Soupçonnée par la Commission européenne d’avoir contourné la législation fiscale luxembourgeoise, Engie (GDF/SUEZ) pourrait être empêtrée dans un scandale financier bien plus vaste, selon l’enquête menée par le journaliste Nicolas Cori pour le journal Les jours. En effet, plus de la moitié du capital propre de l’entreprise se trouve au Luxembourg, alors que les activités réelles de la multinationale n’y sont que marginales. Pour échapper à l’impôt Engie a t-elle organisé un système d’évasion fiscale de grande ampleur ?
Engie, auparavant GDF Suez, est un important groupe énergétique français né de la fusion en 2008 entre deux géants : GDF et Suez. Cette multinationale possède des salariés dans plus 70 pays. 33% de son capital est détenu par l’État français et, à ce titre, des représentants de l’État siègent au sein de son conseil d’administration. À l’initiative de Margrethe Vestager, Commissaire européenne à la concurrence, une enquête a été ouverte à son sujet en raison de deux opérations financières ayant eu lieu au Luxembourg. L’enquête menée par Nicolas Cori laisse supposer que la fraude pourrait être bien plus vaste qu’imaginée. En effet, Engie a transféré 27 milliards d’euros au Luxembourg, soit plus de la moitié de la valeur totale de ses capitaux propres (49 milliards). Une manœuvre dont l’effet immédiat est d’éluder une partie importante de l’impôt alors même que l’État en est partiellement propriétaire.
Les responsables politiques se sont peu émus de l’ouverture de l’enquête, alors même que Engie est détenue pour un-tiers par l’État français. Pourtant, à la suite des scandales qui ont éclaté ces derniers mois, les responsables politiques avaient multiplié les déclarations d’intention, affirmant leur volonté de lutter efficacement contre l’évasion fiscale… Un double discours plus que jamais difficile à avaler pour une population accablée par les taxes et l’austérité instaurée par ces mêmes responsables.
Le charbon représente 20% de la production électrique d’Engie, contre 6% pour EDF.
Une « décision fiscale anticipative » douteuse
Les faits remontent à la mi-septembre, lorsque la Commission européenne annonce avoir ouvert depuis le 30 août une enquête à propos d’éventuels avantages fiscaux accordés par le Luxembourg à Engie. Plusieurs filiales ayant appartenu à l’ex-GDF Suez auraient bénéficié de prérogatives couvertes par une « décision fiscale anticipative ». Si l’outil est légal et utilisé pour des raisons de sécurité juridique, il est possible que dans le cas d’espèce, il ait été utilisé pour contourner la législation fiscale en vigueur. La Commission va devoir à présent enquêter sur les opérations douteuses et s’exprimer sur leur légalité.
L’enquête porte sur deux prêts datant de 2011 impliquant deux filiales d’Engie situées au Luxembourg. Or, par le biais de différents mécanismes, les opérations en cause sont organisées de manière à éviter toute imposition, aussi bien pour le prêteur que pour le receveur. Cerise sur le gâteau, Engie obtient un rulling, c’est à dire une décision fiscale anticipative : concrètement, l’administration Luxembourgeoise a indiqué par avance qu’elle acceptait l’interprétation proposée par Engie sur la nature des opérations, en l’occurrence que ces opérations ne seraient pas imposables.
27 milliards au paradis ?
Quelques semaines après l’ouverture de l’enquête par la Commission, le journaliste Nicolas Cori a publié un article dans le journal Les jours, dans lequel il dévoile de nouveaux éléments qui laissent penser que Engie pratique une « optimisation fiscale » a une échelle importante. Le problème dépasserait de loin par son ampleur les deux opérations sur lesquelles la Commission enquête actuellement, la méthode serait utilisée pour bon nombre d’autres opérations. En effet, rapporte Nicolas Cori, Engie dispose d’au moins 26 filiales au Luxembourg, « dont l’objectif principal est d’y faire transiter les énormes masses financières brassées par le groupe et, notamment, de diminuer sa charge fiscale ».
Clip humoristique des Jeunes Amis de la Terre pour dénoncer Engie
Les recherches faîtes par le journaliste lui ont permis de mettre à jour des opérations douteuses et de quoi laisser envisager « un schéma d’évasion fiscal massif ». Par le biais des sociétés dites de « holding » Engie réussirait, à son avantage et sous les yeux de l’Union européenne, un tour de passe-passe qui lui permet d’échapper à l’impôt dans les pays où elle mène effectivement ses activités.
On notera que les sociétés de holding sont des filiales situées dans des pays dont la fiscalité est avantageuse. Dotées de très peu de salariés, elles permettent d’y transférer des bénéfices réalisés dans d’autres pays, au détriment de ces derniers. Cette technique permet de placer les bénéfices réalisés sur un territoire donné dans des pays où les taux d’imposition sont plus bas, parfois même en négociant les conditions fiscales de l’entreprise au préalable. À l’heure où les déclarations de principe contre l’évasion fiscale sont nombreuses, les mécanismes et législations en vigueur semblent bien faibles pour contrer un phénomène qui coûte chaque année des centaines de milliards d’euros aux collectivités, soit à la population entière.
Sources : humanite.fr / lemonde.fr / lesjours.fr