« Le temps de quelques jours » est un documentaire qui livre des images uniques sur l’un des ordres les plus hermétiques de France : l’Ordre Cistercien de la Stricte Observance. Les sœurs contemplatives de l’Abbaye Notre-Dame de Bonneval, dans l’Aveyron, nous offrent un témoignage atypique sur leur vie en communauté cloîtrée et nous font réfléchir à notre place dans la société de consommation. Rencontre hors du commun…
« Ce film est l’expérience d’une rencontre, une interrogation sur notre rapport aux autres, à la nature et au temps ». C’est par ces mots que le réalisateur Nicolas Gayraud qualifie le documentaire exceptionnel qu’il fut autorisé à tourner au cœur de l’Abbaye de Bonneval, située dans une vallée sauvage du sud de la France depuis près de neuf siècles. Pour la toute première fois, une caméra a pu suivre ces sœurs moniales que tout sépare (ou presque) de notre société de grande consommation. Une approche intimiste détachée de toute volonté dogmatique.
La communauté compte 25 sœurs âgées de 26 à 96 ans vivant grâce à la chocolaterie de l’abbaye, reconnue et appréciée de la région. Ce documentaire simple et poignant n’est ni prosélyte ni religieux, mais simplement humain. Il invite à réfléchir à la place que nous occupons dans la société et à la manière dont nous menons nos vies mouvementées, toujours en quête de nouveaux projets à accomplir, de nouveaux biens à posséder, obsédés par les occupations et le bruit, incapables de ralentir, d’apprécier le silence et de prendre le temps de ne rien faire.
« Le temps de quelques jours » nous offre une parenthèse dans ce monde en perpétuel changement, quelques instants suspendus baignés par les rires, les facéties et les confidences inattendues de ces sœurs qui ont fait le choix conscient de s’isoler du monde. C’est avec modestie, profondeur et beaucoup de malice qu’elles se confient sur leurs motivations à vivre loin de la ville, sur les préjugés auxquels sont confrontées les « bonnes sœurs », sur leurs doutes, leurs manques et surtout leur quête personnelle. Un regard véritablement inédit sur une réalité trop souvent caricaturée.
L’une est ex-ingénieure, l’autre est immigrée polonaise, une autre encore est entrée dans les ordres tel un acte de subversion envers la société des années 70 dans laquelle elle ne trouvait pas sa place. Situées dans un cadre idyllique, les moniales vivent un quotidien d’ascètes au fil de la nature, des saisons et des mouvements du soleil. Leurs journées commencent dès 4h30 du matin, rythmées par les prières et les travaux nécessaires à leur survie; des activités quotidiennes effectuées non seulement pour soi mais aussi pour les autres. Car au cœur d’une abbaye, c’est l’intérêt de la communauté qui prime sur l’intérêt personnel.
A quoi servent les moines et les moniales ?
Si on associe trop vite la vie monastique au Moyen-âge, à une époque où elle tenait un rôle important dans la société, elle se dédie aujourd’hui exclusivement à la recherche de l’humilité, du silence et du retrait, des concepts qui peuvent nous sembler assez radicaux, surtout dans un cadre religieux. Dans cette démarche de paix intérieure, on apprend que les sœurs font vœu de pauvreté et de charité. On se confronte également à cette idée de renoncement et de détachement aux choses matérielles. Les vêtements portés par les moniales peuvent par exemple nous sembler des uniformes assez austères. Leur souhait est en fait de faire ressortir par ces tenues minimalistes leur caractère et leur cœur plutôt que leur apparence physique. Une forme de semi-anonymat qui invite à l’introspection.
Ce mode de vie rigoureux n’est pas sans conséquences, puisque l’une d’elle confie, dans une honnêteté déconcertante, que ce dépouillement mène parfois à la frustration. Tout lui manque : la nourriture, les vêtements, les bijoux, les voitures, l’ensemble des biens matériels d’une société qu’elle a longtemps côtoyée qui se rappelle à elle (et probablement d’autres choses qu’on ne peut pas dire). On comprend ainsi la lutte inhérente à chaque être humain et cette difficulté à se détacher du superficiel, un mal qui touche largement nos sociétés actuelles non sans conséquences sur la planète.
Les limites à la vie cloîtrée
Ce qui frappe chez ces femmes, c’est leur sourire, leur joie de vivre et leur énergie communicative. Si l’on pourrait être tentés d’envier certains aspects de la vie monastique, notamment cette connexion à la nature et ce choix d’une vie simple auto-suffisante, une sorte de retour aux essentiels, on remarque également que les sœurs ne sont pas épargnées par des nécessités économiques et par toutes sortes de soucis. Leur chocolaterie, qu’elles appellent leur « gagne-pain », tourne à plein régime. Équipées avec du matériel de pointe, elles suivent des cadences de production et sont tenues de fabriquer une quantité conséquente de douceurs chocolatées afin d’assurer la survie de l’abbaye.
Leur quotidien gravite également autour du travail de la terre et de leurs récoltes de fruits et de légumes dont elles dépendent pour se nourrir. Sans compter qu’une partie de l’abbaye a été aménagée en chambres d’hôtes ouvertes aux touristes, une autre manière de faire rentrer des revenus et de vendre leurs produits régionaux. Les commandes de chocolats peuvent même être passées par internet puisque l’abbaye est équipée d’un ordinateur et d’une connexion… Serait-il donc impossible de s’extraire de tout système financier, même lorsque l’on vit presque cloîtré ?
Les sœurs expliquent ce sacrifice d’une vie active au sein de la société contre une vie contemplative à huit clos par leur quête de vérité. Leur regard sur la société est critique mais sincère. Même si elles semblent se considérer chanceuses de pouvoir vivre libres sans les contraintes de la vie urbaine, les sœurs restent reliées quotidiennement à l’extérieur, à travers la chocolaterie et l’hôtellerie. Une manière de s’extraire de la prière et de la méditation en restant ancrées sur terre. Car elles ne s’en cachent pas, elles remettent souvent en doute les fondements de leur foi et se demandent avec beaucoup de scepticisme si elles ont fait les bons choix. Forcément, l’introspection libre ouvre des portes au questionnement perpétuel aussi bien chez les religieux que les laïcs ou agnostiques.
En toute pudeur, ces femmes se révèlent très modernes dans leurs questionnements existentiels. Elles dévoilent leurs sentiments, sur l’éloignement envers leur famille, sur leur renoncement à une vie amoureuse, à l’enfantement, et sur ce silence parfois pesant auquel elles doivent faire face. « Il ne s’agit pas de se frustrer mais de se centrer sur l’essentiel », rappelle l’une d’elles. Cela passe aussi bien par la contemplation d’un paysage que d’un escargot, ou par le recueillement au pied d’un arbre. Pour elles, les choses essentielles de la vie sont gratuites, elles ne s’achètent pas.
Le temps de quelques heures, cet éloge de la lenteur, qui il faut le reconnaitre, n’est pas l’activité la plus économiquement rentable, nous invite à apprécier l’instant présent et à prendre la vie telle qu’elle est. Les valeurs universelles que partagent ces sœurs nous rappellent notre finitude et la fragilité de nos existences et de notre environnement.
Que l’on soit ou non croyant, que l’on soit ou non ancrés dans la société de consommation, ce documentaire pose des questions nécessaires et nous laisse libres de trouver nos propres réponses. Ce mode de vie peut, en effet, s’opérer librement en dehors de toutes formes de cadre religieux, en communauté auto-gérée. Même si le changement de vie ne peut avoir lieu en un jour et que la plupart d’entre nous n’ira certainement jamais vivre cloîtré, ce film pourrait bien nous aider à entrevoir un peu de clarté dans nos vies agitées. « J’ai cessé de me désirer ailleurs » disait André Breton, ou comment apprendre à se contenter de l’ici et maintenant et accepter qu’on puisse être quelqu’un sans forcément être quelque chose, faire quelque chose ou posséder quelque chose.
DVD et projections du film actuellement en France : Le temps de quelques jours
Sources : nicolasgayraud.com / abbaye-bonneval.com