Le 19 juin 2019, après 25 jours passés en mer, le KWAI rentre dans le port de Honolulu. Pendant près d’un mois, l’équipage a effectué le plus grand nettoyage du “Vortex de déchets du Pacific Nord” jamais entrepris. Le voilier retrouve la terre ferme avec à son bord, 42 tonnes de déchets et de filets récoltés dans l’océan. Reportage de notre correspondante à Hawaii, Sasha de Laage.
Nous sommes le 25 Mai 2019, le port de Honolulu grouille d’activité. Les hommes d’équipages du KWAI s’affairent sur le pont, les bénévoles achèvent les derniers préparatifs. C’est finalement devant une foule de journalistes et de sponsors que le navire appareille et file au Nord-Est. Le cap est fixé vers le “Vortex” de Déchets du Pacifique Nord, là où par le biais des courants marins qui forment un tourbillon, se concentrent les plus grands amas de plastique dans l’océan. Cette zone du Pacifique – qu’on estime deux fois plus vaste que la France – est plus connue sous le nom de “continent de plastique”.
Mary Crowley, présidente de l’ONG Ocean Voyages Institute qui finance l’expédition, nous explique que “l’objectif de la mission est de mieux comprendre les courants marins dans cette région du Pacifique, et de retirer le maximum de débris et de filets fantômes, -ghost nets-, de l’océan.” Ce terme désigne les filets abandonnés ou perdus en mer par les navires de pêche. Ils deviennent un piège et une menace pour toute forme de vie aquatique et sont un “fléau pour les écosystèmes marins”, insiste Mary Crowley. Ces filets dévastateurs finissent par s’échouer sur les côtes ou sur des barrières de coraux qu’ils étouffent.
“Il y aura plus de plastique dans les océans que de poissons d’ici 2050”
Un Océan de Plastique
En 2017, un rapport alarmant du World Economic Forum nous mettait déjà en garde. Si rien ne venait à changer, il y aura plus de plastique dans les océans que de poissons d’ici 2050 (en poids). Tous les ans, ce sont 8 millions de tonnes de plastique supplémentaire qui contaminent l’océan. Voilà à quoi ressemble le monde que nous léguons à nos enfants si nous ne faisons rien. Pour inverser cette tendance désastreuse, il n’y a pas de solution miracle: nous devons arrêter de considérer l’océan comme la poubelle du monde et changer de modèle de production. “50% de l’oxygène que nous respirons, nous le devons à l’océan” rappelle Charlotte Vick, de la Mission Blue Foundation. “Pendant longtemps, nous avons cru que l’océan était trop vaste pour s’effondrer. Mais ce n’est pas le cas, puisqu’il s’effondre en ce moment même” déplore t-elle.
Les initiatives pour récupérer et recycler tous ces déchets présents dans l’environnement se multiplient autour du monde, à l’image du succès de la start-start-up 4Ocean et de l’ambitieux projet The Ocean Clean-Up. Mais Mary Crowley nous prévient: “Beaucoup de personnes pensent que ces start-up vont sauver nos océans, il y a énormément de spéculation autour du projet ‘The Ocean Clean-Up’, mais aucun résultat n’en ressort pour l’instant. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre une solution miracle. La plupart des bateaux de pêches pourraient être employés 4 mois par an pour nettoyer les océans, et avoir un impact très concret !”
Comment nettoyer l’océan ?
“Il [l’océan] rassemble nos déchets pour nous, il fait le plus gros du travail en attendant que nous les récupérions !”
Charlotte Vick, bras droit de l’iconique Sylvia Earle, nous met en garde: “L’acidification des océans, le réchauffement climatique, et la pollution plastique… Notre planète bleue est en grand danger…” avant de s’interroger: “L’océan est si vaste, comment le nettoyer ?” Pour Mary Crowley, la nature fait bien les choses et peut-être un allié dans ce combat. “L’Océan a une façon de trier les déchets” nous rappelle t’elle. “Il rassemble nos déchets pour nous, il fait le plus gros du travail en attendant que nous les récupérions !” En effet, en dehors du plastique ingéré par le monde animal et les fonds océaniques, une partie de celui-ci est coincé dans les gyres océaniques d’une part, et dans des amas « locaux » d’autre part.
“En amont de notre départ, certains vaisseaux en transit dans cette région du Pacifique avaient attachés des trackers GPS sur certains filets fantômes, nous donnant ainsi leur position en temps réel. La technologie satellite a été un atout majeur et une solution innovante pour dénicher les zones denses en déchets plastiques. Nous n’avons eu qu’a suivre les 8 coordonnées que nous renvoyaient le satellite. Dut aux courants, les filets balisés étaient très proches d’autres débris” nous explique Ethan Aspler, le capitaine du KWAI. Devant les caméras venues célébrer le retour du KWAI, il précise: “Avec l’aide d’un vigile posté sur le mat et de deux pilotes de drones, nous avons pu localiser des filets supplémentaires, dans un rayon de plusieurs kilomètres autours du navire, et ainsi augmenter considérablement l’efficacité de notre nettoyage.”
Teitera, un des membres d’équipage, raconte: “C’était épuisant, d’être constamment en alerte, en mouvement, dans l’eau pour attacher les sangles autours des filets, sur le pont pour les hisser hors de l’eau, sur le dinghy pour récupérer les emballages, les bouteilles et tous les débris qui traînaient.” Comme tous les membres d’équipage, Teitera vient de Kiribati, un petit état insulaire du centre du Pacifique. Ému, il reprend: “Nous sommes un peuple de pêcheurs, et nous n’avons pas fait grand chose pour détruire l’océan. Mais nous sommes les premiers à souffrir de la disparition des poissons et de la montée des eaux. Et nous sommes aussi les premiers à nettoyer la poubelle des autres.”
Au final, le KWAI a retiré à lui seul 42 tonnes de débris et de filets de l’océan, ce qui fait de cette campagne le plus grand nettoyage du “continent de plastique” jamais entrepris. La totalité des déchets et des filets ont été recyclé. Cependant, un des membres d’équipage temporise : “C’est super ce qu’on a fait. Mais il faut pas se voiler la face. On a vu tellement de débris là-bas, tellement de micro-plastiques… Ce qu’on a accompli, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Ça doit participer à un effort global pour modérer nos modes de vies.” On peut saluer cette clarté d’esprit. Car personne n’est dupe : nous n’y arriverons pas sans changer la société thermo-industrielle à la source.
Selon une étude datée de 2014, on estime à environ 51 trillions le nombre de particules micro-plastiques dans l’océan. Ces fragments sont avalés par les poissons, avant de remonter la chaîne alimentaire et de finir dans nos propres estomacs. Mary Crowley confirme que “ce n’est que le début ! Nous allons repartir dès le mois d’Août, et nous espérons être une dizaine de vaisseau à parcourir le Pacifique pendant 3 mois dès l’année prochaine.” Charlotte Vick, quant à elle, nous invite à “participer à cette solution globale en réduisant notre consommation et en supportant les efforts de clean-ups partout autour du monde.” Le rendez-vous est pris pour Mai 2020, ou le KWAI battra sûrement son propre record.