Dans le cadre de la prévention des épidémies animales, les autorités sanitaires procèdent régulièrement à l’abattage de millions d’animaux. Cette stratégie, présentée comme une mesure de précaution, suscite un débat croissant sur son efficacité réelle et ses implications éthiques.
L’abattage préventif illustre l’étendue du pouvoir que l’être humain exerce sur les animaux, domestiques comme sauvages. Des modèles alternatifs, reposant sur des systèmes de production à plus petite échelle et un rapport plus respectueux au vivant, existent pourtant.
Les tueries banalisées
Standardisé et industrialisé, le modèle agricole industriel s’appuie à la fois sur une production à la chaîne et la rentabilité, le bien-être animal étant lui repoussé en arrière-plan. L’abattage massif sur le globe pour la consommation alimentaire (2050 milliards estimés) semble même avoir été complètement banalisé.

Dans l’opinion publique, les abattages préventifs de plusieurs milliers d’animaux suscitent rarement l’indignation. L’attention se porte davantage sur les répercussions économiques pour les éleveurs, laissant de côté la question du sens de ces mises à mort non alimentaires.
Des millions de victimes
Au gré des épidémies, des millions d’animaux ont sommairement été exécutés pour ne « prendre aucun risque ». La pratique de l’abattage sanitaire précède l’ère industrielle. Au XVIIIe siècle, elle est mise en œuvre pour la première fois afin d’enrayer la peste bovine, sur recommandation d’un médecin pontifical.
Néanmoins avec l’agriculture industrielle et les modes d’élevages intensifs, les maladies vont se multiplier à partir de la fin du XXe siècle : vache folle, fièvre aphteuse, brucellose, peste porcine, grippe aviaire, etc. Chaque fois, des millions de bêtes, y compris certaines complètement saines, seront sacrifiés sur l’autel de la prudence.
Une mort vide de sens ?
Alors même que les conditions de vie des animaux dans les élevages intensifs suscitent déjà de vives critiques, leur mise à mort sans usage alimentaire soulève une indignation supplémentaire. Dans le cas des abattages préventifs, les souffrances infligées ne débouchent sur aucune valorisation, ni nutritionnelle ni économique.
L’idée paraît d’autant plus absurde lorsque des milliers d’animaux bien portants sont mis à mort par simple précaution pour éviter une potentielle propagation de la maladie. Une telle approche ne serait envisageable dans aucun autre contexte sanitaire, notamment lorsqu’il s’agit d’êtres humains.
Des conséquences de l’élevage industriel
Cette approche découle directement des logiques de production qui structurent l’élevage industriel contemporain. L’augmentation colossale de la taille des exploitations, notamment l’émergence de fermes-usines où le nombre d’animaux peut atteindre plusieurs dizaines de millions.
Une telle concentration ne peut que favoriser la propagation des affections, mais également en être la principale cause. Le fait d’avoir créé des espèces standardisées avec un patrimoine génétique très proche, destiné à produire toujours plus, rend aussi les troupeaux plus sensibles aux transmissions.
Traiter les animaux de cette manière renvoie, en outre, à la manière dont on les considère, c’est-à-dire comme de simples marchandises. Face à une épidémie humaine, on tenterait de soigner les malades voire d’instaurer des vaccins.
Des contagions pas forcément évidentes
Ici, les bêtes sont perçues simplement comme de la nourriture, et à l’image de ce que l’on connaît avec les légumes, le moindre défaut ne saurait être toléré. Si un animal a été malade, il ne sera parfois pas soigné et encore moins consommé. Et pourtant, de nombreuses affections attrapées par les animaux ne sont pas transmissibles à l’être humain.
En France, le principe de précaution est toutefois souvent celui qui est adopté par les préfets qui ont toute autorité sur ce sujet, et ce même à l’encontre de certains experts. Dans certains cas, le danger de contagion est d’ailleurs nul, comme pour la grippe aviaire qu’il est impossible de contracter en mangeant de la volaille cuite. Dans ce contexte, sacrifier des millions d’animaux, a priori bien portants, apparaît encore plus absurde.
L’idée des vaccinations et des traitements semble quant à elle écartée. Certains arguent en effet que l’on pourrait ainsi créer des porteurs sains sans indice de contamination et prendre le risque de voir les virus muter et devenir transmissible à l’être humain. D’autres rétorquent que le problème est avant tout économique puisque les industriels refusent d’acheter des volailles vaccinées.
Repenser notre modèle agricole
Ce modèle met en lumière un rapport aux animaux essentiellement utilitariste, qui limite toute considération pour leur sensibilité. Repenser la place de l’animal dans le système agricole passe par la remise en cause de sa réduction à une simple marchandise, et les traiter pour ce qu’ils sont : des êtres sensibles.
En ce sens, il apparaît nécessaire d’en finir avec les élevages industriels dont les conditions indignes ne peuvent que favoriser les maladies et la mutation de virus. Cependant, pour en arriver là, il faudra d’abord passer par une diminution drastique de notre consommation de produits animaux. Une réflexion éthique de fond reste à mener sur la légitimité que s’octroie l’espèce humaine à disposer de la vie des autres espèces.
– Simon Verdière
Photo de couverture de cottonbro studio. Pexels.















