L’un de nos correspondants anonymes réside à Pékin. Chaque matin, il utilise une application pour savoir si l’air sera respirable aujourd’hui dans la capitale aux 11,5 millions d’habitants (UN, 2002). Il nous propose son expérience sur place et sa petite enquête sur la pollution de l’air dans la mégalopole la plus polluée du monde.
Une nouvelle journée commence à Pékin. Encore dans mon lit, le téléphone à la main, je consulte Air Quality China, l’application qui fournit le taux de PM2,5 dans l’air, les particules polluantes mesurant moins de 2,5 micromètres de diamètre. Ce rituel est devenu un geste quotidien pour les chinois : on consulte le taux de pollution comme on consulterait la météo. 400 μg/m3 en PM2,5 ce matin, encore un jour gris…
Alors que j’ai entendu la veille qu’une étude alarmante venait de sortir sur la qualité de l’air parisien en 2013, ayant dépassé plusieurs fois l’objectif de qualité fixé à 10 μg/m3, j’esquisse un sourire. Ces taux, déjà élevés, paraîtraient presque dérisoires à côté de la pollution dans la capitale chinoise. Ce matin là, je connais donc la couleur du ciel avant d’avoir ouvert mes rideaux.
Une journée ensoleillée à Pékin, l’index de pollution frise les 500 μg/m3.
APEC blue
A Pékin, on regrette déjà la fin de l’APEC, le forum de la Coopération Économique pour l’Asie-Pacifique (Asia-Pacific Economic Cooperation) qui s’est tenu du 5 au 11 novembre dans la ville. Outre la ribambelle de chefs d’État qui a déferlé pendant quelques jours sur la capitale, l’APEC a aussi amené le ciel bleu au-dessus de Pékin. Ses habitants parlent déjà avec nostalgie de cette semaine de ciel azur, qui a autant marqué les esprits que la vue de Barack Obama et Vladimir Poutine se promenant en tenue traditionnelle chinoise, ou la poignée de main glaciale entre le président chinois et son homologue japonais.
Ciel bleu sur Pékin lors de l’APEC.
«L’APEC blue», comme les Pékinois surnomment cette période, fut une belle éclaircie dans la brume chinoise. Elle est le résultat de plusieurs mesures prises par le gouvernement afin d’assurer le beau temps pendant la durée de ce sommet international, alors que toutes les grandes villes du pays, et spécialement la capitale, souffrent depuis des années d’une pollution de l’air accrue. Celle-ci est devenue routinière en hiver. Elle est directement rendue visible par la couleur du ciel, grisâtre, et l’épais brouillard qui n’a rien de naturel. L’air est chargé de particules en suspension nocives à souhait, pouvant pénétrer profondément le système respiratoire du fait de leur faible diamètre. Lorsqu’elle atteint des sommets, on peut même sentir son odeur, voire la goûter après plusieurs heures d’exposition.
APEC blues
Avec un brin de fatalisme, je sors de chez moi et me retrouve dans un décor post apocalyptique, non sans rappeler l’atmosphère sur Terre du film Interstellar : ciel gris, vision réduite à 50 mètres, un soleil que l’on peut observer longuement sans lunettes (la pollution atténue l’éblouissement des rayons) et des masques de protection sur les visages. Se promener dans la rue avec un masque, comme si de rien n’était, est devenu tout ce qu’il y a de plus banal les jours de pics. Avec filtre ou sans filtre, à usage unique ou non, avec motifs ou sans, à vous de choisir. Pékinois pour un temps, j’ai moi-même décidé d’investir lorsque l’index de particules PM2,5 a dépassé les 500 μg/m3, soit 20 fois le taux d’exposition limite temporaire indiqué par l’organisation mondiale de la santé.
La pollution n’effraie pas les seniors, la séance de Tai Chi est maintenue !
Dans l’édition du jour du China Daily, un article discute des causes majeures de la pollution. D’où vient-elle cette pollution justement ? Elle est principalement la conséquence de trois phénomènes : les industries environnantes, qui fonctionnent pour beaucoup au charbon et dont les rejets dans l’atmosphère atteignent la ville; les foyers chinois, responsables d’une grande part de la pollution hivernale car le chauffage s’effectue encore massivement au charbon, et enfin, le parc automobile, toujours grandissant dans les villes, donne également du sien pour participer à la hausse.
AQI (Air Quality Index) du 26/11/2014, la pollution à Pékin dépasse la valeur limite mesurable.
C’est sur deux de ces trois facteurs que le gouvernement a usé de son pouvoir pour assurer le ciel bleu pendant l’APEC. Les autorités chinoises, en suspendant l’activité des usines polluantes de plusieurs provinces, ainsi qu’en réduisant par deux le trafic routier dans la capitale, ont ainsi autorisé le beau temps sur Pékin. Et maintenant que les chefs d’État sont rentrés chez eux et que le ciel bleu a disparu, et alors que les chinois ont pu mesurer les effets de leurs industries sur la météo, le sujet est de nouveau très discuté dans le pays. L’opinion publique s’inquiète alors que des centaines de milliers de morts sont attribués à la pollution chaque année dans le pays.
Le problème attire de plus en plus la curiosité internationale depuis que le marathon de Pékin s’est couru dans la brume avec masques de protection en octobre dernier. Les expatriés commencent également à quitter la capitale, ce qui n’est pas de bon augure pour les affaires. Le gouvernement s’est donc décidé à prendre le problème au sérieux. Il a annoncé plusieurs mesures en vue de réduire la pollution de l’air en PM2,5 de 25% d’ici 2017, et a signé un accord avec les USA durant l’APEC visant à réduire leurs émissions respectives de gaz à effet de serre.
Coureurs masqués au marathon de Pékin
Une amélioration de la situation est donc espérée à moyen terme. D’ici là, les chinois devront s’armer de patience et pour tenir le coup, certains usent de la comparaison avec l’Europe tant admirée : « Vous aussi, vous avez connu ça, rappelez-vous Londres, capitale de la Révolution Industrielle au XIXème siècle qui a souffert de la pollution jusque dans les années 1950… ». On se rassure comme on peut dans l’Empire du Milieu !
Une nouvelle journée commence à Pékin ! Je consulte le dernier taux de pollution enregistré sur mon application : 40 μg/m3 ! Bonne journée en perspective. Rempli d’enthousiasme, je tire les rideaux pour admirer le temps sans pollution, et qui sait apercevoir un soleil rayonnant. À ma grande stupeur, le ciel est gris. Pas de chance aujourd’hui, il ne fait tout simplement pas beau.
Un article du Café Comptoir, publié avec l’autorisation de l’auteur.