Face aux bouleversements climatiques, comment adapter son jardin pour assurer des récoltes abondantes malgré la sécheresse et les températures extrêmes ? Dans Adapter son jardin nourricier au changement climatique, Frédéric Fortin et Arnaud Vens livrent des solutions agroécologiques éprouvées, inspirées de 25 ans d’expérimentation au sein du Mas de Beaulieu.
Tout commence en 2022, alors que la France enregistre l’année la plus chaude depuis des décennies, avec une température moyenne de 14,5°C. « Cette année-là, dans le Sud de l’Ardèche, nous avons connu trois canicules avec 33 jours de chaleurs extrêmes, ainsi que 100 jours durant lesquels la température journalière maximale a dépassé les 30°C et 46 jours où elle a franchi les 35°C », se souviennent Frédéric Fortin et Arnaud Vens, formateurs chez Terre & Humanisme.
L’adaptation, clé de la résilience
Un témoin de plus du changement climatique qui conduira, si aucun effort n’est entrepris, à une courbe de réchauffement atteignant +4°C en 2100 par rapport à la moyenne climatique des années 2000. « Pourtant », racontent Frédéric Fortin et Arnaud Vens, « les jardins du Mas de Beaulieu, dans lesquels nous travaillons, n’ont jamais autant produit que cette année-là ».
Comment expliquer, alors que beaucoup de cultures souffraient de la sécheresse et d’une chaleur étouffante, l’abondance des récoltes issues des jardins nourriciers de l’association Terre & Humanisme ? Si les clefs sont nombreuses, elles peuvent certainement se résumer à un mot : l’adaptation.

« Certes, au cours de cette année 2022, nous avons perdu certaines productions et quelques arbres fruitiers », reconnaissent les animateurs, « Mais au total, nos pratiques agroécologiques ont permis, bien plus que de sauver les meubles, de finir l’année avec une production record et diversifiée, accompagnée par l’amélioration de notre sol et notre système productif. »
Dans leur ouvrage intitulé Adapter son jardin nourricier au changement climatique, paru aux éditions Actes Sud le 15 mars dernier, Frédéric Fortin et Arnaud Vens partagent les techniques agroécologiques qui ont porté les jardins pédagogiques du Mas de Beaulieu sur la voie de la résilience, après 25 ans d’existence.

Enrichi d’échanges avec une quinzaine d’experts issus de diverses disciplines, l’essai pratique livre toutes les clefs pour cultiver un jardin robuste et apte à braver les bouleversements climatiques actuels et à venir. Ambiances, sols, semences, gestion de l’eau, alliances avec le vivant : « chaque levier d’action est expliqué concrètement, de la structuration du sol aux couverts végétaux, des ombrages à l’adaptation du calendrier ou à la place de l’arbre », assurent les co-auteurs.
La nature a déjà la solution
« Le meilleur moment pour agir, c’est maintenant. N’ayez pas peur des erreurs : pour bien pousser, il faut commencer par se planter ! »
En guise de préparation au passage à l’action, un mot d’ordre : l’observation, « la qualité la plus importante à nos yeux ». Mais observer quoi ? Trois types de facteurs composent notre environnement : physiques (comme les températures, les précipitations ou la luminosité), biologiques (les espèces végétales et animales présentes) et chimiques (composition du sol et de l’eau). « Observer son jardin, c’est aussi prendre conscience (…) de la manière dont il vit au fil de la journée », expliquent Frédéric Fortin et Arnaud Vens.
Équipé(e) d’un pluviomètre et d’un bon thermomètre, plusieurs questions vous aideront à affiner votre observation : votre espace de culture est-il plutôt en deux ou trois dimensions ? contient-il des strates ? est-il exposé au vent ? où se trouvent ses zones d’ombres selon les heures ? quels sont les espaces appréciés des animaux ? Finalement, « tous ces éléments seront autant de champs d’action pour accompagner votre jardin à affronter les changements climatiques ». Selon les auteurs, la meilleure façon d’y parvenir est de chercher à imiter la nature, tout en accélérant le processus du vivant.
Après le temps de l’observation, vient celui de l’action. Dans leur ouvrage, les deux formateurs en agroécologie détaillent les expériences qui ont accru la résilience du jardin d’une surface de 1,2 hectare (soit 12 000 m2) pour 600 m2 de planches de cultures permanentes. Varier les techniques d’ombrage, indispensable dans un contexte global de montée des températures, créer des microclimats favorisant la biodiversité cultivée et sauvage, pailler le sol pour le protéger et le nourrir se précisent ainsi au fil des pages.
Les animateurs insistent également sur la nécessité de sélectionner des semences adaptées au terroir et à l’évolution du climat, alors que la plupart des semences modernes sont adaptées au mode de production industriel répondant mal « aux exigences que les crises actuelles nous obligent à prendre en compte ». En outre, une gestion de l’eau efficiente, permettant de récolter chaque goutte d’eau de pluie ruisselant sur les parcelles, est primordiale.
« Pour atteindre cet objectif, il est essentiel de transformer le sol en une véritable éponge afin qu’il ait la meilleure rétention en eau possible. »
Finalement, une des dernières clefs réside dans l’adaptation du calendrier aux changements climatiques pour favoriser des cultures prospères. « Un exemple frappant concerne les pommes de terre. Traditionnellement, on recommandait de les planter à la floraison du lilas (de mi-avril à fin avril dans le sud de l’Ardèche). Cependant, la température optimale de croissance de ce légume est de 25 °C : en dessous, la croissance est ralentie ; au-dessus, la plante pousse « en tige », c’est-à-dire concentre sa croissance sur la tige, d’où des plantes de grande taille avec peu de feuilles et une récolte médiocre », détaillent les formateurs en agroécologie.
« Pour remédier à ce problème, nous avons décalé la plantation au début du mois de mars pour profiter des températures optimales d’avril (en faisant attention aux gelées encore courantes à cette période). Résultat : nous avons cette année-là obtenu un record de récolte. »
Oubliez les vieux dictons, et faites confiance à votre expérience !
Jardiner, c’est déjà résister
Après avoir mis en place ces outils, encore faut-il tenir bon et ne pas se décourager. Pour y parvenir, l’ouvrage détaille les signaux et indicateurs auxquels être attentif pour maintenir la durabilité de son jardin nourricier au fil du temps. Pas de panique en cas de déconvenue au potager, cela fait partie de l’apprentissage. L’important est surtout « d’analyser et de comprendre ce qui ne fonctionne pas, ou plus ».
Finalement, développer un jardin adapté aux changements climatiques est un premier pas vers plus de résilience sur l’ensemble de nos territoires. Que cela permette d’ouvrir la voie à de nouvelles pratiques ou à un changement d’échelle dans notre engagement, les pistes sont nombreuses.

De plus, en cultivant les liens et les relations autant que les légumes, nous contribuons à renforcer la cohésion au sein de notre communauté. « Qui de mieux que des voisins installés depuis longtemps pour vous conseiller un arbre fruitier particulièrement acclimaté à votre territoire ? Ou pour vous indiquer un itinéraire de culture inratable sur votre sol ? Ou encore une variété locale d’un légume oublié ? Les liens créés avant les situations de crise contribuent à nous faire rebondir plus rapidement et avec moins de difficultés », soulignent les auteurs.
Au-delà du jardin, ce guide s’inscrit donc dans « un projet de société global avec de précieux conseils pour s’informer, s’entourer et s’impliquer, vers un avenir souhaitable », révèle la quatrième de couverture. Fidèle à la collection Je passe à l’acte, l’ouvrage inspire une multitude de petites (r)évolutions et parvient à redonner espoir en quelques dizaines de pages. À offrir ou découvrir pour les férus de jardinage !
– Lou Aendekerk
Photo de couverture : Terre & Humanisme