Avec un nombre croissant de cas, le syndrome de l’épuisement professionnel ou « burn-out » représente l’un des maux du siècle. Pourtant, il ne s’agit pas d’une maladie anodine ou naturelle, mais bien d’une conséquence du système capitaliste qui tend à toujours plus étendre ses profits, au détriment des êtres humains et de la vie sur terre. Diagnostic.
À la sortie de la crise du covid-19, les arrêts longs pour troubles psychologiques ont doublé en à peine trois ans. Si ces chiffres démontrent que nos conditions de travail se dégradent bel et bien, ils sont aussi le symbole d’une société qui évolue et qui n’est plus prête à souffrir en silence.
À l’opposé d’un capitalisme à bout de souffle, de nouvelles idées émergent pour un système alternatif, soucieux du bien-être des humains.
Une recherche constante de performance
« L’obsession de la croissance a engendré une « société de managers » »
Depuis les années 80 et l’avènement du néolibéralisme sur toute la planète, le culte de la performance et de l’individualisme triomphant n’a cessé d’exercer une pression constante sur les civilisations mondiales et en particulier les travailleurs.
L’obsession de la croissance et du profit ont en effet engendré une « société de managers », ou des pans entiers de la population se sont vus dévolus à infliger des intimidations permanentes sur les employés afin d’en tirer un maximum de productivité.
Eux-mêmes sont d’ailleurs soumis à un processus semblable par leur hiérarchie. Une réalité parfaitement soulignée par la série à succès Severance (2022). Quotas, politique du chiffre, résultats financiers, culte de l’excellence, voire de la perfection, sont ainsi devenus des aspirations banales du monde de l’entreprise.
Une déshumanisation effrayante
Pour en arriver là, les méthodes sont bien souvent brutales, voire toxiques. Le chômage organisé par la constante augmentation du temps de travail permet en outre de maintenir les salariés sous pression et le patronat en position de force. De ce fait, si un employé n’est pas content, il peut toujours aller voir ailleurs, un autre désespéré sera déjà prêt à le remplacer.
Par là, on retire délibérément leur humanité aux actifs, en les traitant comme des robots interchangeables dépourvus de sentiments. Pire encore, le capitalisme entretient une confusion nauséabonde entre performance, revenus et valeur personnelle. Si une personne n’arrive pas à remplir les objectifs d’une société, on lui signifiera sa fragilité, sa paresse ou sa marginalité. Le paradoxe intenable étant que l’économie de croissance et ses scores cherchent la constance, quand la vie humaine est inévitablement traversée d’aléas et de reliefs.
Ainsi, à chaque instant, les gens devront se soumettre aux desiderata de l’entreprise au prix d’une flexibilité insensée. À l’inverse, en suivant cette mentalité, jamais la compagnie ne devra trop écouter les besoins de ses salariés pour maintenir son rapport de domination et ses objectifs. Et tant pis pour les individus inadaptés à ce mode de fonctionnement. S’épuiser et laisser sa santé au travail est même aujourd’hui devenu une qualité recherchée. Ce dogme atteint par exemple son paroxysme au Japon à travers le phénomène du salaryman.
Un mode de pensée qui s’immisce jusque dans la vie personnelle
« De même que notre système exige des travailleurs exemplaires, il réclame également des êtres humains idéaux »
Et ce mode de pensée capitaliste a même fini par traverser toute la société et entrer dans nos existences privées. De même que notre système exige des travailleurs exemplaires, il réclame également des êtres humains idéaux.
Ainsi, on attendra de nous que nous ayons un corps parfait, un parcours de vie linéaire correspondant à une vision de la réussite et que nous ne montrions jamais aucun signe de faiblesse. Comble du cynisme, le capitalisme a d’ailleurs trouvé le moyen d’exploiter les conséquences de ses propres turpitudes pour générer encore plus de profit :
On voit de ce fait pulluler les « coaches de vie », les applications de bien-être, et des tas de métiers dont le but est de vous faire « atteindre vos objectifs », comme si chaque pan de notre existence répondait à la même logique de performance et de perfection. Évidemment, l’être humain est là encore sommé de « travailler sur lui-même » pour atteindre un bonheur total, mais il ne doit surtout pas remettre en question le système lui-même à l’origine de violences et contraintes globales selon des rouages socio-politiques pourtant largement documentés.
Les femmes d’autant plus sous pression
Et dans ce tourbillon de pression, les femmes sont une nouvelle fois les principales victimes. Et pour cause, elles ont toujours été un instrument du capitalisme patriarcal pour assouvir la domination des plus puissants.
Inutile de préciser par exemple qu’elles travaillent encore en moyenne bien plus que les hommes, en particulier sur des tâches non rémunérées. De plus, lorsqu’elles préféreront se concentrer sur leurs activités professionnelles, elles subiront des injonctions à fonder une famille et seront perçues comme trop ambitieuses. Dans ce domaine, elles seront de toute façon moins payées, moins reconnues et devront œuvrer davantage que les hommes pour atteindre les mêmes objectifs.
Si à l’inverse, elles choisissent de se focaliser sur leur foyer, leur travail ménager ne sera pas salué à sa juste valeur, que ce soit financièrement ou d’un point de vue personnel. Enfin, celles qui tenteraient de concilier les deux subiront une pression et une charge mentale à la limite du supportable.
Et tout cela sans compter les diktats permanents sur la gent féminine pour rester belles, empathiques, douces, discrètes, etc. Dans ce contexte, on comprend aisément pourquoi les femmes sont surreprésentées parmi les victimes de burn-out.
Vers un bouleversement du système ?
Pour autant, si les cas recensés de burn-out ne cessent de se multiplier, c’est aussi parce que de plus en plus de personnes ne semblent plus prêtes à accepter de telles conditions de travail. Bon nombre d’entre elles ont ainsi pris conscience que l’épuisement professionnel n’était pas une simple pathologie individuelle, mais bien le symptôme d’une organisation en perdition.
Incompatible avec le bonheur de la majorité, le capitalisme et la croissance infinie ne pourront pas non plus se maintenir éternellement. À mesure que nos ressources s’amenuisent et que les mentalités s’éveillent, il se rapproche en effet de sa propre mort, de gré ou de force.
L’indispensable décroissance devrait, de ce fait, mener à une réduction drastique et nécessaire du temps de travail. Une voie qui permettrait non seulement de partager les tâches, mais également de faire disparaître les plus pénibles et les plus inutiles. Dans ce cadre, d’autres modèles de société, comme celui du salaire à vie ou des coopératives, pourraient bien émerger et soulager des millions de citoyens et citoyennes qui sont aujourd’hui broyés par un marché sans pitié, mais voué à dépérir.
– Simon Verdière
Image d’entête @Verne Ho/Unsplash















