L’idée du retour du scrutin proportionnel revient souvent sur le devant de la scène pour élire les députés français. Or, si ce mode de désignation peut séduire sur le papier, il reste encore à préciser sa structure exacte et à entamer une réflexion plus globale autour de sa mise en place.

L’Assemblée nationale n’est sociologiquement et politiquement pas représentative du peuple français. Pour remédier à ce problème, il peut être plébiscité un retour au vote à la proportionnelle pour les élections dites « législatives ». Décryptage des avantages et inconvénients de cette solution qui peut avoir plusieurs formes.

Comment marche notre système actuel ?

Dans le fonctionnement présent, les députés français, chargés de créer les lois, sont élus au sein de circonscriptions, morceaux de territoires français découpés arbitrairement par l’État. En fonction de sa population, un département peut comporter plus ou moins de circonscriptions. Dans le pays, il en existe ainsi 577, correspondant à autant d’élus.

Pour chacune d’entre elles, plusieurs binômes se présentent devant les Français, l’un postulant pour une place de député titulaire et l’autre de suppléant. Le second est alors chargé de remplacer le premier en cas d’incapacité.

Pendant les « législatives », les citoyens peuvent choisir un duo durant le premier tour. À l’issue de celui-ci, si personne n’est directement désigné, tous les candidats ayant obtenu au moins 12,5 % des votes des Français inscrits ont le droit de se présenter au second tour. Si aucun d’entre eux n’y parvient, alors seuls les deux premiers binômes sont qualifiés d’office.

Les petits partis lésés

Or, en procédant ainsi, hormis certains particularismes locaux, en particulier en outre-mer, les gros partis raflent la quasi-intégralité des sièges. De ce fait, les citoyens qui optent au premier tour pour des petits mouvements ou des indépendants se trouvent obligés de trancher entre les postulants du second tour et peuvent ne pas se sentir représentés.

L’impression de voir sa voix « se perdre » peut ensuite frustrer les électeurs, ou les conduire à des choix de raisons, notamment le fameux « vote utile » consistant à ne pas retenir son concurrent préféré, mais plutôt un autre moins proche de ses idées, mais qui a plus de chance de l’emporter selon les sondages.

La proportionnelle en solution miracle ?

Avec la proportionnelle, ce problème n’existe plus vraiment, au premier abord, puisqu’il s’agit tout bonnement de soutenir une liste de 577 candidats. Si cette liste obtient 10 % des suffrages, alors 10 % des députés en seront issus. C’est aussi simple que cela. Tout au moins sur le papier.

Car l’organisation décrite ici repose sur une proportionnelle nationale intégrale. Or, non seulement ce n’est pas la seule proportionnelle possible, mais elle n’offre pas que des avantages. D’abord parce qu’elle met fin aux représentations locales. En effet, avec le système actuel, les députés doivent être issus d’un département. Avec une proportionnelle à l’échelle du pays, rien n’empêche un parti de choisir 577 postulants parisiens. De plus, cette manière de faire éliminerait tout mouvement incapable de trouver 577 candidats. Un coup fatal aux indépendants et aux micros-partis.

Des mécanismes parfois peu représentatifs

En outre, certains mécanismes plus discutables peuvent être mis en place. Aux élections européennes, par exemple, ce type de scrutin existe déjà, mais, en France, toutes les listes ayant récolté moins de 5 % des voix sont disqualifiées, ce qui, de fait, favorise une nouvelle fois les gros partis.

Par ailleurs, certains mouvements, comme le Rassemblement National, réclament la création d’une prime majoritaire pour construire des majorités solides. Ainsi le groupe qui arriverait en tête décrocherait un nombre bonus de députés afin d’obtenir 50 % de l’hémicycle et pouvoir diriger le pays sans entrave.

Une prime à la politique molle ?

Il est vrai que dans l’état actuel des choses, personne n’est capable de conquérir 50 % des sièges du Palais Bourbon à lui seul, ce qui constitue un obstacle certain pour gouverner. Si l’on se fie aux forces en présence, ce mode de scrutin obligerait donc les partis à former de grandes coalitions avec d’autres qui ne partagent pas du tout les mêmes idées.

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De fait, il devient alors presque impossible de voir émerger des politiques radicales de rupture avec le système présent. À l’inverse, on se dirigerait plutôt vers une ligne tiède qui conduirait sans doute à une certaine forme d’immobilisme. Une situation qui pourrait aussi inciter la droite à s’allier avec l’extrême droite, comme on a pu le constater à de multiples reprises.

Une proportionnelle plus fragmentée ?

François Bayrou, ancien premier ministre, souhaitait, quant à lui, voir revenir un processus déjà testé en 1986, celui de la proportionnelle départementale.

Ainsi, chaque département élirait un nombre de députés correspondant à la masse de sa population. Or, en utilisant une échelle aussi faible, on retrouverait certes une représentativité locale, mais on éloignerait à nouveau les petits partis de l’assemblée.

Il y aurait, de plus, une prime certaine aux mouvements solides dans les zones avec peu d’habitants, comme le Rassemblement National. Ainsi un département comptant un seul député serait représenté uniquement par le candidat arrivé en tête. À l’inverse, un département très peuplé, et donc avec beaucoup d’élus, aurait plus de parlementaires de différentes couleurs.

De nouvelles circonscriptions ?

D’autres mouvements, comme la France Insoumise, préconisent des échelles plus grandes, comme celle de la région, ce qui permettrait de conserver une certaine représentativité géographique, mais aussi de la nature du vote. Pour autant, là encore, il existe une disparité démographique forte entre les régions administratives.

La proportionnelle s’appliquerait ainsi de manière très différente entre l’île de France et ses 12 millions d’habitants et la Corse qui n’en compte que 300 000. Dans le premier cas, on élirait, en effet, 97 députés, quand dans le second on en aurait seulement 4. Un contraste qui pourrait engendrer un nouveau « vote utile » dans certains cas puisque les petites listes n’émergeront plus.

La solution pourrait en réalité venir, comme le préconisent certains chercheurs, dans la création de circonscriptions inédites à populations équivalentes avec une échelle suffisamment importante pour qu’il puisse exister une certaine proportionnalité. Pour ce faire, il deviendrait nécessaire d’ignorer le découpage administratif actuel tant il comporte une forte disparité démographique.

Et si la solution n’était pas dans la proportionnelle ?

On l’aura compris, le scrutin proportionnel est loin d’être un aboutissement démocratique miracle au manque de représentativité à l’Assemblée nationale. D’un point de vue sociologique, elle ne construit par exemple pas un parlement à l’image du peuple français que ce soit en matière de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle ou encore de minorités.

En outre, même si elle aurait l’avantage de ne plus confier le pouvoir à un seul parti, la culture du compromis qu’elle impose aurait cependant une fâcheuse tendance à figer la société actuelle à l’opposé des aspirations de changements radicaux d’une bonne partie de la population.

Vers une démocratie plus directe ?

En somme, la proportionnelle conserve les mêmes défauts que comporte tout système de démocratie dite « représentative ». D’autres processus ont pourtant déjà été imaginés et mériteraient sans doute d’être étudiés.

On peut ainsi penser à la démocratie liquide qui consiste à laisser le choix à un citoyen de voter lui-même les lois ou bien de s’en remettre à un délégué. Ce délégué décide alors de voter lui-même ou d’offrir sa voix à un autre délégué. En bout de chaîne, les délégués qui ont reçu le plus de confiance bénéficient d’un poids supérieur aux autres dans la construction de la loi.

Un système qui demanderait sans aucun doute une organisation distincte que celle des délibérations en hémicycle physique, puisqu’à l’instar d’un référendum, il pourrait potentiellement regrouper des millions de Français.

L’une des solutions les plus crédibles, démocratiques et simples à mettre en place résiderait peut-être dans le tirage au sort ciblé. Un pourcentage de citoyens sociologiquement proches du peuple français serait désigné pour bâtir une assemblée la plus fidèle possible.

Une idée, cependant, encore loin d’être à l’ordre du jour même si l’expérimentation de la Convention citoyenne pour le climat avait fait ses preuves, avant d’être balayée par le pouvoir en place.

Simon Verdière


Photo de couverture : Panorama de l’hémicycle de l’Assemblée nationale réalisé avec des photos prises en septembre 2009. Wikimedia.

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