En finir avec les idées fausses sur l’antispécisme, ou 400 pages qui étayent et débunkent de nombreux clichés autour de la question spéciste. Publié aux éditions de l’Atelier en octobre 2025, cet essai rigoureux, argumenté, exhaustif, devrait rapidement devenir une référence dans le domaine. Rencontre avec son auteur, Victor Duran-Le Peuch.

« Le véganisme est une dérive wokiste », « Les antispécistes veulent supprimer la prédation », « On peut tuer un animal, mais avec respect ! », « L’antispécisme veut la disparition des animaux domestiques », « Le vrai problème, c’est le capitalisme »… Au total, Victor Duran-Le Peuch analyse et met à mal une cinquantaine d’idées reçues – et souvent très ancrées – au sujet de l’antispécisme.

Victor Duran-Le Peuch et son ouvrage « En finir avec les idées fausses sur l'antispécisme » ©Victor Duran-Le Peuch
Victor Duran-Le Peuch et son ouvrage « En finir avec les idées fausses sur l’antispécisme » ©Victor Duran-Le Peuch

En finir avec les idées fausses sur l’antispécisme est un ouvrage à la fois riche, pertinent et accessible à tous pour tenter de faire le point sur ce qu’engendre le spécisme au sein de notre société. N’hésitant pas à s’appuyer sur de très nombreuses références, Victor Duran-Le Peuch analyse le fond de chaque cliché, et les arguments objectifs pour les contrer. Le tout, en faisant preuve d’honnêteté intellectuelle et en soulignant notamment qu’il existe encore des questions auxquelles nous n’avons pas de réponse. Un essai passionnant qui, à l’approche des fêtes de famille, pourra en aider plus d’un·e à répondre face aux remarques faites à table !

Entretien avec Victor Duran-Le Peuch 

Mr Mondialisation : Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer les raisons qui vous ont poussé à écrire ce livre ?

Victor Duran-Le Peuch : « J’ai 28 ans et ai fait des études en sociologie et philosophie. À l’époque de mon Master, j’ai réorienté mon sujet de mémoire sur la sentience des poissons. Le débat scientifique avait cours depuis une vingtaine d’années autour de cette question, nous permettant désormais d’affirmer que les poissons ont bel et bien une vie consciente subjective.

Depuis 4 ans, j’anime également le podcast Comme un poisson dans l’eau, qui est entièrement lié à la question du spécisme et qui l’aborde aussi via des thématiques connexes. J’y parle du lien entre l’oppression des animaux et d’autres sujets comme l’écologie, l’actualité, ou encore les étiquettes. Celles de wokiste ou de bobo, notamment, sont très généralisées et utilisées par l’offensive réactionnaire (rires) ! Ce sont tous ces travaux et ces expériences qui m’ont amené à l’écriture du livre, qui a duré un an. » 

Mr Mondialisation : La bibliographie qui sert de socle au livre est impressionnante. Quel temps cela vous a-t-il pris de la rassembler ?

Victor Duran-Le Peuch : « En réalité, il s’agit de mon travail accumulé ces quatre dernières années. À force de contacter experts, auteurs ou associations, j’ai pu condenser mes références. 90% du contenu du livre est constitué de savoirs académiques et militants : ce ne sont pas mes idées. L’objectif était vraiment de rendre compte de la richesse de la pensée antispéciste, rassemblant une cinquantaine d’années de recherche. Je le vois donc comme une synthèse. » 

Mr Mondialisation : Quels retours avez-vous reçus jusqu’ici ? Parvenez-vous à faire lire ce livre à des personnes qui ne sont pas déjà antispécistes ?

Victor Duran-Le Peuch : « Si je touche évidemment un public surtout antispéciste, j’ai constaté avoir pu casser la bulle. Je l’ai notamment vu via mon actuelle tournée de promotion, dans différentes librairies de France. Des retours positifs de personnes qui se disent « un peu » informées mais qui ont découvert bien plus d’arguments sur la question me font très plaisir.

« La question animale commence enfin à prendre de la place ! » 

Nous entrons dans une période qui ouvre sur la question antispéciste, qui prend plus de place qu’avant. Elle est aujourd’hui davantage prise au sérieux, et perçue comme un sujet à part entière. Si l’on en parle encore souvent de façon dépolitisée et un peu édulcorée, cela fait quand même avancer la question et surtout, ouvre des brèches. La question animale commence enfin à prendre de la place !

Toutefois, le traitement médiatique et philosophique du spécisme est encore trop souvent biaisé et manque de réflexion. C’est là que l’on voit à quel point le spécisme est hyper structurant dans notre société. C’est une idéologie, basée sur les mêmes idées sans cesse répétées, que chacun finit par ressortir sans réfléchir. Il est donc temps d’élever le débat. » 

L'arrêt total de toute forme d'exploitation animale est l'un des objectifs du combat antispéciste ©Unsplash
L’arrêt total de toute forme d’exploitation animale est l’un des objectifs du combat antispéciste ©Unsplash

Mr Mondialisation : L’objectif du livre est de débunker, de manière argumentée, les nombreuses croyances et surtout les prétextes servant à justifier le spécisme. Quel sujet vous a donné le plus de fil à retordre ?

Victor Duran-Le Peuch : « Il y en a un qui est plus technique et a été délicat à traiter, à savoir l’idée que la hiérarchie d’espèce irait de soi parce qu’elle reposerait sur des différences biologiques. Cette idée est profondément ancrée, parce qu’elle présente une construction historique et sociale comme un simple constat de fait.

Or, le spécisme en tant que système de domination ne découle pas naturellement de la biologie. Il prend sa source dans un rapport de force, sur lequel vient ensuite se greffer une idéologie chargée d’en légitimer la violence. La hiérarchie humain/animal n’est donc pas fondée par la différence : c’est la domination qui produit la différence comme justification. »  

Mr Mondialisation : Alors que nous approchons des fêtes, vous évoquez page 89 la « figure du rabat-joie ». Celui ou celle qui rappelle que « la joie des uns est bâtie sur l’oppression (et la mort) des autres ». Comment ne pas se sentir trop seul pendant ces moments si particuliers ?

Victor Duran-Le Peuch : « Si mon expérience de ces dernières années n’a pas été très concluante (rires), j’ai quand même la chance d’avoir une famille assez à l’écoute et ouverte. En cela, la parution du livre m’a aidé (rires) ! Après de longues années à discuter, anticiper, parler du fait que je me sentais mal avec tous ces cadavres sur la table… cette année, pour la première fois, nous allons cuisiner végane ensemble !

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Pour celles et ceux qui n’ont pas cette chance, je n’ai pas de formule magique mis à part essayer de se trouver des alliés autour de la table… Et si vraiment, le contexte est trop difficile, on reste en droit de s’épargner ce type de moment. La période des fêtes est en effet difficile à vivre car révélatrice d’un trop grand contraste. Comment célébrer la joie ambiante et le vivre-ensemble quand tant d’animaux ont été mis à mort dans des souffrances atroces, et en quantité effarante ?… » 

Manger végane pendant les fêtes de fin d'année : l'assurance d'entendre pléthore de réflexions spécistes ! ©Unsplash
Manger végane pendant les fêtes de fin d’année : l’assurance d’entendre pléthore de réflexions spécistes ! ©Unsplash

Mr Mondialisation : Vous évoquez la différence entre « animalisme bienveillant » et « antispécisme égalitaire ». Comment le premier concept, en apparence favorable aux animaux, justifie-t-il pourtant le spécisme ?

Victor Duran-Le Peuch : « L’animalisme bienveillant, que je qualifie également « d’animalisme mou », est a priori positif et favorable aux autres animaux. En réalité, il continue de véhiculer des idées qui altérisent et infériorisent les autres animaux : ils sont différents, donc pas égaux, donc inférieurs. C’est un point de vue qui reste très anthropocentré.

À mesure qu’avance le combat antispéciste, il y a prolifération de discours pro-animaux qui, en fait, ne les défendent pas réellement. Certaines bonnes idées apparentes restent encore spécistes. Le but n’est pas de dire que les animaux sont beaux, géniaux ou incroyables, mais juste de les traiter en égaux ! Nous continuons d’exotiser les animaux en les enfermant dans une différence par essence.

Le spécisme possède ainsi une façon subtile de se déployer à mesure que les questions animales augmentent, en proposant des discours animalistes qui ne vont pas dans le sens de l’émancipation. La critique antispéciste vient justement clarifier ces questions en parlant de l’élevage, des systèmes de domination, d’exploitation… Seules l’émancipation et l’égalité sont les clés pour une réelle justice vis-à-vis des animaux. » 

« L’indifférence reste le problème principal, car le simple fait qu’on ne parle jamais de l’individualité des autres animaux perpétue le système qui les met à mort. »

Mr Mondialisation : Page 342, vous parlez du fait que la manifestation la plus présente dans le spécisme est l’indifférence, son visage à la fois « le plus banal et le plus terrifiant ». Indifférence et manque d’empathie sont-ils liés ?

Victor Duran-Le Peuch : « L’indifférence reste le problème principal, car le simple fait qu’on ne parle jamais de l’individualité des autres animaux perpétue le système qui les met à mort. C’est une des manifestations centrales du spécisme. Mais est-ce un manque d’empathie ?

S’il faut faire preuve d’empathie pour les animaux, celle-ci reste propre à chacun et biaisée. Elle ne peut pas être la seule solution car c’est une ressource limitée. Nous ne sommes pas câblés pour éprouver de l’empathie pour tous les êtres sentients… Nous avons déjà du mal à en éprouver entre nous ! L’empathie est construite socialement et politiquement, c’est pourquoi notre horizon doit être celui de la justice : non pas une émotion variable et inégalement répartie, mais une exigence collective qui permet de nommer des violences et de les combattre même lorsqu’elles ne suscitent aucune compassion spontanée.

Le militantisme antispéciste conduit parfois à un « burn-out empathique » ©Unsplash
Le militantisme antispéciste conduit parfois à un « burn-out empathique » ©Unsplash

Dans le monde militant, certains souffrent de « burn-out empathique », qui apparaît lorsqu’on en éprouve trop vis-à-vis des autres animaux. Sauf que cela devient vite invivable. Je pense que ce n’est pas le bon outil : ce que nous devons dénoncer, c’est notre indifférence construite envers les animaux et qui est le fruit d’un système de pouvoir. Quelle mort compte, et laquelle ne compte pas ? En interrogeant ça, on se rend déjà compte qu’il y a de l’injustice. La demande de justice est donc la clé. 

Cela ne signifie pas qu’il faille supprimer l’empathie ! Il s’agit également d’un pilier de la question antispéciste : nous gagnons donc à garder les deux. Personnellement, je suis arrivé là plutôt par curiosité pour la recherche et la justice que par empathie. Celle-ci s’est développée plus tard, notamment en passant du temps avec d’autres animaux et leurs compagnons humains qui en prennent soin, par exemple dans des sanctuaires antispécistes. Il ne s’agit pas d’inférioriser l’aspect émotionnel. Mais je pense qu’il ne faut pas non plus en faire l’arme principale contre le spécisme. »

Mr Mondialisation : Votre livre ne comporte pas de conclusion. Un choix délibéré ?

Victor Duran-Le Peuch : « Oui, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cette collection de L’Atelier n’en contient pas. Ensuite, c’est un livre qui fait le tour d’énormément d’idées reçues différentes : c’était compliqué de résumer le tout. Enfin, il constitue finalement un début de questionnement. Il n’y a pas de conclusion car il y a encore du boulot (rires) ! Mon livre s’appuie sur d’autres ouvrages et idées déjà produits, c’est une brique supplémentaire vers un projet de société plus juste. Mais nous ne sommes qu’au tout début du traitement de la question antispéciste et n’avons pas encore toutes les réponses.

« En finir avec les idées fausses sur l’antispécisme est le tout début d’un champ de réflexion gigantesque, pas encore bien délimité. Finalement, mon livre n’est presque qu’une introduction ! » 

Comment agir pour un projet social égalitaire ? Même une fois les violences abolies, que faire face à l’exploitation ? Comment partager notre habitat avec celui des animaux ? Comment repenser le projet écologiste en prenant en compte tous les êtres sentients ? Que faire des insectes ? Comment éviter les conflits d’intérêt ?…

En finir avec les idées fausses sur l’antispécisme est le tout début d’un champ de réflexion gigantesque, pas encore bien délimité. Finalement, mon livre n’est presque qu’une introduction ! »

Un livre truffé d'arguments contre les clichés spécistes ©Mr M
Un livre truffé d’arguments contre les clichés spécistes ©Mr Mondialisation

Mr Mondialisation : Avez-vous espoir qu’un jour, notre rapport aux animaux évolue radicalement ?

Victor Duran-Le Peuch : « J’aurais tendance à me dire que l’espoir ne compte pas. Le système d’oppression et de domination est injuste par essence et doit cesser. Nous devons donc lutter contre, quoi qu’il arrive. Sauver des individus, arrêter la violence et nous détacher de l’espoir pour simplement avancer. J’ai évidemment espoir, mais je regarde d’abord les victoires une par une, et je milite avant tout pour ce qui me semble juste, dans le temps présent. »

– Entretien réalisé par Marie Waclaw


Photo de couverture : ©Victor Duran-Le Peuch

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