À la Réunion, le Papangue pourrait disparaître !

Le Papangue ? C’est un oiseau. Mais pas n’importe lequel. Plutôt méconnu et peu répandu, c’est le seul rapace endémique de la Réunion. Il vit et se reproduit uniquement sur cette île de l’océan indien. Comme beaucoup de ses congénères, il est aujourd’hui menacé d’extinction. Sur place, experts, volontaires et amoureux de la nature se mobilisent pour sauver l’espèce.

Il est 6 heures du matin, le soleil est déjà levé. Je me réveille à peine que j’ai rendez-vous avec André, bénévole de longue date à la SEOR, la Société d’études ornithologiques de la Réunion. Nous sommes mi-novembre, c’est la saison des pluies. Il va faire facilement 30 degrés sur le littoral, mais les nuages s’accrochent déjà aux sommets. Pour avoir une vue dégagée sur les montagnes et pour observer dans les meilleures conditions possible la faune et la flore, il faut partir tôt. La météo prévoit quelques averses sur Mafate aujourd’hui ; il s’agit du seul des trois cirques de la Réunion accessible uniquement à la marche ou en hélicoptère. Et c’est là que nous nous rendons. Notre excursion commence à Rivière des Galets, l’un des points d’entrée. Nous sommes une quinzaine, chaussures de randonnées aux pieds, prêts pour cette sortie découverte et observation.

Crédit photo : Marine Gamot

Busard de Maillard : le seul rapace réunionnais

Cela fait moins de 20 minutes que l’on marche et déjà l’un d’entre nous montre du doigt le haut des falaises. Un Papangue plane en quête de sa proie. Il est majestueux avec ses grandes ailes déployées. Papangue c’est son nom créole, ce rapace est autrement appelé Busard de Maillard. Arrivé il y a des dizaines de milliers d’années de Madagascar, il a évolué et s’est adapté à son nouvel et unique habitat, la Réunion. « Avec le Tuit Tuit et le Pétrel noir de Bourbon, il fait partie des trois espèces considérées comme en grand danger d’extinction sur l’archipel. Il y a entre 20 et 30 ans, on recensé environ 200 couples, aujourd’hui il n’en reste que 150 », m’explique André.

22 espèces d’oiseaux se sont déjà éteintes à la Réunion, essentiellement durant le premier siècle d’installation de l’homme. Les îles détiennent le record de disparition. D’après la SEOR, parmi les 126 espèces d’oiseaux disparues de la planète pendant ces 300 dernières années, 90% seraient des insulaires. Les îles tropicales sont d’autant plus concernées par ce phénomène. En cause, entre autres, la destruction de 50% de leurs forêts depuis les années 70.

Notre randonnée continue le long du sentier Aurère. Je suis accompagnée d’expert(e)s et d’amoureux(ses) de la nature. Nous nous arrêtons de nombreuses fois pour observer la végétation et reconnaître chaque plante, chaque arbre. Bientôt nous atteindrons Cayenne, l’ilet le plus bas du cirque. Je suis André à la trace, j’écoute son discours passionné sur la Réunion, sa biodiversité et le travail de protection de la SEOR. Aujourd’hui, malgré les quelques gouttes de pluie, le ciel est suffisamment dégagé et nous avons de la chance :«  Regarde  la haut », me dit-il, « il me semble que c’est une femelle Papangue ». Il n’a même pas besoin d’utiliser de jumelles. « La femelle à un plumage brun et moucheté de blanc. Elle est plus grosse que le mâle. Lui, a le dessous des ailes et le ventre blancs. Leurs petits ont quand à eux un pelage brun foncé et uniforme », détaille-t-il.

Le rapace se nourrit principalement de rongeurs et autres petits mammifères, mais aussi de grenouilles, de reptiles, d’insectes et même de poissons. Trouvant de moins en moins de nourriture, il a évolué et étendu son territoire. « On peut l’observer dans les basses altitudes comme dans les hauteurs de l’île. Aux dernières nouvelles, il s’est même mis à pêcher pour survivre. J’en ai observé au-dessus des villes et j’en ai même vu attraper un pigeon ! » s’exclame André, amusé. Le Busard de Maillard peut, en principe, vivre jusqu’à 30 ans.

Papangue - busard de maillard / Set de table« Oiseau de Malheur »

Mais le développement des humains sur l’île met en péril le majestueux rapace classé en danger d’extinction par l’Union internationale pour la Conservation de la Nature. L’un des principaux dangers qui les guettent est l’empoisonnement secondaire dû à la dératisation. Se nourrissant de rats, il arrive fréquemment que le Papangue consomme des individus intoxiqués, s’empoisonnant à son tour. Certains des volatiles sont sauvés par le Centre De Soin grâce à un traitement à base de vitamine K1. Autre facteur de mise en langer, les collisions avec des infrastructures ou des voitures ainsi que l’éclairage urbain. Par ailleurs précise André, aimant nicher dans les champs de canne à sucre, il arrive que les oiseaux périssent pendant la récolte. Enfin, pendant longtemps, le rapace a fait les frais de sa mauvaise réputation. Considéré dans la culture créole comme un « oiseau de malheur » et un voleur de poule, il a longtemps était chassé. Déclaré comme espèce protégée en 1989, il est encore victime de braconniers. Et ce n’est pas le seul concerné. En France, chaque minute, un oiseau serait chassé et tué illégalement.

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Un sauvetage bien organisé

Le rapace est désormais protégé par le programme FEDER : « Écologie et Conservation du Papangue ». En plus du Centre De Soin de l’île prêt à le recueillir et le soigner, les ornithologues procèdent à un suivi précis des populations. Pour acquérir un maximum de connaissances, ils étudient sa survie, sa fécondité, sa sélection d’habitats, ses mouvements ou encore son régime alimentaire. « On va leur mettre des bagues et aussi de la couleur sur leurs plumes pour les repérer. Chaque marquage est différent, là environ 30 sont suivis comme ça. Puis, chaque année, à la même date et aux mêmes postes d’observation nous faisons leur comptage », détaille mon guide. Des études scientifiques sont aussi menées autour du processus de diffusion des raticides. Sur le terrain, un accompagnement et un travail avec les agriculteurs sont en cours d’élaboration. Lors de la dératisation, ils sont incités à réduire les quantités répandues :  « On a constaté qu’ils utilisaient trop de poison », développe André. Le plan de sauvegarde inclut aussi la sensibilisation de la population. Objectif : redorer son image.

Sans l’action de la SEOR et de ses membres passionnés, le Busard de Maillard n’aurait pas plus de 20 ans devant lui avant de disparaitre définitivement de la planète.Aujourd’hui, grâce à eux, sa population s’est stabilisée. Chaque année, à la Réunion, l’équipe sauve environ 2700 oiseaux.

Une « Catastrophe écologique »

Le soleil va bientôt se coucher et mon expédition «Papangue» touche à sa fin.Je l’ai choisi lui, si unique. Mais j’aurais pu vous parler de tant d’autres menacés.Car Les experts du Muséum National d’Histoire Naturelle et du CNRS, (Centre national de la recherche scientifique), tirent la sonnette d’alarme. En mars dernier, ils s’alertaient de la « disparition massive » des oiseaux, un phénomène « proche de la catastrophe écologique ». Et ce, particulièrement dans nos campagnes : « en moyenne leur population s’est réduite d’un tiers en quinze ans ». En cause : notre modèle agricole et son utilisation intensive de pesticides, entrainant forcément la diminution du nombre d’insectes et l’appauvrissement des sols. Ces printemps de plus en plus silencieux ne présagent rien de bon. À L’échelle planétaire, le constat est le même : le nombre d’oiseaux ne cesse de chuter. Et ce n’est que le triste reflet de l’état de la Terre et de l’ensemble de la chaine alimentaire.

Marine Gamot

Île de la reunion


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