Une nouvelle enquête de la L214 nous plonge dans les dessous de la fabrication industrialisée du roquefort en exposant le sort de centaines de milliers d’agneaux. L’association s’est procuré des images fortes de la plus grosse exploitation d’engraissement d’agneaux de France rendant compte de leurs terribles conditions de « vie ». Car on est désormais bien loin d’une production locale et à taille humaine. Pour conclure son enquête, l’association nous emmène dans l’abattoir industriel d’Arcadie Sud-Ouest où les agneaux terminent leur très courte vie. Attention, images choquantes.
Le roquefort, une filière industrialisée
Le roquefort, c’est un fromage de brebis bénéficiant d’appellations d’origine contrôlée et protégée produit en Aveyron. Le lait utilisé pour fabriquer du roquefort doit provenir d’élevages situés dans un territoire d’un rayon de 100 km environ autour du village de Roquefort-sur-Soulzon. Si on imagine une fabrication artisanale, de petits éleveurs soucieux de leurs troupeaux, il s’agit hélas d’un mythe hérité de temps qui n’existent plus, car la production de roquefort s’est largement industrialisée. C’est aujourd’hui une industrie qui exploite 700 000 brebis et dont près de 70% de la production provient de la marque Société du seul groupe Lactalis (multinationale française de l’industrie agroalimentaire). Autant dire que les « petits producteurs » se comptent sur les doigts d’une main.
La pratique est basique : pour produire du lait, une brebis doit avoir un agneau à nourrir. C’est pourquoi chaque année elles sont inséminées – majoritairement artificiellement – et donnent naissance à environ un million d’agneaux, soit un taux de fécondité de 1,5 par brebis. On s’en doute, tous ces agneaux ne vont pas connaître une vie paisible à brouter joyeusement dans d’immenses vertes prairies. Seuls 25% parmi les femelles seront gardées pour renouveler le troupeau des « brebis laitières ». Et les 500 000 à 800 000 autres ? Malheureusement, il n’y a pas de sort heureux. Certains, les agneaux de lait (âgés de moins d’un mois), seront conduits directement à l’abattoir. Les autres finiront également à l’abattoir mais seulement après avoir fait un détour de quelques mois par l’engraissement. Quelles sont les conditions de vie – et de mort – des agneaux dans ces établissements ? Jusqu’ici, personne ne s’en préoccupait vraiment. C’est ce que la L214 a souhaité éclaircir auprès du grand public en récupérant des images de la SARL Grimal, la plus grosse exploitation d’engraissement d’agneaux de France et de l’abattoir d’Arcadie Sud-Ouest.
La SARL Grimal
Localisée dans la commune de Rullac-Saint-Cirq en Aveyron, la SARL Grimal se compose d’une quinzaine de bergeries dans lesquelles sont engraissés 120 000 agneaux par an, soit 10 % des agneaux du territoire de l’appellation d’origine protégée roquefort. Ils sont destinés à approvisionner l’industrie de la viande. Ici, un seul mot d’ordre : la productivité. Et elle ne peut se faire qu’au détriment de la vie.
Les images récupérées par la L214 sont éloquentes quant au traitement réservé aux agneaux : ceux-ci ne voient jamais la lumière du jour, ils vivent entassés dans de grands hangars sans fenêtres. Sans doute du fait de la proximité, de la saleté et du manque d’air, des agneaux développent des troubles respiratoires et d’autres maladies contre lesquelles on les gave d’antibiotiques, non pas pour les maintenir en bonne santé, mais pour qu’ils restent en vie assez longtemps pour tenir jusqu’à l’abattoir. Sur les images, on peut observer des agneaux aux pattes déformées (conséquence de la promiscuité et du manque d’exercice) qui ne peuvent plus aller se désaltérer à l’abreuvoir. Les images font inévitablement penser à des camps de concentration où la vie ne connaît aucun droit.
De là, rien d’étonnant à voir des agneaux agoniser au sol des heures durant au milieu de leurs congénères. Ils meurent par dizaines et leurs cadavres rejoignent alors l’un des bacs d’équarrissage prévus à cet effet. À l’âge de quatre mois seulement, c’est déjà la fin de l’engraissement, donc de leur « séjour » sur terre. La silhouette de l’abattoir se dessine…
L’abattoir industriel d’Arcadie Sud-Ouest
Après l’engraissement, c’est déjà la dernière étape de la vie d’un agneau selon ce qu’en décident les Hommes : direction l’abattoir. L214 suit cette trace et nous donne rendez-vous à l’abattoir industriel d’Arcadie Sud-Ouest qui abat une partie des agneaux de la SARL Grimal.
Cet abattoir avait fait l’objet en 2016 d’une inspection dont le rapport faisait état d’une situation extrêmement préoccupante. Parmi les points relevés à l’époque, le rapport pointait l’absence d’autocontrôle, l’ignorance des bonnes pratiques de protection animale chez les employés dont plusieurs ne disposent pas de certificat de compétence, le non-respect des modes opératoires d’abattage, le manque d’hygiène (stérilisation du couteau à saignée), le fait que des agneaux soient hissés conscients et non étourdis sur le restrainer (voir ci-dessous).
En quatre ans, les pratiques ont-elles évoluées ? Sans surprise, les images de la L214 nous montrent que non. Dans cet abattoir, un agneau est tué toutes les 10 secondes. À ce rythme, il est impossible de suivre la procédure légale, en particulier en ce qui concerne l’étourdissement. Dans le cadre de l’abattage rituel, les agneaux doivent être saignés à vif, autrement ils doivent être étourdis par électrocution (ce qui n’enlève en rien la violence de cette industrie). Mais cette cadence infernale et le fait que les électrodes soient souvent placées sur le cou au lieu de la tête font que beaucoup d’agneaux sont encore conscients lorsqu’ils sont saignés puis suspendus sur le rail de saignée. Ils réagissent et se débâtent de douleur. Pire, en attendant leur tour, les agneaux voient leurs congénères se faire égorger et ont parfaitement conscience de ce qu’il les attend…
Des poursuites judiciaires
Suite à ses révélations, la L214 engage plusieurs actions :
Une plainte est déposée auprès du procureur de la République de Rodez pour sévices graves envers des animaux et demande la fermeture d’urgence de l’abattoir, qui présente de graves problèmes structurels et des pratiques d’abattage grandement déficientes.
Un recours en responsabilité a été introduit contre l’État pour manquement à sa mission de contrôle de l’application de la réglementation. Pour cause, ces problématiques sont connues des autorités depuis plusieurs années déjà. Indifférence et mépris pour la vie, au nom du profit et de la productivité, l’État reste le plus souvent observateur passif de cette violence systémique.
L’association demande à la Confédération générale des producteurs de lait de brebis et des industriels de « roquefort » la modification du cahier des charges de l’appellation d’origine « roquefort ». Actuellement, rien n’est exigé pour les agneaux. Comme c’est le cas pour les brebis, il devrait être interdit d’enfermer les agneaux toute leur vie dans des bâtiments fermés sans accès au pâturage, et l’abattage sans étourdissement (des agneaux et des brebis) devrait être prohibé.
L214 incite par ailleurs les candidats aux élections municipales à signer l’engagement « Une ville pour les animaux » comportant une série de mesures concrètes en faveur des animaux. Plus de 300 candidats se sont déjà engagés à exclure de la commande publique les produits issus de l’élevage intensif. Un potentiel de changement existe donc !
De leur côté les citoyens peuvent aussi faire entendre leur voix et soutenir la L214 en signant la pétition disponible sur la page de l’enquête.
Pour conclure, laissons la parole à Sébastien Arsac, porte-parole de l’association L214 : « Le roquefort est indissociable des agneaux qui naissent chaque année pour provoquer la lactation des brebis. Si la filière met en avant l’accès extérieur aux brebis, elle passe sous silence le sort des agneaux qui sont engraissés dans des élevages intensifs. La production de lait et des produits laitiers sont, tout comme celle de viande, à l’origine de grandes souffrances et de la mise à mort préméditée de millions d’animaux chaque année. »
S. Barret
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