrayant grâce à notre modèle de projection climatique qui permet d’imaginer le pronostic pour les 40 et 80 prochaines années. Les précipitations en Grèce devraient diminuer respectivement de 15 ou 20 % et la température annuelle pourrait augmenter de 2,5 à 3,5 degrés C, si bien sur aucune mesure marquante n’est prise. Ce qui est également inquiétant, c’est que les plantes mellifères disparaîtront ou cesseront de produire le nectar et le pollen qu’elles produisaient auparavant. Les abeilles ne seront alors plus en mesure de butiner et de polliniser les cultures.

Cadre d’abeilles plein-Fani

Si l’on regarde en détail les espèces endémiques, on compte principalement des populations de ce que nous appelons l’abeille macédonienne (Apis mellifera macedonica), mais nous avons également d’autres espèces comme l’abeille crétoise (Apis mellifera adami) et l’abeille cécropia (Apis mellifera cecropia). Il est certain qu’elles présentent des différences de résistance aux maladies et à la sécheresse.

Nous pensons que l’abeille crétoise est plus résistante aux sécheresses et aux frelons tandis que l’abeille macédonienne, adoptée presque partout en Grèce continentale, mais plus docile, ne peut pas se défendre contre les frelons, en particulier contre le frelon oriental. Point positif, elle montre tout de même une forte résistance à un minuscule acarien appelé acarien trachéen. Certains apiculteurs en viennent à importer des reines d’abeilles étrangères ce que je trouve dommage.

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Abeille sur fleur de pissenlit-Yann Maillet

« Lorsque les périodes de pluie sont excessives comme en Europe l’année dernière, cela conduit irrémédiablement à des famines pour les abeilles ».

Yann Maillet : Lorsque les périodes de pluie sont excessives comme en Europe l’année dernière, cela conduit irrémédiablement à des famines pour les abeilles. La pluie a dévasté les arbres pollinisateurs en empêchant la pollinisation. Cette année a été marquée par de nombreux épisodes pluvieux, une véritable catastrophe pour les cultures qui finissent noyées et les abeilles meurent de faim. L’année précédente étant déjà elle aussi catastrophique.

Les pesticides entraînent l’effondrement des abeilles qui ne rentrent plus dans la ruche. Même si le miel est biologique, les produits chimiques utilisés dans les champs agricoles à proximité posent un risque réel pour les abeilles qui finissent contaminées. Des insecticides pulvérisés sur des plages de Bretagne, éloignées des champs où butinent ces abeilles, ont déjà provoqué leur mort ce qui montre l’étendue des dégâts à une bien plus large échelle qu’espéré.

Le comportement des abeilles est fascinant et complexe lorsqu’elles sont confrontées à de telles difficultés. Elles recherchent souvent de l’eau dans les piscines en période de sécheresse. En Europe, l’abeille noire est par exemple une espèce qui s’adapte bien aux conditions environnementales difficiles et qui sait faire face à de nombreuses problématiques naturellement : elle est par exemple capable de tuer ses propres reines lorsque nécessaire pour renouveler la colonie. Ces abeilles ferment aussi elle-même leur alvéole lorsque l’hygrométrie est inférieure à 18 %. Je pense que préserver l’abeille noire est important mais il ne faut pas être trop extrême comme c’est parfois le cas en luttant à tous prix contre la diversité des espèces ce qui est peine perdue.

Lorsque l’homme en vient à faire lui-même des croisements avec d’autres espèces afin de les rendre résistantes, comme l’abeille Buckfast, cela peut causer des dommages. Même si ce croisement a permis de créer des variétés plus productives elles sont aussi plus violentes. En effet l’abeille Buckfast travaille rapidement, mais elle consomme beaucoup de ressources.

Mr M : Quelles peuvent être les solutions pour aider à contrecarrer ces impacts négatifs sur les abeilles ?

« il faut Planter des arbres pas seulement mellifères mais de tout type ».

Yann Maillet : Planter des arbres pas seulement mellifères mais de tout type. Le Tetradium daniellii est un arbre particulier, souvent prisé des apiculteurs. Il produit des graines rapidement grâce à sa floraison, qui survient généralement au bout de trois à quatre ans. Mellifère, il attire les abeilles et contribue à la production de miel. Mais il est également particulièrement résistant à la sécheresse et peut même pousser les pieds dans l’eau, ce qui en fait un arbre très adapté aux zones arides.

On peut voir des spécimens plus anciens, comme celui du parc de la Tête d’Or à Lyon, qui a plus de 60 ans. Yves Darricau a insisté sur l’importance des arbres face à la sécheresse en soulignant leur capacité à s’adapter. La lavande afghane est une autre plante mellifère qui a besoin de très peu de ressources pour survivre et à la floraison rapide. Sans oublier la bourdaine, un arbre à considérer en cas de sécheresse pour les apiculteurs. Je préfère les arbres aux plantes pour plusieurs raisons.

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Un champ rempli de colza ou d’autres plantes ne peut pas rivaliser avec l’importance d’un arbre dans un écosystème. Dans un domaine qui peut couvrir 23 hectares, les arbres tels que les tilleuls y jouent un rôle crucial pour attirer et nourrir les insectes pollinisateurs. Lorsque la pollinisation n’a pas lieu, cela n’affecte pas seulement les abeilles et les apiculteurs mais aussi directement l’ensemble de l’agriculture comme la culture des pommes.

Il existe plusieurs façons de faire de l’apiculture : d’abord favoriser l’autonomie des abeilles en leur laissant plus de liberté et en leur proposant les essences nécessaires dans leur environnement. L’organisation méthodique de la ruche en compartiments, avec un corps pour la provision que l’apiculteur ne touche jamais et une hausse pour la récolte est indispensable. L’apiculteur a quoi qu’il en soit un rôle essentiel dans la protection des abeilles notamment pour lutter contre le varroa et le frelon asiatique.

Fani Hadjina : Planter davantage d’arbres, en particulier des arbres mellifères ainsi que des arbustes qui, en plus de fournir de la nourriture aux pollinisateurs et aux abeilles, ont un effet positif sur le cycle de l’eau. Nous envisageons à présent de nourrir les abeilles plus longtemps qu’auparavant pour les maintenir en vie. Nous devons penser à fournir de l’ombre et à maintenir les colonies au frais pendant la majeure partie de la saison. Les colonies domestiques supportent mieux le froid que la chaleur. En cas de sécheresse sévère, il ne faut pas hésiter à installer des systèmes d’arrosage à l’intérieur même des colonies.

De nombreuses terres agricoles ont été abandonnées dans les campagnes et les îles, ce qui n’est pas bon pour les abeilles et pour l’ensemble de la biodiversité. Il faut développer davantage l’agriculture durable. Nous avons besoin de stratégies pour lutter contre les crises climatiques et les apiculteurs doivent savoir adapter leurs pratiques aux nouveaux défis. En Jordanie, des structures spécifiques dans le désert sont mises en place pour préserver l’eau de pluie pour les abeilles, une aide cruciale par les temps qui courent.

Mr Mondialisation remercie Fani Hadjina et Yann Maillet pour leurs réponses éclairantes et cet état des lieux de l’avenir des abeilles en Grèce et en Bretagne.

Poursuivre votre lecture avec notre article Mamadou, l’apiculteur écolo et solidaire du Sénégal.

– Audrey Poussines

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