Avec Gautier Grand Nez, publié aux Éditions Piktos Jeunesse, l’autrice toulousaine Eva Kopp aborde sans détour le harcèlement scolaire, la pauvreté et la résilience. Un roman initiatique où un chat descendant du Chat botté aide un garçon harcelé à reprendre confiance en lui.
Toulousaine et touche-à-tout, Eva Kopp écrit, illustre, parle à la radio, accompagne les parents et échange avec les enfants directement dans les écoles. Dans Gautier Grand Nez, elle raconte un enfant harcelé, un grand-père qui fait ce qu’il peut, et un chat philosophe et aidant. Le texte ne contourne rien : ni la mort, ni la pauvreté, ni la violence des cours de récréation, ni la responsabilité des adultes et des structures.
Durant cet entretien, Eva Kopp revient sur cette œuvre, dont l’idée est tristement née après le suicide d’une petite fille. Via le conte, elle peut aborder la montée du harcèlement en lien avec les usages numériques, mais aussi les réalités invisibles : les enfants qui ne mangent pas à leur faim, ou encore aux profils neuro-atypiques qui ont besoin d’accompagnement.

Mr Mondialisation : Qui êtes-vous Eva ?
Eva Kopp : « Je suis Eva Kopp, je vis à Toulouse, la ville rose. J’exerce beaucoup de métiers différents à la fois, ça me rend très heureuse. Je suis animatrice radio, voix off, chroniqueuse parentalité et éducation, et autrice de livres pour les grands et les enfants. »
Mr Mondialisation : Parlez-nous de Gautier Grand Nez s’il vous plait !
Eva Kopp : « Gautier Grand Nez est sorti en septembre aux Éditions Piktos Jeunesse. Il m’a fallu 5 années de persévérance pour trouver une maison d’édition.
Ce livre raconte l’histoire de Gautier, 11 ans, qui a une vie difficile depuis le décès de ses parents dans un accident de voiture. Il vit avec son grand-père et se fait harcelé par un élève de sa classe. Heureusement un chat qui parle – descendant du Chat Botté – lui vient en aide… J’ai écrit ce roman pour les 8-12 ans avant que le harcèlement scolaire soit un sujet de préoccupation nationale, car depuis 2022, c’est un délit. »
« Je l’ai écrit en 2020, bouleversée après le suicide d’une petite fille. Je n’arrêtais pas de penser à elle, à son désespoir, à ses parents… »
Mr Mondialisation : Pourquoi un conte ?
Eva Kopp : « J’ai voulu « aider », sans prétention, les enfants harcelés. Le meilleur moyen d’agir, c’est de s’adresser à eux directement. Un discours pédagogique frontal n’est pas toujours très efficace. Il m’a semblé que le conte permettait aux enfants de s’identifier aux personnages avec une distance douce qui les protège. Le conte a un pouvoir : un langage à peine crypté, qu’on ne soupçonne pas forcément, et qui transmet des informations importantes.
Par exemple : avec Le Petit Chaperon rouge, l’enfant apprend qu’il ne faut pas parler aux inconnus, qu’il est plus prudent de se méfier quand un inconnu insiste pour le faire dévier de son chemin. Avec le conte de l’enfant qui criait au loup, le jeune lecteur apprend qu’il est important de ne pas mentir s’il veut qu’on le croie et qu’on lui vienne en aide le jour où un drame arrive…
Quand j’ai commencé à vouloir écrire sur le harcèlement scolaire, je ne parvenais pas à trouver les bons mots. Ils me semblaient dérisoires, complètement à côté de la plaque.
« Un jour, alors que je faisais du tri dans ma bibliothèque, je suis retombée sur Cyrano de Bergerac, la célèbre pièce de théâtre d’Edmond Rostand, et là tout s’est éclairé. L’architecture de l’intrigue s’est rapidement dessinée. »
Grâce à mon métier d’animatrice et chroniqueuse radio pour AirZen Radio, j’ai interviewé de nombreux spécialistes de l’enfance, de l’éducation et de la psychologie autour du harcèlement scolaire, du cyberharcèlement, de la gestion des relations difficiles ou encore de la phobie scolaire : Florence Millot, Emmanuelle Piquet, Marie Costa et Stephan Valentin pour ne citer qu’eux. Ces échanges ont nourri l’intrigue et la construction des personnages. Ça m’a permis de glisser des conseils adressés aux enfants, pour les aider à identifier le harcèlement. »
Mr Mondialisation : À qui s’adresse votre livre ?
Eva Kopp : « Le livre s’adresse aux 8-12 ans. La dernière étude e-enfance/3018 indique que le harcèlement a augmenté de 10 points en seulement un an, passant de 24 à 35 %. C’est effrayant.
Ce livre existe pour aider à libérer la parole et pour aider à identifier les différentes formes de harcèlement scolaire : harcèlement verbal, harcèlement physique, harcèlement moral, invisibilisation, ou encore cyberharcèlement… Il est là pour être support. »
Mr Mondialisation : Quelle est la réalité du harcèlement scolaire selon vous ?
Eva Kopp : « Les enfants comme les adultes n’ont pas forcément la bonne définition du harcèlement scolaire qui peut s’exprimer de plusieurs manières, mais surtout toujours dans la répétition.
« On imagine le harcèlement très masculin, très violent physiquement. Il est également féminin et peut débuter dès la maternelle. »
Le harcèlement scolaire peut aussi se déployer par l’invisibilisation de l’autre : dans ce cas, l’enfant harcelé est constamment ignoré. Il reste isolé durant la récréation et mange tout seul à la cantine, par exemple. »
Mr Mondialisation : Pourquoi le nez comme élément central de raillerie ?
Eva Kopp : « Car le nez est un complexe très commun ! Trop long, trop fin, trop tordu, trop bosselé, trop épaté, trop… Stop ! Tous les nez sont beaux. Et tant mieux s’ils ont un panache digne de Cyrano de Bergerac. »
Mr Mondialisation : Vous avez eu du mal à l’éditer, d’après vos dires ?
Eva Kopp : « Le harcèlement scolaire fait peur. Le manuscrit faisait peur. Deux maisons d’édition ont manifesté de l’intérêt mais à chaque fois, elles m’ont demandé d’édulcorer considérablement le roman. Gautier ne devait plus être orphelin, ne devait plus connaître la pauvreté. J’ai refusé. La violence fait partie de la vie des enfants, de même que la faim ou le manque.
« Récemment, j’ai eu affaire à un enfant qui avait le ventre qui gargouillait très bruyamment. Il n’arrivait pas à se concentrer tellement il avait faim. Je lui ai demandé s’il avait pris un petit-déjeuner, il m’a répondu : » Non, j’ai pas mangé hier soir et ce matin. » »
10 % des enfants ne mangent pas à leur faim en France. Dans Gautier Grand Nez, l’enfant harceleur reproduit la violence qu’il vit chez lui. Cela ne justifie en rien son comportement et explique que sa normalité n’implique ni bienveillance ni dialogue.
Tous les parents ne sont pas bienveillants, certains sont nocifs. En France, plus de 51 000 enfants sont maltraités. C’est effrayant et en total décalage avec l’image très positive de l’enfance qui serait une période enchantée par la douceur. La réalité est bien différente pour beaucoup. Heureusement, les enfants peuvent être résilients si on les aide.
C’est ce que j’ai voulu montrer à travers ce livre en utilisant les codes du conte : l’imaginaire a ce pouvoir de dévoiler la violence de la réalité avec douceur. »
Mr Mondialisation : Qu’en est-il du personnage de Gabriel, l’enfant harceleur ?
Eva Kopp : « Dans le livre, j’essaie de donner un contexte. Parfois il n’y a pas d’explication au harcèlement si ce n’est la joie procurée par la prise de pouvoir sur l’autre.
Ici, les parents de Gabriel ont divorcé. Il vit auprès de son père la majorité du temps. Or ce dernier a sombré dans l’alcool et s’exprime désormais avec violence.
« Ainsi, la normalité, le quotidien de Gabriel et sa représentation de l’autorité et de l’homme sont violence. Il est donc naturel pour lui de s’exprimer avec violence. »
Dans le livre, je ne voulais pas condamner l’enfant harceleur. C’était d’autant plus important pour moi qu’un nombre considérable d’enfants harcelés deviennent par la suite harceleurs. Heureusement, la vie offre de nombreuses possibilités de prise de conscience, d’évolution, d’apprentissage et de réalisation. »

Mr Mondialisation : Pourquoi faire intervenir un chat ?
Eva Kopp : « Un chat qui parle, dans l’esprit du Chat Botté ! Les enfants n’ont pas tous la chance de grandir avec un animal de compagnie, mais beaucoup en rêvent. Pour ceux qui ont cette joie, c’est de l’amour sur pattes, le premier confident et le premier soutien.
De même que le personnage du Chat botté conseille son propriétaire dans le conte de renom, l’aide à devenir propriétaire d’un château et à épouser une princesse, j’ai voulu que le chat Edmond soit là pour Gautier et représente également une forme de dialogue intérieur, comme une bonne conscience. Cela a permis de travailler sur la posture, importante pour les enfants harcelés. »
Mr Mondialisation : Que souhaiteriez-vous que les jeunes lecteurs retiennent de Romain, le « suiveur » ?
Eva Kopp : « C’est une posture qui peut arriver même aux adultes, notamment dans le cadre du harcèlement au travail. Parfois l’enfant suiveur aime bien le harceleur qui est sympa avec lui. « C’est mon meilleur ami, il ne jouera plus avec moi si je m’oppose. » Alors c’est plus simple et confortable de faire comme si ce comportement était normal. Le pouvoir du harceleur offre un certain aura, du charisme.
« Parfois, on préfère être du côté du harceleur que du harcelé. »
Les adultes savent qu’ils ont une part d’ombre et de lâcheté. Comment reprocher à l’enfant d’être pareil ? Influençable ou sous emprise ? Sortir de la posture de suiveur demande du courage. C’est un choix qui doit être encouragé et valorisé. »
Mr Mondialisation : Pourquoi donner l’image d’un papi qui n’a « qu’une petite retraite » ?
Eva Kopp : « Parce que la précarité des personnes âgées est une réalité. J’avais une vingtaine d’années quand je travaillais comme correspondante presse pour un quotidien à Belfort. Je devais couvrir la distribution de colis alimentaires en plein hiver. J’ai été bouleversée par ce que j’ai vu et dont je ne soupçonnais pas l’ampleur.
Je suis arrivée avec 30 minutes d’avance et une quinzaine de personnes patientaient silencieusement, dans le froid, en file indienne. J’ai vu à quel point la pauvreté était, non seulement la précarité des étudiants, mais aussi celle des personnes âgées, et de beaucoup de femmes — très dignes. Leur précarité était invisible à l’œil nu.
Il y avait dans le lot une adolescente qui m’a grandement marquée. Elle accompagnait son papa. Lui n’était plus que l’ombre de lui-même, il regardait ses chaussures. Tout son langage corporel indiquait la honte qu’il ressentait. Sa fille était habillée en mode Spice Girls, doudoune rose assortie à des bottes roses.
Elle lui tenait la main et dressait la tête. Elle accompagnait son père avec dignité. Elle était fière pour deux. Aujourd’hui encore, j’ai la chaire de poule en repensant à cela. Expliquer le plus tôt possible la pauvreté aux enfants – qui peut toucher n’importe qui et à tout âge – leur apprend le respect et la compassion. »
Mr Mondialisation : Quel est le passage dont l’écriture vous a procuré le plus de joie ?
Eva Kopp : « Les scènes avec Clara, son amoureuse, m’ont beaucoup amusée. Gautier et Clara s’aiment beaucoup… et leur relation plaît aux jeunes lecteurs. Certains sautent les chapitres pour connaître l’évolution de leur relation qui est un hommage à la relation entre Cyrano et Roxane.
On retrouve ainsi des ressemblances avec un chapitre comprenant une déclaration soufflée dans la pénombre. Donner la parole à un chat descendant du Chat botté a été source de beaucoup de joie. »
Mr Mondialisation : Quels conseils concrets pouvez-vous donner aux enfants ?
Eva Kopp: « Je transmets systématiquement le numéro 3018 dédié au harcèlement scolaire aux élèves, qui est en même temps une application et un numéro national d’appel gratuit et confidentiel pour signaler et demander de l’aide en cas de harcèlement scolaire et de cyberharcèlement.
Seul ou avec cet adulte, il peut appeler le 3018 où il va recevoir une écoute, un soutien et des conseils pratiques. Le 3018 peut transmettre le signalement au bon référent de l’établissement scolaire ou aux autorités pour assurer un suivi et des mesures si elles sont nécessaires. À noter que le 3018 existe également en application grâce à laquelle il est possible, pour les plus timides, de chatter pour obtenir des conseils et de l’aide. »
Mr Mondialisation : Quels témoignages particulièrement glaçants avez-vous entendus ?
Eva Kopp : « Parmi les témoignages spontanés des enfants lors de mes interventions, j’ai été bouleversée par celui d’une petite fille noire.
Elle m’a raconté que lors d’un anniversaire, une élève de sa classe – celle qui l’avait invitée – lui a dit « les noirs d’un côté, les blancs de l’autre. » »
Je ne pensais pas que c’était encore possible de nos jours. Un garçon m’a confié avoir subi le harcèlement à cause de sa religion et un autre à cause de son poids. Un autre m’a dit « Comment faire pour joindre le 3018, le numéro d’urgence, quand on n’a pas de téléphone ? » La maîtresse lui a répondu que dans ces cas-là, on pouvait lui en parler directement. Oui, si l’enfant n’ose pas, mettre un petit mot dans la boîte à idées pour lui faire passer le message en toute discrétion. »
Mr Mondialisation : Qu’en est-il du cyberharcèlement ?
Eva Kopp : « Le cyberharcèlement est un fléau, et je pèse mes mots. Il est indispensable de limiter et d’accompagner l’usage du numérique des plus jeunes. 46 % des 6-10 ans ont déjà un téléphone portable, pour beaucoup avec un accès au web.
Enfants comme adultes doivent savoir que si des photos ou des vidéos – réelles, photomontages, IA – circulent sur les réseaux sociaux, le 3018 peut entraîner leur suppression en quelques heures seulement. Il en va de même pour les comptes malveillants à leur égard.
Petit clin d’œil à l’association UBAKA Occitanie que j’aime beaucoup – des bikers au grand cœur – qui interviennent bénévolement dans les écoles pour lutter contre le harcèlement scolaire. »
Mr Mondialisation : Comment faire pour les proches, parents ou enseignants ?
Eva Kopp : « En tant que parent, on pense souvent que changer l’enfant d’établissement est une bonne idée. Contacter l’établissement scolaire et demander à rencontrer son représentant en urgence est indispensable. De nombreuses mesures existent pour soutenir l’enfant harcelé et essayer de remédier à cette situation.
« Toutefois statistiquement, on remarque que le harcèlement se répète souvent d’un établissement à l’autre. L’enfant n’est ni coupable, ni responsable de la situation. »
Il y a un travail de posture, de positionnement face à l’autre et de renforcement de la confiance qui doit absolument être accompagné pour éviter de revivre le harcèlement scolaire. Par ailleurs, les enfants neuro-atypiques représentent une grande partie des enfants harcelés.
De par leur singularité, certains ne maîtrisent pas les codes sociaux et relationnels : il faut leur apprendre à décrypter le monde relationnel pour identifier le harcèlement dès qu’il se présente, pour qu’ils puissent se défendre. »
Mr Mondialisation : Vous parlez beaucoup de posture de l’enfant. Que voulez-vous dire par là ?
Eva Kopp : « Dans le roman, le chat Edmond explique justement que quand il était chaton, il a été impressionné de voir un chihuahua tenir tête à des gros chiens féroces. Ce petit chien avait énormément confiance en lui, ce qui l’aidait à se faire respecter. Depuis, il se comporte comme un tigre dans la savane.
De manière générale, il y a un accompagnement sur la posture. Ils doivent se positionner et agir. Souvent, les enfants n’osent pas agir, n’osent pas se défendre. « Ils ne me connaissent pas bien, on va finir par devenir amis… ».
Il faut toujours répondre, ne pas se laisser faire : ce n’est pas agir avec violence, c’est se respecter. Et dans certaines familles, on ne respecte pas l’enfant. C’est difficile ensuite de se respecter soi-même. »
Mr Mondialisation : Avez-vous des jeux sur le harcèlement à conseiller ?
Eva Kopp : « No Way Bully, ou Takatak à la récré sont top ! Ils font travailler la répartie sous plein d’angles différents. Savoir faire mouche permet de se défendre et de laisser le harceleur désarmé de voir que ses tentatives n’ont pas l’effet escompté. »
– Mauricette Baelen
Source photo de couverture : avec toutes autorisations – Eva Kopp















