À l’occasion des multiples célébrations qui marquent l’année 2021, le Mexique souhaite plus que jamais renouer avec son passé précolonial et mettre à l’honneur ses peuples originels. En effet, l’été 2021 marque l’anniversaire de trois grands évènements qui ont écrit l’histoire du pays. Le 13 août, le Mexique a célébré le 500e anniversaire de la chute de la cité de Tenochtilan, aujourd’hui Mexico, berceau de la civilisation aztèque, et a souhaité réécrire ce récit afin de commémorer, non pas la conquête des Amériques par les conquistadors, mais la résistance des communautés autochtones face aux assauts des espagnols. À cet égard, comme annoncé par la secrétaire de la culture, Alejandra Frausto Guerrero, cette célébration a été rebaptisée de manière à célébrer l’anniversaire de la « résistance indigène » dans le cadre de « l’année de l’indépendance et de la grandeur du Mexique »[1]. Enfin, au cours du mois septembre, le pays fêtera également le bicentenaire de son indépendance et le 700e anniversaire de la fondation de l’Empire aztèque. Avec ces trois dates clés, le Mexique entend s’éloigner de son passé marqué par le colonialisme et célébrer ses origines, sa culture et ses peuples.
Originellement appelés Mexicas, le nom Aztèque s’est répandu plus largement après avoir été inventé au début du 19ème siècle par le scientifique et explorateur allemand, Alexander von Humboldt, pour désigner les peuples de Tenochtitlan à partir du mot Aztlan, terres ancestrales des Mexicas. Une grande partie des connaissances que nous avons actuellement sur l’Empire aztèque provient des récits figurant dans des codices créés par les Mexicas. Bien qu’une grande partie de ces cahiers ont été détruits lors des invasions espagnoles, certains codices ont pu être sauvegardés et constituent aujourd’hui une source précieuse d’informations sur la foi, pratiques, activités commerciales et mode de vie des aztèques depuis leur avènement jusqu’à leur tragique chute.
La capitale aztèque, Tenochtitlan, est fondée vers 1325 et grandit en importance, un siècle plus tard, lors de la naissance de la Triple Alliance formée par les villes de Tenochtitlan, Texcoco et Tlacopan. Rapidement, la cité fondée par les Mexicas est devenue la plus puissante de l’alliance et le centre de l’Empire. Suite à la subordination volontaire ou forcée des cité-états environnantes, ou l’acquisition par voie diplomatique ou sous forme d’héritage de celles-ci, Tenochtitlan a amassé au fil du temps d’immenses richesses (ambres, or, plumes précieuses, nourritures, etc) et étendu les frontières de l’Empire aztèque jusqu’aux bordures des terres mayas, situées dans l’actuel Guatemala[1].
En 1519, les conquistadors espagnols menés par Hernán Cortés atteignent les côtes du Golfe du Mexique. Dans un premier temps, les envahisseurs espagnols sont accueillis par le tlatoani (empereur) aztèque, Moctezuma II, et ont pu bénéficier de l’hospitalité de leurs hôtes et admirer la somptueuse cité aux jardins flottants, abritant plusieurs centaines de milliers d’habitants. Toutefois, convoitant les immenses richesses de l’empire Mésoaméricain, les conquistadors espagnols lancent une première attaque lors d’une cérémonie au Temple Major situé au cœur de la cité Tenochtitlan. Cette première offensive espagnole se solde par un cuisant échec forçant Cortés et son armée a quitter la cité insulaire. L’année suivante, avec le soutien d’une dizaine de milliers d’alliés autochtones, l’armée espagnole revient aux portes de la capitale aztèque. La défaite de Tenochtitlan interviendra après un long siège qui prendra fin le 13 août 1521 et marquera la chute de l’Empire aztèque[2].
Cette année, à l’occasion de l’anniversaire de la chute de la capitale aztèque, et des deux anniversaires à venir, celui de la fin de la guerre d’indépendance du Mexique vis-à-vis de l’Espagne en 1821 et de la fondation de l’Empire aztèque en 1321, le Mexique a souhaité embrasser ses origines en mettant à l’honneur son passé préhispanique et les différentes communautés autochtones toujours présentes dans ce pays d’Amérique Centrale. En effet, tel que déclaré par le secrétaire des affaires étrangères, Marcelo Casaubon, « Nous sommes un peuple qui sait d’où il vient et qui sait aussi où il va. Ainsi, nous allons nous souvenir de l’histoire de notre identité nationale, intégrer la population historiquement défavorisée dans les commémorations avec une perspective d’égalité »[3].
Ainsi, du 13 août au 1er septembre, les habitants de Mexico ont pu admirer une maquette monumentale du Temple Mayor aztèque au centre de la place de la Constitution.
Rejet du colonialisme
Cette volonté d’inclusion des communautés originelles s’est notamment traduit ses derniers mois dans l’espace public, où des noms de stations de métro ou de places ont été rebaptisés afin de réécrire l’histoire de la conquête des espagnols et s’éloigner du récit hégémonique occidental. À titre d’exemples, une place à Mexico, au centre de laquelle se trouve les restes d’un cyprès massif, nommée « El Arbol de la Noche Triste » (l’Arbre de la Nuit triste), en référence à l’arbre où s’est appuyé Hernán Cortés en pleure après avoir été vaincu par les aztèques lors du premier assaut du Temple Mayor, a récemment été rebaptisée la place de la « El Arbol de la Noche Victoriosa » (l’Arbre de la Nuit Victorieuse) afin d’honorer ceux qui sont tombés lors de ce massacre et mettre un terme à l’encensement de Cortés et son invasion.
Ce changement radical de point de vue devrait s’observer à l’avenir pour d’autres sites et rues de la ville. En effet, concernant une rue nommée en hommage à Pedro de Alvarado, conquistador qui a ordonné l’attaque du temple aztèque, la maire de Mexico, Claudia Sheinbaum, s’est indignée : « Comment est-il possible que nous ayons une rue nommée Puente de Alvarado alors qu’il était le principal auteur du massacre du Templo Mayor ? ». La rue s’appelle désormais « Calzada México-Tenochtitlan »[4].
En octobre 2020, une statue du navigateur génois, Christophe Colomb, située sur une grande avenue touristique de la capitale mexicaine avait été retirée par les autorités de la ville après que des militants aient menacé de la déboulonner pour marquer leur mécontentement face à la célébration de l’homme qui est à l’origine du colonialisme Sud-Américain et de génocides perpétrés contre de nombreuses communautés autochtones amérindiennes. Récemment, la maire de Mexico a confirmé que cette statue sera remplacée par celle d’une femme olmèque pour marquer le bicentenaire de l’indépendance du Mexique vis-à-vis de la domination espagnole et célébrer les femmes autochtones qui ont joué un rôle considérable dans l’histoire du Mexique[5]. Toutefois, la maire a assuré que la statue serait placée dans un lieu plus approprié et que cette mesure n’a aucunement pour but d’effacer un pan de l’histoire du Mexique.
Demande d’excuses historiques
À l’occasion du 200e anniversaire de l’indépendance du Mexique, le président mexicain, Manuel López Obrador, a réitéré sa demande d’excuses historiques à l’Espagne et au Vatican pour les violences et les violations des droits de l’homme pendant la conquête espagnole et la colonisation qui s’en est suivie. À ce jour, l’Espagne n’a pas souhaité se conformer à cette demande. Néanmoins, des voix se sont élevées pour dénoncer une instrumentalisation de ces évènements à des fins politiques, notamment par des historiens qui considèrent que de telles excuses seraient injustifiées en raison de l’aide considérable apportée par des peuples locaux assujettis aux aztèques lors du siège de Tenochtitlan[6].
A contrario, en mai dernier, le gouvernement mexicain a officiellement présenté ses excuses au peuple maya pour les torts commis à son encontre depuis l’invasion des conquistadors espagnols et reconnu que malgré l’indépendance du Mexique, les mayas souffrent toujours des méfaits du racisme et de discriminations envers cette minorité ethnique[7]. Toutefois, ces excuses et la volonté de mettre en lumière les populations autochtones du pays présentent un contraste flagrant avec la réalité du quotidien de ces différentes communautés. Selon Christophe Giudicelli, historien à la Sorbonne, « Il y a un décalage entre la rhétorique pro-indigène et la réalité du développement économique, qui ne tient aucun compte de l’avis des communautés indigènes actuelles »[8]. Par exemple, avec le projet du « Train Maya » validé par le président Obrador et supposé voir le jour en 2023, cette ligne à grande vitesse, s’étendant sur presque 1500km, menacera gravement l’environnement et la biodiversité locale et constituera une nuisance pour de nombreux villages autochtones présents sur son passage.
L’âme des aztèques vit toujours
Malgré la chute de l’Empire aztèque en 1521, 500 ans plus tard, l’âme de cet illustre peuple vit toujours à Mexico, où se situe les vestiges de Tenochtitlan. En se promenant dans les rues de la capitale, on peut y croiser des descendants aztèques vêtus de plumes et ornements traditionnels. Aux abords du Temple Mayor, ancien centre névralgique de la cité insulaire, on peut y apercevoir des danseurs ou des personnes qui y viennent se purifier. Selon Sergio Segura Octoayohua, défenseur de la culture aztèque, « il s’agit de l’un des lieux qui possède le plus d’énergie cosmique, mais il doit être nettoyé car il imprégné de beaucoup de sang. les descendants aztèques ne se battent plus avec des armes mais avec des mots, avec l’identité, avec des danses ».
Enfin, non loin des vestige du temple, il est encore possible de déguster des mets autrefois proposés aux tlatoanis, empereurs aztèques. Comme le rappel Sergio, « l’identité aztèque, la philosophie et l’histoire ancienne du Mexique, même si elles ont été déformées, sont toujours vivaces ! »[9].
Des excuses injustifiées ?
Bien que des cité-états ennemies de l’Empire aztèque aient participé à la chute de Tenochtitlan, au cours des décennies et siècles qui ont suivi la chute de l’empire Mésoaméricain, l’Espagne a fini par régner sur l’actuel Mexique et une majeure partie du continent Sud-Américain. L’exploitation de ces richesses, passant par l’extraction de minéraux, de produits végétaux et l’asservissement des peuples autochtones a permis à l’Espagne et au reste de l’Europe occidentale d’opérer sa révolution industrielle et atteindre le niveau de développement dont nous bénéficions aujourd’hui quotidiennement[10].
Par ailleurs, entre l’arrivée de Christophe Colomb sur le continent Sud-Américain et le début du XXe siècle, plusieurs millions d’amérindiens ont été réduits à l’esclavage ou ont péri sous le joug des colons occidentaux.
Dès lors, est-il réellement décent de considérer que des excuses, ou à tout du moins une reconnaissance du rôle du colonialisme dans les violences perpétrées à l’égard des peuples originaires du Mexique, soient injustifiées ou déplacées ? Non, il s’agit sans doute là d’une simple preuve d’humanité et de respect par rapport aux actes qui nous ont permis d’atteindre la place que nous occupons dans le monde.
W.D.
[1] Luis De Rojas, J., « Mais qui étaient réellement les Aztèques ? » in National geographic, 9 août 2021, disponible sur : https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2021/08/mais-qui-etaient-reellement-les-azteques
[2] Reséndez, A., “500 years after Aztec rule, Mexico confronts a complicated anniversary” in National Geographic, 12 août 2021, disponible sur: https://www.nationalgeographic.com/history/article/500-years-after-aztec-rule-mexico-confronts-complicated-anniversary
[3] Ibid., https://www.la-croix.com/Monde/Resistance-indigene-Mexique-propose-autre-recit-lhistoire-Conquistadors-2021-08-13-1201170671
[4] Ibid., https://www.nationalgeographic.com/history/article/500-years-after-aztec-rule-mexico-confronts-complicated-anniversary
[5] Van Laer, A., « Mexique : la statue de Christophe Colomb va être remplacée par celle d’une femme indigène » in Konbini news, 7 septembre 2021, disponible sur : https://news.konbini.com/societe/mexique-la-statue-de-christophe-colomb-va-etre-remplacee-par-celle-dune-femme-indigene
[6] Francini, A., « Mexique : la demande d’excuses du président à l’Espagne pour la colonisation fait polémique » in RFI, 13 août 2021, disponible sur : https://www.rfi.fr/fr/amériques/20210813-mexique-la-demande-d-excuses-du-président-à-l-espagne-pour-la-colonisation-fait-polémique
[7] France 24, « Le Mexique demande officiellement pardon aux Mayas », 4 mai 2021, disponible sur : https://www.france24.com/fr/amériques/20210504-le-mexique-demande-officiellement-pardon-aux-mayas
[8] Ibid., https://www.la-croix.com/Monde/Resistance-indigene-Mexique-propose-autre-recit-lhistoire-Conquistadors-2021-08-13-1201170671
[9] Le Figaro, « Il y a 500 ans, Tenochtitlan tombait aux mains des conquistadors mais le cœur aztèque de Mexico bat toujours », 13 août 2021, disponible sur https://www.lefigaro.fr/culture/il-y-a-500-ans-tenochtitlan-tombait-aux-mains-des-conquistadors-mais-le-coeur-azteque-de-mexico-bat-toujours-20210813
[10] Ibid., https://www.nationalgeographic.com/history/article/500-years-after-aztec-rule-mexico-confronts-complicated-anniversary
[1] Hureau, A., « Résistance indigène : le Mexique propose un autre récit de l’histoire des Conquistadors » in LaCroix, 13 Août 2021, disponible sur : https://www.la-croix.com/Monde/Resistance-indigene-Mexique-propose-autre-recit-lhistoire-Conquistadors-2021-08-13-1201170671