Chaque fois que des politiciens ou journalistes adeptes du néolibéralisme tentent de défendre des mesures austéritaires, le même nivellement par le bas avec nos voisins européens revient en boucle. Or, cet argument, qui n’en est pas un, repose sur bon nombre de présupposés erronés.

Pour appuyer des idées comme le report de l’âge de la retraite, la diminution du nombre de fonctionnaires, ou le démantèlement de sécurité sociale, les partisans du capitalisme néo-libéral usent souvent de la comparaison avec des États où la situation serait bien pire. Pourtant ces comparaisons sont toujours biaisées et sélectives.

Semblable à un argument d’autorité, cet élément existe surtout pour niveler par le bas et servir l’intérêt de la bourgeoisie. Décryptage.

Un sophisme de premier ordre

Au-delà de toutes considérations matérielles, il est d’abord nécessaire de noter que dire qu’une politique ne serait pas raisonnable parce qu’elle n’est pratiquée par personne d’autre constitue un sophisme de premier ordre. En effet, avant qu’une nation ne mette en place pour la première fois des mesures, celles-ci n’avaient, de fait, jamais existé ailleurs.

Depuis toujours, les classes possédantes nous ressortent les mêmes arguments éculés pour éviter toutes évolutions progressistes.Sur le sujet, relire notre article « Et si on arrêtait de sanctifier les ultra-riches ? 5 mythes à déconstruire » : mrmondialisation.org/et-si-on-arr…

Mr Mondialisation (@mr-mondialisation.bsky.social) 2025-06-22T14:36:16.811Z

Ainsi, avant qu’un premier État n’instaure le droit de vote des femmes, l’abolition de l’esclavage ou encore les congés payés, aucun autre pays au monde ne l’avait fait. Fallait-il pour autant en déduire qu’il s’agissait d’une mauvaise disposition ?

En politique, comme dans tout le reste, ce que fait la majorité des nations n’est pas forcément une marche à suivre. Les décisions environnementales désastreuses prises partout sur le globe en sont sans doute l’un des exemples les plus parlants.

Des comparaisons sélectives et biaisées

« ils vont aller piocher tous les exemples qui peuvent amener de l’eau à leur moulin tout en éludant les cas qui n’arrangeraient pas leurs affaires ».

De fait, lorsque les partisans du néolibéralisme font usage de la comparaison avec les voisins européens de la France, ils le font systématiquement sur des sujets qui servent leur ligne politique. Ainsi, ils vont aller piocher tous les exemples qui peuvent amener de l’eau à leur moulin tout en éludant les cas qui n’arrangeraient pas leurs affaires.

Sur les plateaux, on entendra alors parler de la retraite à 67 ans en Espagne, du temps de travail supérieur en Allemagne, du faible taux de chômage aux Pays-Bas ou encore des « prélèvements obligatoires » les plus élevés du continent (voire du monde) en France.

Personne n’évoquera en revanche que selon d’autres méthodes de calcul, un Français actif travaillerait en réalité plus qu’un Allemand. Il ne sera pas non plus mentionné le fait que le faible taux de chômage néerlandais a été rendu possible par une précarisation des salariés et de l’emploi.

Enfin, personne ne parlera non plus de ces acquis sociaux pour lesquels nos mêmes voisins sont en avance sur la France. Les libéraux ne mettront pas en avant que la Suède offre 480 jours de congé parental rémunéré à partager entre les deux parents, favorisant l’égalité femmes-hommes, loin des droits parentaux français, qui plus est soumis à de nombreux critères variables. Rien non plus du côté des 13 jours fériés en Autriche ou 14 en Espagne, pendant que la France souhaite en supprimer 2 sur 11.  

Enfin, aucun défenseur du néolibéralisme n’admettra non plus que la notion de « prélèvements obligatoires » qui confond cotisations et impôts est totalement malhonnête. En effet, les citoyens de pays qui ne doivent pas cotiser pour une sécurité sociale, comme c’est le cas en France, doivent en contrepartie débourser plus d’argent dans des assurances privées, comme l’expliquait Mr Mondialisation dans un précédent article.

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Toujours plus tirer vers le bas

Évidemment dans ce processus de pensée libéral, on pourra toujours trouver des exemples de pays avec des lois moins solidaires qu’en France. Les salaires seront inévitablement moins bons quelque part, l’âge de départ à la retraite plus haut et le système de protection sociale moins onéreux.

Dès lors, en s’appuyant sur ce prétexte et en attisant en permanence la compétition entre les travailleurs, ce sont bien les conditions matérielles de ces mêmes salariés qui vont se dégrader. À l’inverse, la minorité possédante pourra toujours en tirer parti pour augmenter sa captation des richesses produites. Et c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle met constamment en avant ces arguments éculés.

Cultiver nos exceptions et tendre au bien commun

À l’inverse de la logique concurrentielle, lorsque l’on cherche de l’inspiration dans des pays étrangers, il serait sans doute plus opportun d’aller observer les mécanismes qui favorisent la protection de l’emploi, de la planète, et des citoyens et de leur bonheur.

De fait, défendre notre modèle unique de sécurité sociale, un départ à la retraite plus précoce, la réduction du temps de travail ou le respect de l’environnement ne constitue pas une hérésie utopique et déraisonnable, mais plutôt une ouverture vers d’autres systèmes de vie plus soutenables et plus durables. Des exceptions à répandre à travers l’Europe et le monde, et non pas à éradiquer comme le souhaiteraient les plus fortunés du globe, ou en ce moment même le gouvernement Macron…

– Simon Verdière


Image d’entête @/Flickr

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