Le samedi 14 décembre, Chido, un cyclone d’une violence inouïe a dévasté l’île de Mayotte, 101ème département français. Les bilans humain et matériel restent encore à établir précisément, mais ils s’annoncent déjà comme cataclysmiques. Une catastrophe qui s’explique en partie par l’inaction climatique à l’échelle mondiale et surtout par l’abandon quasi total de ce territoire par l’État français.
Mayotte n’avait pas connu une tempête d’une telle intensité depuis près de 90 ans. Et l’augmentation fulgurante de la température de l’océan ces dernières années (imputable au dérèglement climatique) n’y est sans doute pas étrangère. Il est d’ailleurs certain que ce type d’évènement deviendra de plus en plus fréquent à travers le monde. Mais au-delà de cette question cruciale, les conditions sociales et matérielles déplorables installées par le gouvernement dans cette région ont une responsabilité majeure.
Un bilan apocalyptique
Mayotte mettra sans doute des mois, et même des années à se relever d’un tel coup de massue. L’île se trouve aujourd’hui dans un état décrit comme apocalyptique par de nombreux témoins. Et il reste très compliqué d’établir un véritable bilan pour le moment tant les dégâts sont importants. Bon nombre de localités sont d’ailleurs encore coupées de tout réseau et de possibilités de communiquer.
On sait cependant que sur les 300 000 habitants du département (dont 50 000 pourraient être en situation irrégulière), un bon tiers vivait dans des logements précaires, comme des bidonvilles. Avec des vents dépassant les 220 kilomètres par heure, il n’est guère surprenant de constater que ces ersatz de logements aient pu être balayés. Ces conclusions sont d’autant plus évidentes que les constructions pérennes, en dur, ont elles aussi été fortement touchées.
François-Xavier Bieuville, le préfet local, laisse par ailleurs entendre que les pertes humaines devraient être immenses. Ainsi il craint « plusieurs centaines, voire quelques milliers » de morts. Il faudra sans doute patienter un bon moment avant de pouvoir établir un bilan définitif, tant tout a été dévasté. Nul doute également que la faune et la flore ont elles aussi été durement touchées.
Des infrastructures à la dérive
Si Mayotte se trouve dans un tel état, alors qu’il s’agit d’un territoire appartenant la septième puissance économique mondiale, c’est bien parce que le gouvernement l’a totalement abandonné à son sort, et ce depuis des années. Pourtant, Mayotte représente pour Paris un atout notable dans l’influence que la France exerce dans l’océan. Mais les riverains n’en tirent guère de contrepartie, ce qui alimente une réalité néocoloniale.
Car sur les lieux, les investissements publics demeurent dérisoires depuis des lustres, et les infrastructures partent en morceau. À ce titre, la situation de l’eau potable sur l’île était déjà catastrophique avant le passage du cyclone. Ainsi, sur les 44 000 m³ d’eau nécessaires à la population locale, le réseau n’était capable d’en distribuer que 26 000.
Comme une loupe grossissante sur les problèmes que connaît déjà l’hexagone, Mayotte est aussi touchée par un manque de places dans des écoles bien souvent délabrées. À tel point que près de 15 000 enfants n’avaient pas eu accès à une scolarité classique en 2023.
Au niveau du système santé, la situation n’est pas meilleure puisque bon nombre d’habitants ont renoncé à se soigner, faute des moyens, tandis que le nombre de soignants reste largement inférieur aux besoins de l’archipel. Dans ces deux secteurs, la tempête ne devrait rien arranger puisque les bâtiments ont eux aussi été durement touchés. Ce déficit conjugué à la dévastation de la zone fait craindre à beaucoup l’émergence de nouvelles épidémies, comme celle de choléra qui avait frappé Mayotte cet été.
Une situation sociale calamiteuse
En plus d’une continuelle dégradation des services publics, la situation des habitants n’était déjà pas non plus reluisante avant la catastrophe qui risque d’encore exacerber les problèmes des locaux. Avant le drame, la pauvreté touchait d’ailleurs 77 % de la population.
En proie à une vague d’insécurité grandissante et un manque de prise en charge des immigrés, l’île connaissait également de fortes tensions. Avec un tel désastre et un département entier à reconstruire, l’investissement devra être massif, sous peine de voir la nervosité et la colère augmenter davantage, ce qui pourrait déboucher sur des violences.
L’inaction climatique au cœur du sujet
Dans ce contexte, affirmer que la situation serait due à un simple manque de chance et que le cyclone ne serait qu’une catastrophe naturelle parmi d’autres relèverait de la malhonnêteté. Plusieurs études ont en effet démontré que le dérèglement climatique réchauffait la mer. La surface de l’océan indien a par exemple atteint les 30° récemment, ce qui a sans doute contribué à augmenter la puissance de la tempête.
Or, tous les spécialistes l’assurent, ce genre de désastre va se multiplier à l’avenir. Et si rien n’est fait face au dérèglement climatique déjà enclenché, la situation ne fera qu’empirer. Dans ces conditions, lutter contre le processus ne sera plus suffisant, il faudra également se préparer à ce type d’évènements, notamment en bâtissant des logements plus solides et adaptés, bien loin des bidonvilles de Mayotte. En ce sens, une véritable planification écologique de nos sociétés et nos habitats apparaît indispensable, sous peine d’essuyer des pertes humaines et matérielles toujours plus lourdes.
On l’aura compris, qu’il s’agisse de conséquences sociales ou environnementales, le néolibéralisme aura démontré toute sa capacité de nuisance sur Mayotte. Même si le pouvoir en place ne semble pas prêt à y consentir, une rupture avec ces vieilles méthodes apparaît de plus en plus indispensable.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Capture d’écran TF1