Sur fond de tensions politiques, des milliers de manifestants issus de communautés autochtones se sont rassemblés sur l’esplanade des ministères à Brasilia, en août dernier, afin de dénoncer les violences systématiques du Président Jair Bolsonaro et de son administration à l’égard des peuples originels, ainsi que l’accélération de la déforestation de l’Amazonie au profit des secteurs agroalimentaires et d’exploitation minière. Quel avenir pour la plus grande démocratie Sud-Américaine et ses nombreux écosystèmes essentiels à la survie de l’humanité ?
« Aujourd’hui, toute l’humanité appelle à la protection de la forêt amazonienne. Mais le gouvernement veut que notre forêt, le poumon de la planète, soit remplacée par les cultures de soja et l’extraction d’or »[1] s’indigne Syrata Pataxo, chef d’une tribu de l’État de Bahia.
Les manifestations récentes des peuples premiers interviennent alors que la Cour Suprême devrait prochainement se prononcer sur un projet de loi qui, si validé, priverait les communautés amérindiennes de leurs terres ancestrales. Mais conscient que ses supports s’amenuisent à l’approche des élections présidentielles de 2022, Bolsonaro s’est lancé dans une campagne de lutte contre les institutions démocratiques du pays, et a appelé ses partisans à défier l’État de droit si ses volontés n’étaient respectées… Décryptage d’une menace grandissante.
Bolsonaro : plus dangereux que jamais ?
Malgré les mises en garde concernant les conséquences climatiques irréversibles entraînées par la déforestation amazonienne, ce phénomène s’est accéléré depuis l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir. Affichant un soutient absolu aux secteurs agro-industriels et miniers, au détriment de l’environnement et des peuples de l’Amazonie, les politiques du président d’extrême-droite ont permis l’intensification des expropriations, légales et illégales, des terres des communautés autochtones et la perte de 11 000km2 de la forêt tropicale entre 2019 et 2020[1].
Dans la continuité de ces politiques sociales et environnementales aux conséquences désastreuses, Jair Bolsonaro s’est récemment attaqué aux terres des communautés indigènes en proposant de faire adopter un arsenal législatif qui les dépouillera de leurs droits sur leurs terres ancestrales. Parmi ces lois liberticides, on déplore une loi en passe d’être ratifiée par le Sénat qui favorisera la régularisation des terres autochtones appropriées par le secteur agroalimentaire, ainsi que des zones déforestées illégalement[2]. D’autre part, deux projets de loi permettraient d’autoriser l’exploitation des ressources naturelles des terres autochtones, et directement menacer l’existence et la souveraineté des peuples de la région.
Plus alarmant encore, un projet de loi prévoit l’introduction d’une thèse temporelle qui reconnaîtrait uniquement les droits des communautés autochtones sur les territoires occupés le 5 octobre 1988, date de la promulgation de la Constitution brésilienne, les privant ainsi des droits originaires qu’ils détiennent sur les terres traditionnellement occupées avant la période coloniale, tel que consacrés dans la Constitution[3]. Or, ce projet de loi ignore les agressions, les déplacements forcés, les expropriations et massacres qui ont contraints les peuples autochtones à quitter leurs terres ancestrales pour de nouveaux territoires. Face à cette menace, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a récemment tiré la sonnette d’alarme et dénoncé l’adoption de la thèse temporelle qui « pourrait légitimer la violence contre les peuples indigènes et exacerber les conflits dans la forêt amazonienne et d’autres régions »[4].
« Luta Pela Vida » : se battre pour la vie.
Fin août, 6000 manifestants autochtones, issus de 170 tribus, se sont rassemblés devant la Cour Suprême et le Parlement brésilien, et y ont établi le camp de la « luta pela vida » (lutte pour la vie) en protestation contre les projets de loi portés par Jair Bolsonaro et les violences systématiques commises à leur égard depuis l’entrée en fonction du président. Cette mobilisation a été jugée historique par l’APIB (Articulation des peuples indigènes du Brésil) qui s’est félicitée pour le succès de la plus importante manifestation autochtones jamais organisée au Brésil.
Ces manifestations ont été organisées en amont d’un jugement toujours très attendu de la Cour Suprême sur leur droit à disposer de leurs terres ancestrales. En effet, à l’occasion d’un cas spécifique d’une réserve de l’État de Santa Catarina amené devant la Cour Suprême, les juges vont devoir se prononcer sur la validité de la thèse temporelle, soutenue par le gouvernement et le secteur agro-industriel, et reconnaître ou non le droit des autochtones à disposer de leurs territoires ancestraux [5]. Quelle que soit l’issue du jugement, la décision de la Cour fera jurisprudence et impactera dès lors la résolution de centaines de litiges concernant les réserves et terres indigènes, et fragilisera ou non l’existence des peuples autochtones au Brésil.
Bolsonaro a déjà déclaré que surviendrait le « chaos » si la thèse temporelle, favorable tant à l’appropriation des terres autochtones qu’aux activités liées à la déforestation et à l’exploitation minière, n’était pas validée par la Cour Suprême[6]. Par ailleurs, ces mobilisations sont intervenues au lendemain d’une demande d’ouverture d’enquête par l’APIB et le dépôt d’une plainte formulée par le chef Raoni Metuktire à la Cour pénale internationale contre le président brésilien pour « génocide », « écocide » et « crime contre l’humanité » à l’encontre des peuples autochtones de la région[7].
Fin de la démocratie.
Alors que les sondages annoncent une potentielle défaite du président sortant lors des prochaines élections en 2022, Bolsonaro a déclaré qu’il sortirait de ces élections « arrêté, tué ou victorieux » et a lancé de nombreuses menaces à l’égard des institutions démocratiques du Brésil. Le président a notamment engagé une procédure de destitution à l’encontre de deux juges de la Cour Suprême, l’un pour avoir ouvert une enquête contre le président pour dissémination de fausses informations et l’autre pour s’être opposé à une réforme du système électoral qui interdirait le vote électronique. Selon le président, « on ne peut admettre qu’une ou deux personnes face usage de leur pouvoir pour amener le pays dans une autre direction. Ou nous faisons des élections propres au Brésil, ou il n’y aura pas d’élections »[8]. Avec ces déclarations, Bolsonaro prépare déjà un terrain de contestation pour sa très probable future défaite.
Sous des airs toujours plus totalitaires, le président a appelé ses partisans le 7 septembre 2021, jour de l’indépendance du Brésil, à manifester contre les institutions et réitéré ses menaces à l’égard de la Cour Suprême. Alors que cette manifestation a rassemblée plusieurs milliers de militants pro-Bolosnaro, le président y a tenu un discours aux allures messianiques et déclaré que « Dieu lui avait confié la gestion du pays » et annoncé qu’il rejetterait certaines décisions de la plus haute instance juridique du pays[9]. Parmi les réactions des protestataires, certains appelaient à renverser les institutions et opérer un coup d’état.
La réaction de la Cour ne s’est pas faite attendre, au lendemain de ces déclarations, son président a fustigé l’attitude de Bolsonaro contre l’État de droit, « bafouer l’honneur des juges, inciter le peuple à propager des discours de haine contre l’institution de la Cour suprême et appeler au non-respect des décisions judiciaires sont des pratiques antidémocratiques. Un tel mépris des décisions judiciaires à l’initiative d’un des chefs des différents pouvoirs ne serait pas seulement un outrage à la démocratie mais constituerait un crime de responsabilité »[10]. À l’aube de ces élections décisives, l’avenir du Brésil semble plus que jamais incertain.
Le Brésil, mais notre avenir à tous
Une victoire de Bolsonaro ne constituerait pas seulement une menace pour la démocratie brésilienne et l’avenir de ses peuples autochtones, mais risquerait d’accentuer les effets du changement climatique, en accélérant la déforestation de l’Amazonie pour accroître le développement des secteurs agro-industriels et miniers, et de leur importation polluante. Sans compter l’oppression dont sont victimes les peuples premiers, une telle issue favoriserait la perte d’un écosystème fondamental pour la préservation de la vie sur terre et entraînerait des conséquences écologiques irréversibles.
Dès lors, impossible de ne pas imaginer qu’en octobre 2022 se tiendront des élections déterminantes pour l’avenir de la Planète, et notre avenir à tous.
– W.D.
[1] Greenpeace, « Brésil : les peuples autochtones en lutte », 30 août 2021, disponible sur : https://www.greenpeace.fr/autochtones-bresil/
[2] Tribune, « Bolsonaro est en train de faire adopter un arsenal législatif qui démantèlera les droits des Indiens sur leurs terres » in Le Monde, 8 septembre 2021, disponible sur : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/08/bolsonaro-est-en-train-de-faire-adopter-un-arsenal-legislatif-qui-demantelera-les-droits-des-indiens-sur-leurs-terres_6093832_3232.html
[3] Constitution brésilienne, Art 231, § 2., 5 octobre 1988, disponible sur : https://www.wipo.int/edocs/lexdocs/laws/fr/br/br117fr.pdf
[4] Ibid., https://www.greenpeace.fr/autochtones-bresil/
[5] France 24, « Au Brésil, des milliers d’indigène manifestent pour leurs terres devant la Cour Suprême », 26 août 2021, disponible sur : https://www.france24.com/fr/amériques/20210826-au-brésil-des-milliers-d-indigènes-manifestent-pour-leurs-terres-devant-la-cour-suprême
[6] Ibid., https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/25/bresil-plus-de-6-000-indigenes-manifestent-pour-leurs-terres_6092336_3210.html
[7] Ibid., https://www.greenpeace.fr/autochtones-bresil/
[8] La Presse, « Jair Bolsonaro lance un « ultimatum » à la Cour Suprême », 3 septembre 2021, disponible sur : https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/2021-09-03/bresil/jair-bolsonaro-lance-un-ultimatum-a-la-cour-supreme.php
[9] Libération, « Brésil : la Cour Suprême renvoie fermement Bolsonaro dans ses buts », 8 septembre 2021, disponible sur : https://www.liberation.fr/international/amerique/la-cour-supreme-renvoie-fermement-bolsonaro-dans-ses-buts-20210908_XDQ3L5AURBCZ5POKSJDN634CCQ/
[10] Ibid., https://www.liberation.fr/international/amerique/la-cour-supreme-renvoie-fermement-bolsonaro-dans-ses-buts-20210908_XDQ3L5AURBCZ5POKSJDN634CCQ/
[1] Le Monde, « Brésil : plus de 6 000 indigènes manifestent pour leurs terres », 25 août 2021, disponible sur : https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/25/bresil-plus-de-6-000-indigenes-manifestent-pour-leurs-terres_6092336_3210.html